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Présidentielle : un autre mode de scrutin est-il possible ?

 

LE MONDE IDEES | 06.05.2017 à 13h49 • Mis à jour le 07.05.2017 à 07h30 | Par Marion Rousset

 

Et si on élisait le président de la République autrement ? Dans le monde intellectuel, certains chercheurs soulignent les défauts du scrutin uninominal à deux tours adopté par voie référendaire en 1962. Et planchent sur des alternatives.

Pourquoi l’électeur ne pourrait-il pas donner son avis sur plusieurs candidats ? Et si le second tour était ouvert aux trois ou quatre meilleurs ? Faut-il vraiment deux tours, d’ailleurs ?

Ce débat n’est pas facile à mener : alors que l’introduction de la proportionnelle aux législatives est discutée dans le champ politique, la règle du jeu présidentiel passe souvent pour une évidence.

 

« Plus personne ne s’interroge sur le mode de scrutin, même pas les politiques : on le prend pour un acquis », note Bernard Dolez, directeur de l’UFR science politique de l’université Paris-I.

« C’est intéressant que le débat puisse avoir lieu, abonde Frédéric Sawicki, professeur de science politique au sein de la même université. Pendant très longtemps, seuls les nostalgiques du président élu par le Parlement remettaient en cause le fonctionnement de l’élection. » « Il est salutaire de ne pas se contenter d’accepter les règles du jeu comme si elles étaient de toute éternité, les meilleures et indépassables », renchérit le chercheur Dimitri Courant, assistant diplômé à la faculté des sciences sociales et politiques de Lausanne.

 

Une légitimité artificielle

 

Première critique envers le système actuel : la légitimité que le scrutin présidentiel à la française confère au gagnant est artificielle et ne reflète pas l’état de l’opinion.

Si le général de Gaulle a réalisé en 1965 un score de 44,65 % au premier tour, pas un seul candidat, depuis les années 1990, n’a dépassé les 31 % : au premier tour, ils ne recueillent souvent que 20 % des suffrages exprimés – soit 10 % des Français en âge de voter si l’on prend en compte l’abstention et les non-inscrits.

Le face-à-face du deuxième tour construit certes de la légitimité. « Etant donné qu’il ne reste que deux candidats, que le vote blanc n’est pas comptabilisé et que l’on raisonne en pourcentages de suffrages exprimés, le vainqueur peut revendiquer les voix d’une majorité qui, par définition, dépasse 50 % », explique Bernard Dolez. Mais pour le politiste Frédéric Sawicki, « ce mode de scrutin ne permet pas de dégager une vraie majorité politique forte ».

 

Deuxième critique : rien n’indique que les gagnants sont réellement les candidats les plus appréciés. Etant donné que les citoyens ne se prononcent que sur un seul nom, on ignore, par définition, ce qu’ils pensent des autres.

En théorie, une figure qui déplaît à une majorité d’électeurs peut donc faire un très gros score : c’est ainsi qu’en 2002 Jean-Marie Le Pen a réussi à accéder au second tour face à Jacques Chirac. A l’inverse, un candidat capable de battre tous les autres au second tour peut échouer au premier : en 2007, une expérience avait montré que François Bayrou aurait été le grand vainqueur de la présidentielle si les citoyens avaient pu se prononcer sur toutes les configurations possibles. Autrement dit, le mode de scrutin actuel restitue mal les nuances de l’opinion des électeurs.

 

« Vote par note » et « jugement majoritaire »

 

Depuis quinze ans, des économistes, des mathématiciens et des chercheurs en informatique testent des modes de scrutin susceptibles de dégager un chef d’Etat plus représentatif.

Le « vote par note » et le « jugement majoritaire » font partie des pistes explorées. Le principe est simple : pour que le résultat soit proche de l’état de l’opinion, l’électeur, au lieu de glisser un seul nom dans l’urne, donne son avis sur tous les candidats.

« On peut aussi utiliser le classement par “intensité de préférence” : par exemple, l’électeur peut donner deux points à Hamon et un seul à Mélenchon pour signifier qu’il aime deux fois plus le premier », explique Antoinette Baujard, maître de conférences en sciences économiques à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne. Le gagnant est celui qui obtient le plus de points.

 

Lire aussi :   Noter plutôt que voter

 

Hasard du calendrier, la première expérimentation du vote par note remonte à 2002. L’équipe de Jean-François Laslier, directeur de recherche au CNRS, s’attaque alors à un domaine vierge – au point qu’elle essuie plusieurs refus de la part des villes sollicitées.

Elle atterrit finalement à Orsay, une ville universitaire de l’Essonne, et Gy-les-Nonains, une petite commune du Loiret. Le 21 avril 2002, dans les bureaux de vote de ces deux villes, les électeurs volontaires se prononcent de manière traditionnelle… mais aussi « pour de faux » : au lieu de voter pour un seul candidat, ils donnent à ceux qu’ils souhaitent exclure une note de 0 et à ceux qu’ils approuvent une note de 1 – l’absence de note est considérée comme un zéro par défaut.

 

Parce que tous les candidats sont notés, ce système permet d’aboutir à un résultat plus fin que le vote traditionnel. Avec le scrutin majoritaire à deux tours, un électeur de gauche qui vote Jospin met de facto dans le même sac un candidat qu’il abhorre comme Jean-Marie Le Pen et un candidat qu’il tolère comme François Bayrou.

Grâce au vote par note, il peut les distinguer. Le résultat s’en trouve changé : en 2002, lors de l’expérimentation menée à Orsay et Gy-les-Nonains, Jacques Chirac conservait la première place mais Lionel Jospin devançait Jean-Marie Le Pen.

Les expérimentations se sont poursuivies en 2007, en 2012 et… en 2017 : le 23 avril, une équipe de chercheurs a testé seize bureaux de vote à travers la France, soit plus de 16 000 électeurs inscrits, et invité les internautes à voter « autrement » jusqu’au 8 mai.

 

Des échelles d’évaluation complexes

 

Voilà l’idée. Reste à trouver la bonne combinaison. Les échelles d’évaluation allant de 0 à 20 sont complexes à manipuler, mais celles qui se contentent de deux niveaux comme 0 et 1, comme c’est le cas du « vote par approbation », manquent de finesse.

