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partie 6 L'explication des comportement électoraux


6.2. Les explications du vote

A. Le vote s'explique par des variables sociologiques

  La publication de l’ouvrage pionnier d’André Siegfried, Tableau politique de la France de l’Ouest sous la IIIème république (1913), a permis de fonder une science méthodique et rigoureuse de l’analyse des comportements politiques. En étudiant les résultats électoraux de 14 départements entre 1871 et 1910, André Siegfried a souligné le rôle de la structure sociale et de la religion catholique dans la formation des comportements électoraux mais aussi celle de la géologie du sol. Il a observé que dans les zones granitiques, on vote à droite alors que l'on vote à gauche dans les zones calcaires. Derrière la géologie du sol, il y a en fait des variables cachées. La nature du sol granitique favorise la dispersion de l'habitat, la ruralité, la grande propriété foncière et le catholicisme où les figures sociales du noble du prêtre voire du notable jouent un rôle central. Tous ces facteurs, découlant indirectement de la nature du sol, peuvent contribuer à expliquer le vote à droite du nord de la Vendée. À l’inverse, le sol calcaire favorise un habitat plus resserré, l’urbanité, la petite propriété et la petite bourgeoisie. Le rôle de l’église y est moindre.

       Dans les travaux pionniers, il faut aussi noter ceux menés aux Etats-Unis, au sein de l’Université de Columbia visant à comprendre l’impact de la campagne présidentielle de 1940 sur la décision électorale. Sous la direction de P.Lazarsfeld, les auteurs ont pu montrer que les électeurs ruraux protestants et aisés avaient voté majoritairement pour le candidat républicain tandis que les électeurs urbains, catholiques et socialement défavorisés avaient voter majoritairement pour le candidat démocrate. Le modèle de Lazarsfeld est déterministe, une personne pense politiquement comme elle est socialement. Un constat qui relativise l'influence des campagnes et plus généralement celle des médias sur les orientations électorales. 

        Le modèle de l’université de Michigan met en avant le rôle d'une variable psychologique, « l’identification partisane », c'est-à-dire l'attachement plus ou moins, quasiment affectif, à une formation politique donnée, à leurs programmes et à leurs candidats qui oriente leurs préférences politiques. L’identification partisane, souvent forgée dès l'enfance au sein du milieu familial agit comme un raccourci cognitif qui filtre la vision du monde et épargne aux individus une attention soutenue à la vie politique, des personnes peu intéressées par la politique peuvent néanmoins participer aux élections et voter autant par habitude que par conviction.  L'identification partisane augmente avec l’âge, ce qui signifie que la mobilité sociale n’affecte pas l’identification partisane. Il faut donc plus se centrer sur la socialisation familiale que sur les facteurs sociaux pour comprendre le vote.  

  

L'analyse actuelle du vote en France réalisés au sein du CEVIPOF étayés par de nombreux sondages, permet de dégager les grandes variables sociologiques du vote : 

       Les variables socio-démographiques : Aujourd'hui hommes et femmes se répartissent à peu près également entre la droite et la gauche, même si les femmes continuent de manifester une plus grande réticence à l'égard des extrêmes. En ce qui concerne l'âge, il faut distinguer un effet d'âge et un effet de génération. Avec l'âge, on peut observer une tendance à voir décroître l'orientation à gauche : les personnes âgées ont une certaine préférence à droite ou au centre. Le vote à droite pour les personnes âgées tient cependant moins à un effet d’âge qu’à « un effet patrimoine ». A mesure que l'on vieillit, on accumule des éléments de patrimoine. Le fait d'appartenir à une génération peut cependant marquer durablement les comportements électoraux comme l'atteste le phénomène de désaffection politique et le mouvement de critique de la société de consommation de la génération qui a débuté en politique en 1968. 

 

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   Les variables socio-économiquesPierre Bourdieu a montré que les choix politiques pouvaient se comprendre à partir de la structure sociale, il existe un vote de classe. Le vote à gauche est plus généralement le fait d'individu dont le capital culturel est structurellement plus important que le capital économique tandis que le vote à droite concerne plus les personnes avec un relatif fort capital économique. La propriété et la place dans la production reste un élément clivant fort. 

