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partie 5. Les répertoires de l'action collective


5.1. Le vote est le répertoire central de l’action politique

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L’idéal démocratique repose sur la conception que le pouvoir politique procède du peuple souverain. Il ne peut donc y avoir de démocratie sans implication, sans participation du citoyen à la vie politique, c'est à dire sans citoyen actif.  La participation politique est l’ensemble des activités par lesquelles les citoyens sont habilités à entrer en contact avec l’univers sacré du pouvoir en respectant certaines contraintes rituelles. L’implication du citoyen dans la vie politique institutionnalisée est couramment appelée la participation conventionnelle. C’est autour de l’élection et donc de l’acte de vote que s’ordonne cette participation conventionnelle, mais nous pouvons étendre celle-ci à tout ce qui concourt à produire le processus électoral (intérêt porté à la vie politique par l’écoute des émissions politiques, lecture de la presse, discussions et débats politiques, participation à des meetings, soutien à des partis, adhésion et militantisme. La participation protestataire implique, quant à elle, des actions collectives de citoyens unis par des revendications communes et repose sur des participations non conventionnelles.  

 

5.1. Le vote est le répertoire central de l’action politique

 

A.  Une petite histoire du vote

Pour certains, qui s’appuient sur la pensée de Jean-Jacques Rousseau, le vote est un droit (théorie de "l’électorat-droit ") dont dispose tout citoyen. Si le corps électoral compte 10 000 citoyens, chacun de ces citoyens dispose d’un dix millième de l’électorat.

Pour d’autres, au premier rang desquels l’abbé Sieyès, qui va la théoriser dans son pamphlet Qu’est-ce que le Tiers-État ? (1789), il faut mettre en œuvre la théorie de "l’électorat-fonction". Dans cette perspective, le vote "appartient" à la Nation, et c’est donc à cette dernière qu’il revient de déterminer quels citoyens sont aptes à remplir cet office. L’électorat n’est dès lors qu’une fonction et tout citoyen ne peut exiger de disposer du droit de vote. Cette théorie permettra, dans la Constitution du 3 septembre 1791, de justifier le suffrage censitaire réservé aux citoyens dits "actifs", c’est-à-dire ceux qui acquittent un impôt d’un certain niveau. Or, selon certains juristes, cette théorie de l’électorat-fonction justifierait la mise en place du vote obligatoire. Si la Nation confie à certains le soin de constituer l’électorat, ceux-ci sont investis d’une fonction essentielle dans l’État. Ils doivent donc impérativement remplir cette fonction.

Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, un mouvement de réforme concerna tous les pays ayant institué des élections. Au secret du vote comme une garantie de sa liberté, on se préoccupa partout d'isoler l'électeur au moment de choisir son vote. Un instrument nouveau fut adopté quoiqu'il parût toujours fort bizarre : l'isoloir. L’ancienne procédure électorale du vote secret en public accomplissait une fonction de  contrôle censitaire du vote.  Les électeurs restaient toujours sous les regards des membres du bureau de vote. En disparaissant derrière un rideau, l’électeur échappait provisoirement à tout contrôle.  Il fallut attendre la loi du 29 juillet 1913, intitulée la loi "ayant pour objet d'assurer le secret et la liberté des opérations électorales" pour instaurer en France la procédure actuelle du vote, avec ses instruments que sont l'isoloir et l'enveloppe.

 

B. Comment analyser le vote ?

Un utilitarisme étroit, tel que celui développé en 1957 par Anthony Downs dans un ouvrage au titre explicite : An Economic Theory of Vote, pose que le vote est un acte irrationnel. Le politiste américain cherchait à mesurer " le gain net " qu'un individu peut retirer de sa participation. Il est égal, selon cet auteur, aux bénéfices supplémentaires qu'il escompte de la victoire de " son " candidat multiplié par la probabilité que sa propre voix pèse sur l'issue du scrutin, opération dont il faut soustraire les divers coûts (information, déplacement, renoncement à d'autres activités, etc.) liés à l'acte même de voter. Downs remarque alors que le gain en question sera presque toujours négatif du fait de l'extrême faiblesse de la probabilité. Dans ces conditions, pourquoi voter ?

Il est pourtant nécessaire de s'éloigner de ce cadre assimilant le citoyen à un consommateur et de prendre en compte les contextes sociaux et historiques pour saisir les motivations réelles des électeurs. Loin de se réduire à une simple opération d'enregistrement des opinions, l'élection représente en effet un véritable rituel qui s'est imposé au prix d'une longue entreprise d'acculturation civique. Le vote a une dimension symbolique car en votant l’électeur fait plus qu’exprimer ses opinions : il exprime en même temps une forme de fidélité et d’engagement à l’égard de la communauté des citoyens dans laquelle il se reconnaît. Produit d’un processus historique d’acculturation civique, l’acte électoral correspond, tout d’abord, à un système de contraintes, de postures, de croyances, auquel les électeurs doivent s’accoutumer. C’est dans cette contrainte comportementale qu’il faut voir la première fonction du rituel électoral dont le déploiement est autorisé  par  l’existence  même  des  bureaux  de  vote :  ce  dernier  a  l’ambition de rappeler à l’électeur qu’il doit accomplir un acte épousant une scénographie  spécifique,  adopter  certaines  attitudes  réfléchies  (se  découvrir, maîtriser ses faits et ses paroles à l’intérieur de la salle de vote…), réaliser un  certain  nombre  de  gestes  ordonnés  dont  le  caractère  solennel  est  le plus souvent fortement souligné.