La possibilité de donner une note négative est en revanche plébiscitée. Plus épineuse est la question du nombre de tours : « Ce système est plus performant à un tour, pointe l’économiste Antoinette Baujard. Mais il est difficile de discuter cette option en raison de la légitimité historique qu’a acquise en France la validation du second tour. »

 

Le « jugement majoritaire » est une méthode expérimentée par les chercheurs français Michel Balinski et Rida Laraki. Proche du vote par note sur le principe, elle se distingue cependant par son mode de calcul. L’échelle d’évaluation va de « à rejeter » jusqu’à « excellent » et pour l’emporter, le candidat doit obtenir la note médiane la plus haute.

Avec ce système, Nicolas Sarkozy obtient « passable » en 2012 alors que François Hollande et François Bayrou sont dans la catégorie « assez bien » et Marine Le Pen « insuffisante ». Le défaut d’un tel mode de scrutin tient à sa complexité.

« Constitutionnellement, on se doit de faire en sorte que les électeurs comprennent à quelle sauce ils vont être mangés, estime Antoinette Baujard. J’aime bien l’imagination permise par la théorie du vote mais il ne faut pas transformer le suffrage universel en suffrage technocratique. »

Qu’il soit simple ou complexe, le principal atout du vote par note, selon Jean-François Laslier, est de favoriser les candidats consensuels ou modérés. « Le mode de scrutin actuel a tendance à couper le pays en deux car le second tour fait s’affronter un camp contre un autre, déplore-t-il. Les modalités que nous expérimentons auraient l’avantage de dégager un profil de président davantage arbitre, plus centriste, qui a recueilli les soutiens de diverses composantes. En société, quand on a des désaccords, il est normal de chercher des solutions qui conviennent à tout le monde. »

 

Triangulaires ou quadrangulaires au second tour

 

Ce point fait cependant débat. Rien ne dit qu’un candidat consensuel sera le mieux placé pour prendre des décisions pour son pays, avancent certains.

De surcroît, « tenter de plaire à tout le monde en étant le plus centriste possible pour avoir une chance de gagner ne me semble pas très sain », estime Frédéric Sawicki, qui propose une autre idée : la possibilité de triangulaires ou de quadrangulaires au second tour, avec des candidats qui pourraient se maintenir à condition d’avoir atteint un certain seuil de suffrages exprimés, comme pour les élections législatives.

« Le débat sur le vote utile provient du fait qu’on anticipe la présence d’une compétition finale entre deux candidats, explique-t-il. On serait moins contraint dès le premier tour si on pouvait choisir au second entre Macron, Mélenchon et Marine Le Pen. »

 

A la marge, le débat public fourmille par ailleurs d’initiatives pour la reconnaissance du vote blanc ou l’instauration du vote obligatoire, en vue d’inciter les politiques à se réintéresser au sort des populations qui ont pris l’habitude de s’abstenir.

Mais face au Meccano électoral, certains osent des alternatives plus utopiques : remplacer, par exemple, le président par un exécutif collégial. Ce système existe déjà en de rares endroits comme la Suisse : le Conseil fédéral est un collège de sept membres élus par l’Assemblée fédérale. chacun y a la charge d’un département ministériel, tandis que la présidence est une fonction largement honorifique.

 

« Science-fiction »

 

En 1952, l’Uruguay s’était inspiré de ce modèle pour créer son premier Conseil de gouvernement mais il a mis fin à l’expérience en 1966. « Un exécutif collégial, serait-ce une si mauvaise idée ?, se demande Loïc Blondiaux, professeur de science politique à l’université Paris-I. La Suisse est-elle plus mal gouvernée que la France ? Et pour le coup, on pourrait imaginer une élection à la proportionnelle. C’est de la science-fiction politique mais il faut oser des choses nouvelles. »

« Il y avait deux consuls à Rome et dix stratèges à Athènes, relève Yves Sintomer, professeur de sociologie à l’université Paris-VIII. Rien qu’aux Etats-Unis et dans la plupart des pays d’Amérique latine, il existe un président et un vice-président. »

La mise en œuvre de ces expériences reste cependant difficile à imaginer dans un pays habitué à élire un individu. Sans parler des pistes plus improbables encore, comme celle de voter pour un programme et de tirer au sort la personne mandatée parmi des candidats compétents recrutés sur concours.

« Aujourd’hui, l’acte d’élection s’apparente à un transfert de souveraineté : si un candidat promet de faire la politique A et que demain, il fait la politique B, on doit lui faire confiance, explique Dimitri Courant. Dans le cas du vote sur programme, l’élu devient un commis du peuple. » Cette alternative reste évidemment toute théorique. Mais face à une dramaturgie électorale qui montre des failles, un peu d’imagination ne saurait déplaire.

 

 


07/05/2017
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EN QUOI CONSISTE LE RÉFÉRENDUM ITALIEN ?

Le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, entend réformer la Constitution pour en finir avec l’instabilité politique et accélérer le travail législatif. Les Italiens se prononcent dimanche.

LE MONDE |   

C’était une promesse de Matteo Renzi à son arrivée au pouvoir, en février 2014 : conduire une réforme en profondeur de la Constitution italienne, rédigée au sortir de la seconde guerre mondiale, afin de la rendre plus efficace et plus rapide, bref plus moderne. Quels sont les objectifs concrets de ce projet ?

 

 Lire aussi :   Italie : référendum à haut risque pour Matteo Renzi

  • Mettre fin au bicamérisme « parfait »

C’est une singularité en Europe : la Chambre des députés et le Sénat italien ont le même poids dans l’élaboration des lois, et ont tous les deux le pouvoir de voter la confiance – autrement dit de faire tomber les gouvernements. Cette réforme de la Constitution italienne vise à modifier la composition et le rôle de la Chambre haute, l’autre nom du Sénat.

Celui-ci deviendrait une assemblée de 100 membres – 74 conseillers régionaux, 21 maires et 5 personnes désignées par le président de la République pour une durée de sept ans – contre 315 actuellement, qui siégeraient pendant un mandat de cinq ans non renouvelable.