 

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Plus récemment, Nonna Mayer a montré l'importance du clivage entre les travailleurs indépendants et les salariés. Les premiers votent très majoritairement à droite ou au centre, qu'ils soient agriculteurs, commerçants ou petits industriels ; les seconds votent beaucoup plus souvent à gauche. Au sein du monde des salariés, le classement des catégories socio-professionnelles en fonction de leur inclination vers la gauche se révèle d'une grande stabilité : les salariés du secteur public lui sont plus favorables que ceux du secteur privé ; de même, les ouvriers et les employés plus que et les cadres supérieurs. Le revenu permet aussi d’expliquer le vote droite / gauche : plus le revenu est élevé, plus les personnes votent à droite. Mais, la détention d’un patrimoine élevé est encore meilleur prédicteur d’un vote à droite comme le montre le vote des retraités.

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 Le sociologue américain Robert Alford  a construit un indicateur simple du vote de classe des ouvriers en faveur de la gauche. L’indice d’Alford rapporte la part d’ouvriers qui votent à gauche sur la part de non ouvriers qui votent à gauche.  Plus ce chiffre est élevé, plus il y a un vote de classe.  La baisse constante de l’indice d’Alford depuis le début des années 1970 en France comme en Europe et aux Etats-Unis peut s'interpréter comme un déclin du vote de classe. Cette diminution serait due au passage à la société post-industrielle où la tertiarisation de l’économie, la hausse du niveau d'étude et la « moyennisation » de la société viendraient brouiller les frontières de classe. Ces transformations éroderaient les clivages anciens, et rendraient les électeurs plus sensibles à la conjoncture et aux paramètres de l’offre électorale. Pourtant, de nombreux travaux ont montré la persistance du vote de classe, mais l’opposition principale ne passe plus entre ouvriers et non-ouvriers mais entre travailleurs indépendants et salariés 

 

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Des variables socio-culturelles : Un niveau d'études élevé augmente la propension à voter et à s'intéresser à la politique, mais en revanche le niveau de diplôme influence peu le vote droite / gauche. La religion demeure le facteur le plus prédictif des comportements électoraux. S'agissant de la France, les catholiques pratiquants réguliers sont toujours restés massivement réticents à un vote de gauche. Les catholiques pratiquants s’identifient davantage à des valeurs d’ordre, de sécurité, de légitimité, et aux valeurs familiales traditionnellement plus associés à la droite. Dans « Classe, religion et comportement politique » (1977), Guy Michelat et Michel Simon montrent que la variable religieuse explique mieux le vote que la variable de classe. En effet, le vote de gauche varie davantage en fonction de la pratique religieuse qu’en fonction de l’appartenance objective à la classe ouvrière. 

 

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 exercice

 

B.  Vote sur enjeu et volatilité électorale

 

Les variables lourdes ont une grande force explicative, cependant elles ne permettent pas de rendre compte des phénomènes de volatilité électorale, c'est-à-dire ces glissements brusques de l'électorat d'une formation vers une autre. 

 

Le vote sur enjeu, modèle concurrent au modèle déterministe du vote de classe est construit à partir du postulat d’un électeur rationnel qui opère un choix en cherchant simultanément à maximiser les avantages procurés par son vote et à minimiser les coûts occasionnés. Dans ce modèle, la compétition électorale est envisagée comme un véritable marché politique au sein duquel se rencontrent une offre et une demande. Les électeurs analysent l'action du gouvernement et suivent les indicateurs de l'état de l'économie, si les indicateurs sont bons, ils votent pour lui mais le sanctionnent en votant pour l'opposition dans le cas contraire. Les électeurs analysent aussi les programmes, les forces et faiblesses des candidats en fonction des enjeux du moment. Certains points du programme, notamment ceux concernant la lutte contre le chômage, la réduction de la dette font l'objet d'une attention importante. Le thème de la sécurité devient aussi peu à peu au fil des élections un thème central pas tant dans les sondages que dans par le traitement médiatique qui en est fait. 

