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La théorie générale de Bourdieu

La société selon Bourdieu

 La société comme espace de conflictualité

Bourdieu décrit la société comme un espace de lutte pour l’accumulation de capitaux, inégalement distribués :

 

– le capital économique (richesse matérielle mais aussi position dans l’appareil de production) ;

 

– le capital culturel (à l’état institutionnalisé –diplômes-, à l’état objectif – détenir une oeuvre d’art-, ou à l’état incorporé –être cultivé) ;

 

– le capital social, capital relationnel, le « réseau » ;

 

– le capital symbolique (honneur, prestige, distinction, confiance accordée à l’individu).C’est un capital méconnu, qui cache souvent la puissance économique et matérielle ;

 

– Bourdieu a également distingué le capital politique, qu’il soit personnel (la notoriété du notable par exemple) ou délégué, transféré d’uns institution à un individu (le porte-parole).

 

Ces capitaux orientent notre position dans l’espace social, qui est considéré comme un espace de positions sociales en deux dimensions ; il existe ainsi une homologie entre la position sociale et les goûts et pratiques.

 Le champ, lieu du déploiement de l’habitus et des capitaux des agents

 L’habitus et les agents : L’habitus est un système de schèmes de perception et d’appréciation qui nous permet de donner du sens au monde social, un ensemble de disposition qui se constitue au cours de la socialisation. Cela signifie que notre point de vue est situé, orienté par notre position dans l’espace social. C’est pour cette raison que Bourdieu ne parle pas d’acteurs mais d’agents. L’habitus, système de schèmes de production, de perception et d’appréciation des pratiques, explique que le monde nous apparaît sur le mode de l’évidence, du naturel, de l’allant de soi, car nous l’avons intériorisé. .

 Les champs : L’espace social est constitué d’une multitude de champs plus ou moins autonomes, comme les champs artistique, intellectuel, économique, politique… Un champ, c’est un champ de force au sein duquel se déploient d’agents dotés d’habitus et en concurrence pour des capitaux spécifiques et la domination du champ.

 

Les agents centraux sont ceux qui possèdent le plus du capital pertinent à l’intérieur du champ. Les positions sont toujours relatives, temporelles. En cela, le schéma de Bourdieu est dynamique. Bien que les champs diffèrent dans leurs enjeux et dans leur composition, ils sont soumis à des lois. Bourdieu repère trois invariances :

– Un champ met en jeu des intérêts spécifiques, qui peuvent ne pas être perçus ou être sans valeur dans les autres champs. Pour que le champ perdure, pour que les agents jouent le jeu, il est nécessaire qu’ils croient en ses enjeux : ils doivent partager le même illusio (croire au jeu dans lequel on est pris et à l’importance de l’enjeu). Le champ entretient cet illusio en décernant des distinctions, comme les prix littéraires. Ainsi les enjeux sont loin d’être toujours réductibles à l’intérêt matériel, et sont souvent symboliques.

 – A l’intérieur d’un champ, les agents entretiennent des relations de collusion : même s’ils s’affrontent, ils ont des intérêts communs. En premier lieu, que le champ se maintienne.

 – Dans tous les champs, l’enjeu de la lutte, c’est le monopole de l’autorité spécifique. Les agents se battent pour conserver ou améliorer leur position. Or, le meilleur moyen d’y arriver, c’est de maîtriser le principe de hiérarchisation : dominer le champ c’est fixer les règles du jeu, les capitaux pertinents etc. Dans tous les champs, il y a des positions orthodoxes, hétérodoxes, légitimes, illégitimes. Et il y a aussi un contrôle des ‘’portes’’ du champ, pour faire entrer ou sortir des agents, des capitaux…

 

Pour analyser les champs, Bourdieu déploie un relationnalisme anti-subjectiviste : le champ est perçu comme un système d’écarts (ce que fait un agent n’a de sens que relativement à ce que font les autres). La construction du champ est un travail empirique : on délimite les frontières du champ en mettant en évidence quels sont les capitaux pertinents.

 Modes de domination et violence symbolique

 Sociétés traditionnelles et sociétés modernes : Dans son article intitulé « Les modes de domination », Bourdieu expose que, dans les sociétés traditionnelles, dépourvues de marché « auto-réglé » (au sens de Polanyi), d’institutions scolaire, juridique etc., les relations de domination ne peuvent se poursuivre qu’à condition d’être renouvelées perpétuellement de manière directe et personnelle (comme on le voit, en Kabylie, avec le Khammessat). A l’inverse, lorsque la domination est imbriquée dans la possession des moyens -capital économique et culturel- de contrôler les mécanismes des champs, la domination se reproduit de manière systémique, indépendamment d’une action intentionnelle des agents.

En d’autres termes, il existe des différences dans les modes de domination qui résident, en dernier ressort, dans l’objectivation du capital social accumulé : la Kabylie illustre ces sociétés où les relations de domination sont dépendantes des interactions personnelles. Dans les sociétés modernes, ces relations sont médiatisées par des mécanismes institutionnels, objectifs : elles sont, dès lors, plus opaques, et peuvent subsister longtemps sans que les agents aient à les recréer continûment ; comme les capitaux sont inégalement distribués, cette objectivation assure la reproduction de la structure de la distribution du capital, qui conditionne elle-même l’appropriation du capital et reproduit ainsi les rapports de domination.

 

 

 

Voyons quels sont, selon Bourdieu, les effets de l’objectivation du capital accumulé :

 

L’existence de champs relativement autonomes permet aux détenteurs des moyens de maîtriser leurs mécanismes de faire l’économie de stratégies visant à perpétuer une relation durable de dépendance de personne à personne. En effet, ces relations personnelles de domination sont très coûteuses car elles supposent souvent des dons -comme lors du potlatch, mais aussi du temps : le moyen peut finir par manger la fin (les actions et dons nécessaires à maintenir la domination la fragilise, par exemple en asséchant financièrement les familles).