Les conseillers régionaux et maires seraient répartis, selon les régions, en fonction du poids démographique de celles-ci. Le Sénat n’aurait plus qu’un rôle secondaire dans l’élaboration des lois et ne voterait plus la confiance au gouvernement. Il serait toutefois encore consulté sur d’éventuelles modifications de la Constitution et pourrait ratifier l’essentiel des traités internationaux. Il se prononcerait aussi sur les référendums d’initiative populaire et pourrait donnerson avis sur la loi de finances, et lui apporter quelques modifications.

La Chambre des députés, elle, ne change pas. Elle reste composée de 630 élus, conserverait seule le pouvoir de voter la confiance au gouvernement et la majorité des lois.

  • En finir avec l’instabilité politique

Depuis 2014, Matteo Renzi s’est engagé à conduire trois grandes réformes : celle du marché du travail (c’est fait depuis l’adoption des différents textes du Jobs Act, en 2014-2015), la loi électorale (elle a été votée mais n’entrera sans doute jamais en vigueur) et enfin la réforme de la Constitution, votée définitivement par le Parlement mais qui devait être soumise à référendum.

L’objectif est d’accélérer le travail parlementaire, et de mettre un terme définitif à l’instabilité gouvernementale. Soixante-deux gouvernements se sont succédé depuis 1945 (soit une durée de vie moyenne de trois cent soixante et un jours), ainsi que vingt-cinq présidents du Conseil.

Il s’agit aussi d’en finir avec la charge financière que représentent les 315 onorevole (les « honorables », comme il est d’usage d’appeler les sénateurs) qui sont parmi les parlementaires les mieux payés de l’Union européenne – ils touchent une indemnité nette mensuelle de 15 000 euros. Avec la réforme, les cent membres du Sénat ne toucheraient plus d’indemnité spécifique mais ils conserveraient le droit à des dédommagements pour leurs déplacements à Rome et pour l’exercice de leur mandat.

 Lire aussi :   Italie: le « oui » au référendum, un « oui » à la corruption

  • La nouvelle loi électorale

Une autre réforme politique, qui n’est pas soumise à référendum mais qui a été présentée par Matteo Renzi comme intrinsèquement liée au projet, a levé dans le pays, ces derniers mois, de très fortes oppositions : c’est la nouvelle loi électorale, « l’Italicum », adoptée le 6 mai 2015.

La nouvelle loi divise le pays en une centaine de circonscriptions. Si un parti dépasse 40 % des suffrages au niveau national, il raflera 340 des 630 sièges de la Chambre, le reste étant distribué entre les formations politiques ayant dépassé 3 %. Si aucune d’elles n’obtient 40 % des voix, un deuxième tour sera organisé entre les deux partis arrivés en tête.

La loi électorale utilisée en 2013, écrite en 2015 par le ministre Roberto Calderoni, qui l’avait lui-même qualifiée de « porcellum » (« cochonnerie »), contenait un système de prime majoritaire qui favorise la coalition arrivée en tête, en lui garantissant 340 des 630 sièges, tandis que le Sénat actuel est élu sur une base régionale, à la proportionnelle avec une prime majoritaire, par les Italiens de plus de 25 ans. Résultat : souvent la majorité à l’Assemblée n’est pas la même qu’au Sénat. D’où le blocage aux élections de 2013, lorsque le Parti démocrate avait obtenu la majorité absolue à la Chambre des députés mais pas au Sénat.

En privilégiant les partis aux dépens des coalitions, la nouvelle loi doit, selon ses concepteurs, favoriser la bipolarisation et condamner à la disparition ou à la reddition les petites formations qui jusqu’alors faisaient et défaisaient les majorités.

  • Les arguments des opposants

On trouve des opposants au projet sur la quasi-totalité de l’échiquier politiqueitalien : la Ligue du Nord (Matteo Salvini), Forza Italia (Silvio Berlusconi), le Mouvement 5 étoiles (Beppe Grillo), l’extrême gauche ainsi qu’une minorité de frondeurs au sein du Parti démocrate, pour une multitude de raisons parfois contradictoires entre elles.

Le référendum a aussi pris des allures de plébiscite. La responsabilité en revient à M. Renzi, qui a reconnu avoir fait une erreur en annonçant qu’il démissionnerait si le « non » l’emportait au référendum. De quoi donner des ailes à l’opposition.


02/01/2017
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LA VOTATION CITOYENNE, CETTE EXCEPTION SUISSE

LE MONDE IDEES |  • Mis à jour le  | Par 

Le référendum d’initiative populaire a été « inventé » par le marquis de Condorcet, en 1793. Outil d’expression directe de la volonté du peuple pour certains, ce système encouragerait, selon d’autres, les dérives populistes.

 

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Ils sont fous, ces Suisses ! Le 5 juin 2016, ils ont procédé à une votation citoyenne portant sur cinq thèmes : l’introduction d’un revenu de base inconditionnel (non : 76,9 %), une modification de la loi sur l’asile afin d’en accélérer les procédures (oui : 73,5 %), l’interdiction pour les entreprises fédérales de viser un but lucratif dans les services de base (non : 67,6 %), l’augmentation du produit des impôts affecté à la circulation routière (non : 70,8 %) et une modification de la loi sur la procréation médicalement assistée autorisant le diagnostic préimplantatoire (oui : 62,4 %).

Et voilà qu’ils recommencent ! Le 25 septembre prochain, ils glisseront à nouveau leurs bulletins de vote dans les urnes sur trois sujets : la réduction de l’empreinte écologique pour une économie verte, l’augmentation des rentes de l’assurance vieillesse et survivants (AVS), l’acceptation (ou non) d’une loi fédérale sur le renseignement.

Un vent de folie électorale aurait-il soufflé sur la petite Confédération helvétique ? Pas du tout. La votation y est monnaie courante. Depuis 1848, les électeurs l’ont pratiquée des centaines de fois à l’échelle fédérale – 80 de 2001 à 2010, 51 depuis 2011. Ce mécanisme vient rappeler que le principe du référendum ne se résume pas à la consultation sur le Brexit, lancée par un premier ministre soucieux de conserver son pouvoir. Ni à celle portant sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, bricolée par les pouvoirs publics après des années de conflit sur le terrain.