 

C. Peut-on mettre en place une machine à voter numérique et le vote sur internet ?

 

La machine à voter pose un problème de fraude, il est techniquement possible de falsifier les résultats des machines à voter, mais il faut pour cela accéder physiquement à la machine. Pour certains, le vote électronique est plus sûr que le vote papier, durant lequel il existe mille et une manière de frauder lors du dépouillement, mais pour d’autres on pourra toujours trouver des moyens technologiques. Quand on dématérialise le vote, il devient intrinsèquement invérifiable, parce que le vote est anonyme. Or, en informatique, pour pouvoir effectuer une vérification, il faudrait s'appuyer sur une trace, et donc pouvoir vérifier à quel nom correspond quel vote.

                  Le vote sur Internet pourrait (re)mobiliser des catégories d'électeurs peu enclins à voter jusqu'à présent dans des bureaux de votes : les jeunes et les électeurs situés loin des urnes sont particulièrement visés. La participation des étudiants notamment, une classe d’âge souvent à l'aise avec les technologies numériques mais aussi fréquemment enregistrés dans des bureaux de vote situés loin de leur localisation réelle, pourrait considérablement augmenter. Les électeurs habitant dans des zones isolées, situées à plus de 30 minutes en voiture d'un bureau de vote, sont eux aussi susceptibles d'être attirés par le vote sur Internet.  

Des analyses ont montré que  les électeurs votants irréguliers et les abstentionnistes, sont ceux dont le niveau de mobilisation politique est potentiellement le plus affecté par l’introduction du vote électronique.

 

  1. Donner les définitions des mots suivants : participation conventionnelle, participation non conventionnelle
  2. Comment a été justifié le vote censitaire ?
  3. Quelles transformations connaît le vote au milieu du XIX° siècle ?
  4. Une analyse économique du vote est-elle suffisante pour l’expliquer ?
  5. Cherchez la définition de rite. Montre que l’on qualifier le vote de rite.
  6. Expliquez la phrase soulignée
  7. Quels sont les avantages et les inconvénients de la machine à voter et du vote sur internet ? ( faîtes un tableau)

14/04/2016
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5.2. Les dimensions individuelles et collectives de l’action de protestation politique

A . Les répertoires d’action collective évoluent au cours du temps

 

La notion de répertoire d’action collectives fait référence aux travaux de Charles Tilly qui a montré les différences qui peuvent opposer de façon tranchée les façons de faire des contestataires des XVIIe et XVIIIe siècles à celles des contestataires des XIXe et XXe siècles et de regrouper les moyens d’action dont ils se servent pour s’exprimer et exprimer leurs revendications, leurs peurs, leurs haine… Aux mouvements spontanés et locaux des sociétés traditionnelles, se sont ajoutés des actions collectives plus nationales comme les grèves encadrées par les syndicats et cherchant à faire pression sur l’Etat au XIX, puis au XXeme siècle des actions ciblées et symboliques organisées par des associations agissant en réseau.  La notion de répertoire d’action collectives permet de montrer que chaque groupe social maîtrise un certain nombre d’actions (pour des sans papiers par exemple, manifester ne va pas de soi ; pour des prostituées non plus), que ses actions permettent de mettre en scène une identité spécifique (LGBT par exemple) et pour finir que les ressources dont disposent les groupes sociaux sont différentes.

 

Les actions qualifiées de « non conventionnelles » ou «protestataires» , obéissent à une autre logique que celle de la participation électorale. Selon Sandra Laugier, dans ce type d’action, le citoyen reprend sa voix, que ce soit de façon individuelle (pouvoir parler en son nom propre au travers d’un blog, d’une tribune dans la presse…) ou collective au travers de formes de protestation collective (intermittents du spectacle qui défendent leurs droits en se montrant nus sur les toits de l'opéra, permettant de rappeler aux représentants qu’on ne leur a pas donné « un chèque en blanc ». Ce sont des actions directes, qui mettent face à face les citoyens et les détenteurs d'un pouvoir quel qu'il soit, sans passer par la médiation des élites et les canaux habituels de la démocratie représentative.