 

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  Le vote sur enjeu permet d’expliquer la volatilité électorale. La part des électeurs qui modifient leur vote à chaque élection augmente depuis 30 ans. La volatilité principale est la mobilité entre abstention et vote, la deuxième volatilité est la mobilité interne à un camp, on reste dans sa famille mais on s'y déplace. La mobilité transgressive entre la gauche et la droite est plus marginale et ne concerne que 10% des électeurs, ce chiffre reste stable depuis le début de la V république. La conséquence de court terme c'est que des évolutions sont encore possibles jusqu'au dernier jour, au moins à la marge. 

 

La hausse de la volatilité et l'érosion des loyautés politiques peut s'expliquer par différents éléments : 

    La volatilité électorale croissante renvoie à un affaiblissement des formes de loyauté sur un modèle consumériste de l'infidélité aux marques et aux modes de vie conjugaux, aux religions. Autant la loyauté était, hier, connotée moralement, autant l'infidélité peut être aujourd'hui revendiquée. La baisse de la pratique religieuse atténue fortement le poids des variables sociologiques dans la détermination du vote. 

   Le développement de la classe moyenne ou du sentiment d'appartenir à la classe moyenne rend les clivages de classes et par conséquent les votes de classes moins prégnants

   La moindre pertinence du clivage gauche/droite fait que de nombreux électeurs ressentent aujourd'hui comme une contrainte la bipolarisation gauche/droite.  Les électeurs volatils ou "changeurs" sont plus importants chez tous ceux qui ne se situent ni à gauche ni à droite : centristes, les Verts, chez les "ni-nistes", les abstentionnistes. 

    

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    Les électeurs utilisent  aussi de plus en plus le vote aux extrêmes comme un moyen d'envoyer un message à leur parti, ainsi en 2002, le vote pour J.L. Mélanchon au premier tour. La différence entre le premier et le second tour est considérable. Au premier, on observe une extrême mobilité, au second une très grande solidité des intentions de vote. Un électeur sur deux a changé d'intention de vote en vue du premier tour, un sur cinq seulement en vue du second tour. 

 

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C. Communication politique et influence des médias sur le vote

 

L’analyse du comportement électoral permet de montrer que le poids des variables sociologiques est déterminant et que l’électeur rationnel faisant son marché reste minoritaire. On assiste cependant depuis les années 1960 à une véritable professionnalisation de la communication politique destinée à influencer les électeurs par le biais des différents médias. Amplifiée aujourd’hui avec le développement du numérique, la communication politique peut se définir comme un ensemble de stratégies à destination notamment des médias, s’appuyant sur un ensemble de techniques (sondages, études d’opinion, séances de « média-training » pour les candidats...). Les candidats mettent en œuvre des stratégies qui visent à contrôler l’agenda politique en définissant les problèmes importants à traiter ainsi que les cadres qui permettraient de les analyser. Les conseillers en communication cherchent en permanence à dramatiser l’action des hommes politiques par une politique de story-telling

 

Les médias ne sont cependant pas dupes de ces stratégies et mettent en œuvre leurs propres stratégies fondées sur leurs intérêts économiques. Ils privilégient trop souvent l’émotion divertissante et les petites phrases au détriment de l’argumentation, les stratégies politiciennes et la « peoplisation » au détriment de l’analyse des programmes. On a pu parler à ce propos de « télécratie » voire de « médiocratie ».

 

 

Q1. Comment A.Siegfried a t-il expliqué le vote à droite en Bretagne à la fin du XIX eme siècle ?

Q2. Quelle différence peut-on faire entre le modèle de Michigan et le modèle de Columbia ?

Q3. Faîtes un tableau ( 2 colonnes) dans lequel vous classerez les variables sociolgiques. caractéristiques des citoyens qui votent à gauche et ceux qui votent à droite.

Q4. Assiste-t-on à un déclin du vote de classe ?

Q5. Qu'est ce qu'un électeur rationnel ? La volatilité électorale ?

Q6. Faîtes un schéma permettant d'expliquer la volatilité électorale :

Q7. Quel est le modèle le plus pertinent pour expliquer le vote ?

Q8. Comment les hommes politiques contrôlent-ils les médias ?