Aussi l’Italie et certains Etats américains

« Un référendum est évidemment plus démocratique s’il est à l’initiative d’une fraction du corps électoral que s’il est organisé par le pouvoir », rappelle Loïc Blondiaux, professeur de science ­politique à l’université ­Paris-I. Réel instrument de démocratie directe, l’initiative populaire reste pourtant très limitée dans le monde. Seuls la Suisse, l’Italie et certains Etats américains (la Californie notamment) la pratiquent de façon courante.

Dans ces pays et Etats, elle donne aux électeurs un droit de veto sur certains textes que le Parlement vient d’adopter. Les initiateurs d’un projet doivent réunir un nombre préétabli de signatures (500 000 en Italie, 50 000 en Suisse) ; si ce nombre est atteint, les pouvoirs publics sont tenus d’organiser un référendum ; en cas de réponse favorable au texte, le Parlement doit nécessairement discuter d’une modification de la loi.

A côté de cette ­consultation de type abrogatif, une fraction du corps électoral peut aussi, en Suisse et en Californie, demander par référendum l’adoption de textes législatifs. Le dépôt de l’initiative ­populaire (signée par 100 000 électeurs au minimum en Suisse) entraîne automatiquement l’organisation d’un référendum, à l’issue duquel la norme proposée, si le vote lui est favorable, doit être étudiée par le Parlement.

En France ? Rien, ou presque. La votation populaire n’est pas prévue par la Constitution, qui attribue l’initiative du référendum au seul président de la République. Son principe avait pourtant été suggéré de longue date par un homme politique, et non des moindres : le marquis de Condorcet, qui en présenta les grandes lignes à la ­Convention nationale les 15 et 16 février 1793, an II de la République, au nom du Comité de constitution dont il était le chef de file.

L’un des articles du « Plan de constitution girondine » présenté ces jours-là précise :

« Lorsqu’un citoyen croira utile ou ­nécessaire d’exciter la surveillance des représentants du peuple sur des actes de constitution, de législation ou d’administration générale, de provoquer la ­réforme d’une loi existante ou la promulgation d’une loi nouvelle, il aura le droit de requérir le bureau de son ­assemblée primaire, de la convoquer au jour de dimanche le plus prochain pour délibérer sur sa proposition. »

Une proposition qualifiée de ­ « géniale » par Anne-Cécile Mercier, maître de conférences à la faculté de droit de Nantes. Car si beaucoup, à l’époque, s’accordaient sur l’idée de souveraineté populaire, la plupart y ­renonçaient devant la difficulté à la mettre en œuvre.

Le sens critique du citoyen

« Comment faire participer massivement un peuple illettré à la vie politique, et comment réunir l’opinion de millions de personnes réparties sur un vaste territoire ? La France n’est pas un canton suisse… Là réside précisément l’optimisme et la créativité du mécanisme de Condorcet », précise-t-elle dans un article intitulé « Le référendum d’initiative populaire : un trait méconnu du génie de Condorcet » ­(Revue française de droit constitutionnel, 2003).

Pour doter le citoyen de sens critique, le marquis préconise également un programme d’éducation spécifique. L’idée devient vite un enjeu d’affrontement entre Girondins et Montagnards, dont la victoire ­condamne le projet de Condorcet. ­Objet d’une popularité croissante au cours du XIXe siècle en Suisse et aux Etats-Unis, le référendum d’initiative populaire connaîtra un échec presque total en France. Nul n’est prophète en son pays…

Plus globalement, la culture ­politique française reste frileuse vis-à-vis du système référendaire. Loïc ­Blondiaux évoque même une allergie, « profonde et réitérée » :

« Cela date du coup d’Etat du 2 décembre 1851, et du plébiscite ­demandé au peuple par Louis-Napoléon, quelques semaines plus tard, afin de faire approuver son action. Inscrit dans la ­mémoire républicaine, cet épisode a marqué le référendum comme une arme au service des démagogues et du pouvoir personnel. Aujourd’hui encore, il y a une défiance à l’égard d’une participation citoyenne dans la vie ­politique française. Y compris à gauche. »

Mais si nombre de chercheurs et d’hommes politiques restent réticents à l’égard de la votation ­citoyenne, c’est aussi, et surtout, parce qu’ils craignent ses ­dérives populistes.

L’exemple de la Suisse leur donne en partie raison. Plusieurs votations, ces dernières années, y ont permis d’adopter les initiatives de l’Union démocratique du centre (UDC), la droite populiste, sur des sujets touchant à l’immigration ou la sécurité. Le 29 novembre 2009 – l’affaire avait fait grand bruit –, les électeurs avaient ainsi approuvé à 57,5 % l’interdiction de construire des minarets.

En ­février 2014 – soit avant la crise migratoire actuelle –, ils se sont aussi prononcés à 50,3 % en faveur de la « fin de l’immigration de masse ». L’essayiste suisse François Cherix, auteur de Qui sauvera la Suisse du populisme ? ­ (Slatkine, 164 p., 20 euros), estime que son pays est « bousculé par la multi­plication des initiatives populaires ­dangereuses ». Mais le durcissement ­xénophobe n’est pas systématique. En février dernier, les Suisses ont ainsi ­refusé, à 58,9 %, d’expulser les criminels étrangers de manière automatique. Et le système a ses avantages.