                  Faire grève, manifester, occuper des locaux professionnels, bloquer la circulation, séquestrer son employeur sont des actions collectives, qui mobilisent ensemble des groupes de citoyens plus ou moins nombreux. Ce sont des actions revendicatives, défendant une cause ou des intérêts communs. Ce sont des actions autonomes et expressives qui échappent largement à la contrainte d'un cadre juridique et institutionnel (militants antipub qui détournent les affiches publicitaires dans les couloirs de métro). L’initiative en revient aux individus, qui en définissent le moment, les modalités et les objectifs. Ce sont des actions contestataires, dirigées contre le pouvoir en place, la politique qu'il mène, ou toute autre cible (jeunes portant des masques blancs sur les plateaux de télévision pour dénoncer la situation faite aux stagiaires dans les entreprises). Elles peuvent éventuellement, mais non  nécessairement  déboucher  sur  des  actions  illégales (manifestation  ou  grève interdite  désobéissance  civile),  voire  violentes  (affrontement  avec  les  forces  de  l'ordre,  barricade  pillage, enlèvement…). Ce sont enfin des actions publiques, qui se donnent à voir et leur publicité est généralement une des conditions de leur succès.

Les militants d’aujourd’hui ont un niveau de diplôme élevé et une connaissance des médias. Les trois fondateurs d’Act Up à la fin des années 1980 étaient journalistes. Ce qui se joue également dans l’émergence de formes d’action misant sur le spectaculaire et la communication, c’est la question de la précarité de ces diplômés. Si les réseaux sociaux (numériques) ne constituent pas une vraie innovation dans les formes d’action militantes, ils permettent d’accentuer des modes d’actions préexistants plutôt que de réellement innover : par exemple, Act Up a beaucoup utilisé le minitel ; et RESF les fax des préfectures.

 

B. Quelques exemples : grève de la faim, boycott, et attaques informatiques.

 

Il existe de nombreuses formes moderne de l’action protestataire non conventionnelle individuelles comme la grève de la faim ou le boycott mais aussi des formes collectives.

La grève de la faim permet de dénoncer des injustices face à un public. La souffrance mise en scène va à la fois susciter un public et son apitoiement humanitaire, son indignation, et symboliser la violence infligée par l'adversaire politique, souvent l'Etat, qui emprisonne ou refuse de régulariser. La souffrance physique du gréviste atteste de l'authenticité de son engagement et de la légitimité de ses revendications. Le risque corporel témoigne de la sincérité du protestataire, cela montre qu'il croit réellement à la cause qu'il défend.

Le boycott consiste à ne pas acheter un bien pour protester contre les pratiques de l’entreprise ou du pays qui le produit et le buycott  à acheter un bien plutôt qu’un autre pour promouvoir une cause. Ce sont les deux pratiques devenues incontournables de la consommation engagée. Selon l’enquête European Social Survey de 2002-2003, 17,4 % des Européens ont boycotté des produits et 24,3 % en ont acheté pour des raisons politiques, morales ou environnementales, sans pour autant qu’il soit affilié à une organisation, partisane ou associative. Ces résultats invitent à voir dans la consommation engagée une forme de participation politique individualiste qui trouve son ressort dans l’adhésion à des valeurs, refusant d’indexer leur conduite sur des directives d’un parti politique ou d’une Église, ils puisent leur activisme dans un sentiment de responsabilité individuelle à l’égard du monde ainsi que dans une confiance dans les conduites d’autrui.  

                  Les attaques informatiques menées au nom de la liberté d’expression et de la justice sociale sous l’étiquette « Anonymous » se multiplient. Anonymous est emblématique des mouvements de contestation qui s’étendent depuis 2011 aussi bien dans le monde arabe qu’en Europe et aux Etats-Unis.  D’un côté, des structures hiérarchisées, avec des dirigeants habilités à parler au nom de tous par des procédures de délégation de pouvoir, mais dont la légitimité a été affaiblie par la corruption, le favoritisme, le détournement des institutions. De l’autre, des collectifs délibérément dépourvus de chefs, qui rejettent le principe de la représentation au profit de la participation directe de chacun à des projets concrets. Leur diversité permet que la prise de décision se fasse par agrégation rapide de participants sur un sujet précis, plutôt qu’en dégageant une majorité officielle.

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  1. Quel est l’objectif de C.Tilly ? Réaliser une frise montrant l’évolution des répertoires d’action collective

  2. Pourquoi ces actions sont-elles appelées non conventionnelles ?

  3. Quelles sont les caractéristiques des participations non conventionnelles ? modalités d’action, fonction, type d’acteur, rôle des réseaux sociaux

  4. Pourquoi parle-t-on d'individualisation de l'action collective ?

  5. En quoi la grève de la faim est-elle un moyen d'action politique ?

  6. Distinguez boycott et buycott

  7. Quel est le mode de fonctionnement des mouvements comme Anonymous ?

 

 


19/03/2018
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Quels sont les répertoires de l'action politique aujourd'hui ?

L Mathieu

 

Tout en insistant sur l'importance de l'acte électoral et de son rituel, on proposera une conception ouverte de la notion de répertoire d'action politique ne se résumant pas à la pratique régulière du vote. On présentera notamment les dimensions individuelles comme collectives de l'action de protestation politique. L'évolution des répertoires d'action politique sera appréciée tant dans le temps long des transformations de l'ordre politique démocratique que dans le temps court de la conjoncture politique.


07/11/2017
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