 

Bourdieu explique en détail ces mécanismes d’objectivation : par la détention d’un statut professionnel ou d’un titre scolaire, le capital incorporé dans une personne est objectivé par des institutions qui assurent sa légitimité, si bien que les relations de pouvoir et de dépendance ne s’établissent plus directement entre les personnes, mais s’instaurent dans l’anonymat institutionnel. Tous ces mécanismes, avalisés par le droit, permettent aux détenteurs d’un pouvoir de faire l’économie de l’affirmation continue de rapports de force. La reproduction des relations de domination demeure cachée (par exemple, le système d’enseignement, sous l’apparence d’un jeu équitable, ne fait qu’enregistrer la transmission d’un capital en établissant l’adéquation entre les diplômes et les postes). Plus la reproduction de la domination dépend de mécanismes objectifs, plus les stratégies de reproduction sont indirectes, impersonnelles.

 

 

 

Société traditionnelle et violence symbolique :

 

Au contraire, tant qu’il n’existe pas de système qui assure par son propre mouvement la reproduction de l’ordre établi, les dominants doivent y travailler quotidiennement et personnellement. Dès lors, il y a deux manières de s’assurer la soumission d’une personne : la violence ouverte (physique ou économique, par le biais de la dette), et la violence symbolique (notamment par le bais du don, qui suppose des obligations morales). La violence symbolique, euphémisée, est méconnue comme telle et donc reconnue. Et c’est parce que la domination ne peut s’exercer que de personne à personne qu’elle doit se dissimuler sous le voile des relations enchantées.

 

La société traditionnelle est, pour Bourdieu, le lieu par excellence de la violence symbolique  : étant donné qu’elle ne dispose pas de la violence implacable et cachée des mécanismes objectifs, elle a recours simultanément à des formes de domination parfois plus violentes physiquement, mais aussi plus douces.  Cependant, l’usage de la violence ouverte menace la relation même de domination, et la violence symbolique lui est préférée car plus efficace. Cette violence douce exige de celui qui l’exerce qu’il paye de sa personne car la confiance qu’on lui porte doit lui venir de ses qualités propres : n’étant pas garantie par une institution, l’autorité personnelle ne peut se perpétuer durablement qu’au travers d’actions qui la réaffirment par leur conformité aux valeurs reconnues par le groupe, et les dominants peuvent moins que quiconque se permettre de prendre des libertés avec les normes du groupe. Ainsi, le proverbe kabyle « on est riche pour donner aux pauvres » illustre bien que la richesse, base ultime du pouvoir, ne peut exercer durablement un pouvoir que si elle est transformée en capital symbolique, prestige notamment assuré par le don, la vertu, la générosité… Par ailleurs, la reconversion permanente du capital économique en capital symbolique, coûteux socialement et économiquement, ne peut réussir qu’avec la complicité de tout le groupe, par les dispositions que le groupe inculque sous forme d’habitus aux agents. La morale de l’honneur et la relation enchantée unissant le dominé au dominant rendent inacceptables les relations de l’économie moderne, vues sur le mode désenchanté de l’intérêt.

 

Société moderne : un retour de la violence symbolique ?

 

Bourdieu affirme ainsi que, dans les sociétés modernes, les formes symboliques de domination ont perdu du terrain avec la constitution de mécanismes objectifs qui nécessiteraient, pour être acceptés, une vision désenchantée du monde. Il ajoute cependant que la découverte de ces mécanismes de reproduction, menaçant la perpétuation de la domination, appelle le retour de formes de violence symbolique fondées sur la dissimulation de ces mécanismes : cela se produirait par la conversion du capital économique en capital symbolique (redistribution publique ou privée, qui assure un prestige qui semble ne rien devoir à l’exploitation des dominés), ainsi que par le démenti de l’intérêt matériel, par la transformation de l’argent en distinction (art, pratiques culturelles…).

 

L’enjeu du champ politique, imposer la légitimité de la vision du monde propre à une classe

 

 

Le champ politique : Le champ politique est un des champs qui a pour enjeu d’« imposer la vision légitime du monde social  : comparable au champ religieux sur ce point, le champ politique tend à concentrer « l’accès aux moyens de manipulation légitime de la vision du monde (ce qui est la définition de l’action politique) ». Mais cette concentration prend sa base hors du champ. Les trois champs que sont les sciences sociales, le politique et le journalisme ont des enjeux communs : les professionnels de l’explication et du discours que sont les sociologues, les historiens, les hommes politiques et le journalistes cherchent à imposer leurs schèmes de perception du monde comme seuls légitimes, en luttant entre eux pour conquérir « le monopole de la violence symbolique légitime ».

 

Le champ politique a pour logique spécifique de viser à donner sa vision du monde social comme fondée non seulement sur des critères de vérité mais aussi et surtout sur sa représentativité, sa capacité à mobiliser ceux qui s’y reconnaissent. S’il partage avec le champ des science sociales l’enjeu d’imposer une vision du monde, celle-ci n’est pas validée par sa vérité intrinsèque mais par la force du nombre de ceux qui la tiennent pour vraie et qui, ainsi, concourent à la faire advenir : alors que dans le champ des sciences sociales, on oppose des idées-vérité, dans le champ politique, on oppose des idées-forces.

 

Ainsi, « une partie importante des problèmes qu’on nous présente comme des problèmes politiques importants sont des problèmes qui sont importants pour les politiques, notamment parce qu’ils le permette de faire des différences entre eux ». Il englobe dans ce champ certains journalistes et les sondeurs.

 

 

 

 



28/04/2015
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