Pour Loïc Blondiaux, la votation ­citoyenne présente un effet positif ­indirect. « Pour ne pas aller jusqu’au ­référendum, on s’efforce de produire un consensus très en amont. Il s’agit alors véritablement d’un processus vertueux », affirme-t-il. « Les initiatives suisses ne révèlent pas systématiquement un peuple pétri de divisions, ignorant, peureux de l’autre et de l’avenir, renchérit Marion Paoletti, maître de conférences en science politique à l’université de Bordeaux. Elles ont aussi tendance à faire émerger les problèmes publics et à accroître le nombre d’acteurs engagés dans la discussion et la décision»

François Cherix lui-même, pourtant si critique à propos de la démocratie directe helvétique, pense qu’il faudrait injecter plus de ­référendum dans l’Hexagone. « En France, qui est ma seconde patrie, il y a une violence contenue de gens qui se sentent dépossédés de leur destin, ­estimait-il dans un entretien accordé en février dernier à Mediapart. C’est un système binaire : le peuple contre le roi. Il faudrait introduire des éléments de démocratie participative, avoir des processus de consultation plus fréquents. »

« Le bon vouloir des élus »

Non que rien ne soit fait en ce sens. Mais les pas sont si timides ! En 2008, la révision de la Constitution a ainsi ­introduit un nouveau dispositif, entré en vigueur début 2015, qui permet, dans certaines conditions, qu’un référendum soit organisé « à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ».

Mais l’initiative en revient en premier lieu aux parlementaires. En 2003, une autre réforme constitutionnelle avait instauré le principe du « référendum décisionnel local » dans les communes, les départements et les régions. Organisé à l’initiative des élus, celui-ci permet aux électeurs d’influer par leur vote sur l’avenir d’un projet relevant de la compétence de la collectivité (l’implantation d’éoliennes, la création d’une police municipale, etc.). Le projet vaut décision si 50 % au moins des électeurs inscrits ont pris part au scrutin et si le vote réunit la majorité des suffrages exprimés. Un mécanisme qui, pour Marion Paoletti, reste largement insuffisant :

« Ce type de consultation répond une fois de plus à une logique descendante, car elle dépend du bon vouloir des élus locaux, observe-t-elle. L’initiative ­populaire répondant à une logique ­ascendante, elle, reste bloquée : les ­citoyens ne peuvent que demander – et pas forcément obtenir – à leurs élus de bien vouloir organiser un vote, et ­celui-ci, quand il est à leur initiative, n’est que consultatif. Cela traduit une véritable infériorisation des citoyens par ­rapport aux élus. »

Une pratique bien différente de celle qui prévaut en Allemagne, où l’initiative communale émanant des citoyens est décisionnelle ­au-delà d’un certain pourcentage de ­signatures, variable selon les Länder.

Depuis 1975, plus de 4 000 initiatives populaires communales ont ainsi été menées dans les différentes communes germaniques. « Dans certains ­Länder, elles constituent un réel outil de mise sur agenda de problèmes politiques locaux », précise Christophe ­Premat, chercheur en science politiques et député (PS).

Auteur de La Pratique du référendum local en France et en Allemagne (Editions universitaires européennes, 2010), il considère le ­mécanisme à la française comme relevant seulement de la démocratie semi-directe. « En France, la démocratie ­locale signifie, pour les élus, un ­accroissement de leurs prérogatives ou, tout au plus, une meilleure communication avec leurs administrés. Des expérimentations sont possibles, mais elles restent circonstanciées. » La démocratie directe, elle, reste à inventer.




19/11/2016
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LA DÉMOCRATIE AUTREMENT. 1|6 : LE BUDGET PARTICIPATIF

LE MONDE IDEES |  • Mis à jour le  | Par 


A Paris, Rennes, Grenoble ou Metz, les citoyens sont invités à proposer et à voter les projets d’investissement de leur municipalité. 

Une fois encore, plusieurs milliers ont répondu à l’appel. En février dernier, pour la troisième année d’affilée, les ­Parisiens ont été incités à proposer à la mairie leurs projets d’investissements dans le cadre du budget participatif 2016. Cinq semaines plus tard, à la clôture de cette invitation, 3 162 idées avaient été déposées sur la plate-forme numérique Budgetparticipatif.paris.fr. En 2015, sur les 5 115 projets recueillis, 654 avaient été sélectionnés par la Ville, puis soumis aux votes des citoyens : près de 67 000 ont voté, et 187 projets ont été retenus pour être financés dès cette année.

 

Lire l’entretien :   Pierre Rosanvallon : « Créer un sentiment de démocratie permanente, de démocratie continue »

 

Certains font rêver. La plupart d’entre eux (179) concernent les arrondissements : peinture de marelles dans les écoles du quartier Saint-Ferdinand (12 000 €) ; ajout de bancs et de chaises au parc Montsouris (50 000 €) ; réalisation d’une arche d’arbres fruitiers rue Montorgueil (40 000 €). Huit autres, plus ambitieux, sont destinés à l’ensemble de la ville : redonner vie aux kiosques à musique avec des troupes de spectacle (3,7 millions d’euros) ; reconquérir l’ancienne voie de chemin de fer de la Petite Ceinture à l’aide de promenades, buvettes, espaces culturels et potagers partagés (7,5 millions) ; développer l’aide aux précaires en rénovant les bains-douches et en développant des bagageries gratuites (4,4 millions). Tous ces programmes ont commencé à être mis en œuvre.

« Donner la parole et le pouvoir aux habitants »

Cet appel aux Parisiens à « intervenir directement » dans les choix budgétaires de la mairie a été lancé par Anne Hidalgo en 2014. Dans un texte fondateur, la maire y défend l’idée que l’« intelligence collective » et la « participation citoyenne » sont « les outils les plus puissants » pour élaborer les politiques publiques. Selon elle, les contributions des Parisiens participent de « la vocation essentielle de la démocratie », qui ne doit pas s’arrêter au lendemain des élections, mais doit « donner la parole et le pouvoir aux habitants ». En 2016, 100 millions d’euros sont consacrés à ce budget participatif – soit 5 % du budget annuel de la Ville. D’ici à 2020, 500 millions d’euros lui seront affectés.

Bien sûr, le passage de l’utopie à la mise en œuvre a été compliqué. Anne Hidalgo et son équipe ont vu par exemple fleurir des propositions pour rénover les écoles de Paris : insonorisation des salles, rénovation des toilettes, installation de garages à vélos. Aussitôt, les syndicats d’enseignants et de parents d’élèves ont protesté : la mairie de Paris ne devait pas inclure dans son budget participatif ce qui relève de « ses obligations ». D’autres propositions concernaient l’aménagement des stations de métro : ouverture la nuit, stations abandonnées transformées en galeries ou en salles de spectacle. Mais, comme le rappelle Pauline ­Véron, l’adjointe en charge du budget, « le réseau métropolitain est exploité par la RATP, pas par la Ville de Paris. »

Pour aider les Parisiens à cadrer leurs projets comme à réfléchir à la chose publique, la mairie a établi trois critères : ils doivent concerner « l’intérêt général » et ne pas présenter d’« éléments à caractère commercial » ; ils relèvent de « la compétence de la Ville », pas d’un financement privé ; ils dépendent du budget d’« investissement » (dans l’équipement ou l’espace public, par exemple) et non de « fonctionnement » (l’ouverture d’une crèche impliquant l’embauche de personnel, un entretien permanent, etc.). Mais cela ne suffit pas toujours à éviter « le paradigme de la rue Jourdain », décrit par le sociologue Yves Sintomer dans l’ouvrage collectif Les Budgets participatifs en Europe. Des services publics au service du public (avec ­Carsten Herzberg et Anja Röcke, La ­Découverte, 2008).

Discussions « horizontales »

La rue Jourdain est à La Rochelle. ­Début 2000, des habitants lancent une pétition pour en faire un sens unique afin de réduire les embouteillages. La Ville accepte, mais le trafic se reporte sur un quartier voisin. Ses habitants pétitionnent à leur tour… ­Finalement, la Ville a décidé de fermer la rue Jourdain aux voitures – ce qui ne résout rien. L’exemple soulève une difficulté récurrente : les habitants sollicités réagissent souvent de façon localiste et égoïste, selon le principe du « pas chez moi ». Ils défendent leurs intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général. C’est ainsi que de nombreux projets sociaux – services d’aide aux sans-domicile-fixe, ouverture d’une salle de shoot – rencontrent souvent une opposition irréductible. D’où la méfiance des élus devant la participation citoyenne.

A Paris, on cherche à contourner la difficulté en organisant des discussions « horizontales ». C’est le principe des groupes de « coconstruction ». Pour les mettre en place, les gens des quartiers se rencontrent, les édiles interviennent, les projets proches sont fusionnés par thèmes pour être ensuite discutés. Pour Pauline Véron, élue du 9e arrondissement, la coconstruction permet de « renforcer les liens entre les citoyens, les institutions et leurs représentants, et d’assurer toujours davantage de transparence dans la gestion des finances municipales ». Mais aussi d’« inventer une pédagogie de l’action publique ».

Réelle avancée ou gadget démocratique à l’usage des citadins privilégiés ? A la gauche du PS, le budget participatif de Paris a été critiqué comme étant trop limité dans son application. Danielle Simonnet, élue Front de gauche du 20e arrondissement, parle d’un concept utilisé « abusivement », car il concerne seulement 5 % des investissements. Selon elle, « la vraie proposition serait de le généraliser à l’ensemble des choix budgétaires, voirie, espaces verts, espaces publics ». Il devrait aussi permettre de discuter des impôts qui financent ces budgets, et de leur répartition selon les moyens des administrés. Ce serait là, affirme-t-elle, un véritable choix politique, « dans la lignée de ce qui se fait à Porto Alegre » (1,5 million d’habitants), la capitale de l’Etat du Rio Grande do Sul au Brésil, dont l’expérience en la matière est souvent invoquée par les défenseurs de la démocratie participative.

SELON LE SOCIOLOGUE YVES SINTOMER, L’EXPÉRIENCE DE PORTO ALEGRE A FORMÉ « UN VÉRITABLE “KIT INSTITUTIONNEL”, QUI PEUT ÊTRE IMPORTÉ, ADAPTÉ ET MODIFIÉ DANS D’AUTRES CONTEXTES »

L’aventure de Porto Alegre commence en 1988, quand le Parti des travailleurs (PT) remporte la mairie. L’équipe s’aperçoit que la quasi-totalité du budget est accaparée par les dépenses de fonctionnement, et que rien n’est laissé à l’investissement. Parallèlement, dans les quartiers populaires, les associations communautaires manifestent, exigeant des moyens pour les écoles, la voirie, les logements, les égouts. Le maire, Olivio Dutra, décide de jouer la transparence : il explique son manque de moyens, et propose aux collectifs d’habitants de Porto Alegre de participer à l’élaboration des finances municipales, recettes comprises, en tenant compte des besoins des plus défavorisés.

C’est ainsi que naît, en 1989, le premier orçamento participativo, ou budget participatif, du Brésil. Une Union des associations des résidents de Porto Alegre est créée, qui travaille avec la mairie. Une des premières décisions va être de réformer l’impôt municipal au bénéfice des plus démunis, en instituant une taxe progressive sur l’immobilier qui fixe des taux supérieurs aux habitants des quartiers bien lotis et aux propriétaires de bureaux. Après un démarrage hésitant – 700 habitants contribuent en 1989 –, la participation des milieux populaires à l’élaboration du budget s’accroît d’année en année, jusqu’à regrouper 18 500 personnes en 2002 et 15 000 en 2011 – malgré la défaite du PT.

Mobilisation citoyenne

Dans les années 2001-2004, l’expérience de Porte Alegre a rayonné dans tout le Brésil. D’après les études d’Yves Sintomer, elle a été reprise dans 200 villes brésiliennes, dont Brasilia, Belem, Sao Paulo. Puis en Argentine, au Pérou, en Equateur. Et enfin en ­Europe. Car l’expérience brésilienne a été testée et formalisée au cours des années, jusqu’à former, dit Sintomer, « un véritable “kit institutionnel”, qui peut être importé, adapté et modifié dans d’autres contextes, comme, à une autre échelle, les Constitutions américaine et française purent se diffuser ».

En France, à la suite de la loi Vaillant de 2002 sur la démocratie de proximité, influencée par Porto Alegre, des conseils de quartier ont été créés dans les villes de plus de 80 000 habitants. S’appuyant sur eux, plusieurs villes de la gauche plurielle ont mis en place des ébauches de budget participatif : Arcueil, Bobigny, La Courneuve, Saint-Denis. Il s’agit plus de consulter les habitants – la campagne « Parlons franchement » à Bobigny – ou de réunir citoyens et élus – les « démarches quartier » à Saint-Denis – que d’une véritable participation. Mais quelques villes – Grigny, Grenoble, ­Paris, Metz, Montreuil, Rennes – sont allées plus loin, en offrant aux habitants la possibilité d’élaborer leurs projets et de disposer d’un budget municipal important.

Lire aussi :   Une autre façon de faire de la politique

A Rennes, une première expérience de budget participatif, « La fabrique citoyenne », a ainsi été lancée en novembre 2015. En un mois, 992 propositions ont été faites, dont 54 ont été retenues à l’issue des votes de 7 000 habitants. Parmi eux : l’installation d’une guinguette en centre-ville (50 000 €), des chemins pour fauteuils roulants et poussettes (100 000 €), la mise en place d’éoliennes urbaines (62 000 €)…

La ville de Rennes y consacre, comme Paris, 5 % de son budget d’investissement, soit 18 millions d’euros. Le 1er décembre 2015, la maire, Nathalie Appéré (PS), a remercié les habitants de leur mobilisation, déclarant sur le site de La fabrique citoyenne : « Beaucoup de citoyens se sentent aujourd’hui éloignés, ou parfois exclus, des choix politiques, dont ils constatent pourtant les conséquences sur leur vie quotidienne. Avec le budget participatif, nous faisons appel à votre expertise et votre volonté d’engagement. » CQFD ?


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19/11/2016
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LA DÉMOCRATIE AUTREMENT. LE TIRAGE AU SORT

LE MONDE IDEES |  • Mis à jour le  | Par 


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Utilisé massivement dans la Grèce antique, le procédé est tombé en désuétude au profit de la démocratie représentative. Ses partisans soutiennent qu’il permet d’assurer l’égal accès des citoyens aux charges politiques. Pour ses détracteurs, il ôte au peuple le pouvoir de choisir ses représentants.

Il a suffi, au printemps, qu’Arnaud Montebourg prononce le mot de « tirage au sort » pour susciter condescendance et ironie. Il rêvait que des citoyens désignés de cette manière contrôlent l’utilisation de l’argent public ou le respect des engagements politiques.« Démagogie », ont soupiré les uns. « Populisme », ont tempêté les autres. Des réactions qui rappellent le chœur d’indignation soulevé en 2007 par Ségolène Royal : en proposant des jurys citoyens tirés au sort, elle révélait ses « penchants ­robespierristes » et son goût pour les « tribunaux populaires à la Pol Pot ou à la Mao Zedong ». La candidate socialiste, accusait Nicolas Sarkozy, se plaçait dans une logique « outrancièrement populiste ».

Le mot ferait sans doute sourire Yves Sintomer, professeur de science politique à Paris-VIII. « Cette indignation est le symptôme du repli frileux de la classe politique sur elle-même », écrit-il dans Petite histoire de l’expérimentation démocratique (La Découverte, 2011). Le tirage au sort, en effet, n’a rien d’un caprice de sans-culottes ou d’une dérive totalitaire : dans la longue histoire de la démocratie, il a souvent été, au contraire, un puissant outil au service de l’égalité des citoyens et du partage du pouvoir. « Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie, le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie », résumait Montesquieu. C’est cette vieille tradition démocratique que les pays occidentaux, depuis une trentaine d’années, tentent de faire revivre.

Retour aux sources

Après la tourmente financière de 2008, l’Islande a ainsi confié à une assemblée de 1 000 citoyens tirés au sort le soin de définir les principes de la future Loi fondamentale. Dans la province canadienne de Colombie-Britannique, une assemblée de ­160 citoyens ainsi sélectionnés a proposé, en 2004, un nouveau mode de scrutin qui a ensuite été ratifié par référendum. En Irlande, en 2012, une commission composée de 33 responsables politiques et de 66 citoyens choisis par tirage au sort a réfléchi à la modernisation de la Constitution.

Si la méthode est en vogue, c’est qu’elle fait souffler une salutaire brise démocratique sur les institutions à bout de souffle des pays occidentaux. Depuis quelques décennies, celles-ci sont minées par une crise de légitimité sans précédent : la professionnalisation des hommes politiques, l’homogénéité sociale des élus, l’absence de rotation des mandats ont, au fil des décennies, fait de la politique un monde à part. En introduisant des citoyens au cœur de la délibération démocratique, le tirage au sort constitue, aux yeux de ses partisans, une belle promesse de renouveau. Promesse qui revient aux sources mêmes de ce régime politique, puisque le procédé était massivement utilisé à l’âge d’or de la démocratie athénienne, aux Ve et IVe siècles avant Jésus-Christ.

A l’époque de Périclès, son usage concernait même la grande majorité des magistratures. « Ce n’est pas pour des charges politiques marginales, ni pour des procédures de consultation de l’humeur du peuple, que les Athéniens pratiquaient le tirage au sort,écrivent les politistes Manuel Cervera-Marzal et Yohan Dubigeon, dans un article publié en 2013 par la revue Raisons politiques. Il s’agissait d’un élément central de la politique athénienne, une clé de voûte de sa démocratie. » Si l’usage finit par se perdre en Grèce, il renaît en Italie au Moyen Age. ­A Venise, jusqu’à la mort de la Sérénissime République à la fin du XVIIIe siècle, la procédure qui permet de désigner le doge combine élection et tirage au sort : la main innocente du destin est celle du premier enfant de 8 à 10 ans que croise, dans la rue, le benjamin du Grand Conseil. A Florence, au XIVe siècle, une partie des charges gouvernementales et administratives sont attribuées de manière aléatoire : les noms des candidats sont déposés dans des bourses, puis tirés au sort.

Une rupture majeure dans la tradition républicaine

Au moment de la fondation des démocraties modernes, à la fin du XVIIIe siècle, le tirage au sort connaît cependant une longue éclipse. Non parce que les procédures aléatoires ont sombré dans l’oubli, mais parce que les pères fondateurs des révolutions française et américaine choisissent de confier la direction des affaires publiques à une élite éclairée. Dans ses ­Pensées sur le gouvernement (1776), John Adams, le deuxième président américain, explique ainsi que la loi, en démocratie, doit être écrite, non par l’ensemble du peuple, mais par « quelques-uns des meilleurs et des plus sages ». Quelques années plus tard, les révolutionnaires français de 1789 mettent leurs pas dans ceux de leurs homologues américains : la République tourne le dos au tirage au sort en instituant un pouvoir représentatif élu. Si ce choix nous paraît aujourd’hui naturel, tant l’équation « démocratie = élections » nous semble évidente, il constitue une rupture majeure dans la tradition républicaine.

 

« LES CITOYENS TIRÉS AU SORT N’ONT PEUT-ÊTRE PAS LES COMPÉTENCES DES POLITICIENS DE MÉTIER, MAIS ILS ONT UN AUTRE ATOUT  : LA LIBERTÉ » 
DAVID VAN REYBROUCK, ÉCRIVAIN BELGE

« Jusqu’aux décennies précédant les révolutions française et américaine, le caractère plus démocratique du tirage au sort et plus aristocratique de l’élection semblait constituer une chose acquise pour tous ceux qui réfléchissaient sur les types de gouvernement », souligne Yves Sintomer. Dans Principes du gouvernement représentatif, publié en 1993, le politiste Bernard ­Manin décrypte longuement cette rupture, en insistant sur le caractère « élitiste » de la démocratie représentative. Celle-ci, ­explique-t-il, cherche à faire émerger un gouvernement fondé non pas sur le principe de la participation de tous, mais sur celui de la distinction de quelques-uns. Un penchant déjà dénoncé comme oligarchique, au IVe siècle avant Jésus-Christ, par Aristote. « Il est considéré comme démocratique que les magistratures soient attribuées par le sort, et comme oligarchique qu’elles soient électives », écrivait-il.

C’est cette inspiration élitiste de la démocratie représentative que critiquent aujourd’hui les partisans du tirage au sort. Aucun ne plaide cependant en faveur de ce procédé pour toutes les fonctions politiques. « J’aurais horreur d’une France, d’une Belgique ou d’une Allemagne où le ministre du budget serait tiré au sort, expliquait, en 2014, l’écrivain David Van ­Reybrouck, qui a organisé, en 2011, un grand sommet citoyen à Bruxelles. Le tirage au sort permet simplement de constituer un échantillon équilibré de gens à qui on donne le temps et les moyens nécessaires, au contact d’experts, pour se forger une opinion et parvenir à une vision sociétale qui va beaucoup plus loin que les élections, les sondages et les référendums. »

Elargir le cercle de la citoyenneté

Plans de circulation locaux, utilisation des tests génétiques par les assurances, recyclage des déchets : depuis les années 1980, des jurys de citoyens tirés au sort permettent ainsi, en Allemagne, au Royaume-Uni, au Danemark ou aux Etats-Unis, d’élargir le cercle de la citoyenneté et de renforcer la délibération démocratique. « Si les citoyens sont bien informés, s’ils sont assistés par des experts et si les débats sont approfondis et contradictoires, la dynamique d’élaboration collective peut être plus fructueuse que dans une assemblée politique, où les élus adoptent des jeux de posture définis par des rapports de force préalables », constate Yves Sintomer. Dans des démocraties minées par la médiocrité des campagnes électorales, le tirage au sort présente une précieuse vertu : alors que l’élection suscite passions et divisions, le tirage au sort assure le sérieux et la neutralité des débats.

« Le sort est une façon d’élire qui n’afflige personne », écrivait Montesquieu. « Le risque de corruption est atténué, la fièvre électorale se dissipe et l’attention pour le bien commun se renforce, renchérit David Van Reybrouck en 2014. Les citoyens tirés au sort n’ont peut-être pas les compétences des politiciens de métier mais ils ont un autre atout : la liberté. Ils n’ont pas à se faire élire ou réélire. » Dans un monde où les élites politiques reflètent mal la diversité sociale et ethnique des citoyens, cette sélection aléatoire permet en outre à tous d’avoir les mêmes chances d’accéder au pouvoir : elle garantit, selon Bernard Manin, l’« égale probabilité d’accès aux charges politiques » alors que l’élection favorise toujours les mieux dotés, socialement et culturellement. « Ceux qui récoltent le plus grand nombre de fèves [de voix] sont nécessairement ceux qui ont eu le plus de chance au jeu de dés de la vie », constatait déjà, à la fin du XVe siècle, le Florentin Francesco Guicciardini, porte-parole des milieux populaires.

Reste que les objections au tirage au sort ne manquent pas – la première étant celle de la compétence. Certains, en effet, contestent son « postulat d’égale capacité », selon le mot de la politiste américaine Barbara ­Goodwin : ils craignent que le règne du hasard devienne celui du « n’importe qui ». Les études montrent pourtant que les membres des jurys citoyens prennent leur tâche au sérieux, réfléchissent posément et honnêtement aux questions posées et rendent des avis argumentés. « Ce qui fait la légitimité d’un maire ou d’un ministre, c’est sa capacité, au terme d’une discussion informée et contradictoire, à rendre un avis politique sur une question, note M. Sintomer. Cette capacité n’est pas réservée aux professionnels de la politique : elle peut être celle de n’importe quel citoyen. »

 

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La deuxième objection concerne le principe du consentement, qui est l’une des conquêtes du citoyen moderne. Le vote lui permet en effet de désigner ses élus en fonction de ses convictions, alors que le tirage au sort, par définition, lui ôte ce pouvoir de choisir ses représentants. « C’est vrai, et c’est en partie pour cela que le tirage au sort est souvent réservé à des procédures de contrôle ou articulé avec d’autres procédures démocratiques comme le référendum, poursuit Yves Sintomer. Dans ce cas, l’instance rend un avis, mais c’est un élu ou une élection qui tranche. Il ne s’agit pas de supprimer les partis et les élections, mais de les associer à d’autres mécanismes. » Pourquoi refuser, conclut-il, « la richesse de l’invention démocratique » ?

 

 


19/11/2016
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