Q9. Comment les médias influencent-il le débat politique ?

 

 

 

Regarder la vidéo de 1 à 4 minutes 

 

1. Quels sont les deux candidats sortant au premier tour de l’élection présidentielles de 2002 ?

2. Qu’est-ce que l’affaire Papy Voise ?

3. Qu’est-ce qui est reproché aux médias lors de la campagne présidentielle de 2002 ?

 

 


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cours


23/04/2016
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6.1. Comment expliquer la participation et l'abstention électorale ?

A. Evolution de la participation électorale

 

La participation électorale est considérée comme l'un des traits les plus caractéristiques de la bonne santé d'un régime démocratique. L’abstention est le fait pour un électeur inscrit sur les listes électorales de ne pas participer au scrutin. On distingue les abstentionnistes des votes blancs qui correspondent aux électeurs participant au scrutin, mais choisissant de mettre un bulletin blanc dans l’urne, ainsi que des votes nuls qui sont les bulletins non valables. 

Etre inscrit ne signifie pas nécessairement être un électeur votant. La loi du 10 novembre 1997, pose que les jeunes ayant 18 ans lors d’une année électorale sont automatiquement inscrits sur les listes. En France, le taux de non inscription est estimé à environ 10 %, ce qui signifie qu’un français sur 10, en âge et en droit d’être électeur ne l’est pas en raison d’une non inscription (Etats-Unis : 30%).  

    Le taux de participation aux élections correspond au rapport entre le nombre de personnes ayant voté à une élection et le nombre d’inscrits sur les listes électorales tandis que le taux d’abstention rapporte le nombre d’inscrits qui n’ont pas voté rapporté au total des inscrits. Ainsi, en France, aux élections législatives de 2012, 57,2% des électeurs inscrits se sont déplacés au premier tour. De même, 79,5% des inscrits ont été votés en France au premier tour de la présidentielle.

 

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Depuis une trentaine d’année, l’abstention est un comportement qui se développe dans toutes les démocraties occidentales qui n’ont pas mis en place un vote obligatoire comme la Belgique ou la Grèce. De plus, au delà des abstentionnistes chroniques, la participation intermittente des individus qui votent de moins en moins, mais à qui il arrive tout de même de voter augmente.  Au niveau national, les études de l’Insee montrent que la diffusion de l’intermittence est l’une des évolutions les plus marquantes des deux dernières décennies. 

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Ainsi, en France, 40% des électeurs s’étaient abstenus aux élections européennes en 1979 et 60% à celle de 2008 soit une progression de 20 points. Il en est de même pour les législatives : 29% des inscrits s’étaient abstenus en 1981, 42% en 2012, soit une progression de 13 points. Désormais, seul un inscrit sur deux vote à toutes les élections ou presque. Dans les bureaux des quartiers populaires, la proportion est de l’ordre d’un sur quatre. On constate le même phénomène aux Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie.

 

L’abstention dépend du type de scrutin et des enjeux. En France, la présidentielle est considérée comme un scrutin majeur, en particulier depuis l’adoption du quinquennat, dont le résultat conditionne celui des législatives. En conséquence, l’abstention est la plus faible pour ce scrutin. L’absence de la gauche au second tour du scrutin de 1969 provoque une abstention record au second tour (31% des inscrits) alors que la future victoire de François Mitterrand en 1981 et celle de Nicolas Sarkozy en 2007 provoquent une abstention très faible (14% et 16%). Il en est de même pour les élections municipales qui sont les élections de proximité par excellence et connaissent de forts taux de participation.   

 

 

L'abstention plutôt stable à la présidentielle, en hausse aux autres élections

Les chiffres de l'abstention au premier tour des élections présidentielle, législatives, municipales et européennes de 1958 à 2017, en pourcentage des électeurs inscrits.
Created with Highcharts 4.1.90 %10 %20 %30 %40 %50 %60 %présidentiellelégislativesmunicipaleseuropéennes19581962196719691973197719791983198619891994199720012004200820122017
2012 présidentielle: 20,50 %

 

 

 

 

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B. Les déterminants sociaux de l'abstention et de la non

Exercice

 

 

Au delà d’une explication générale fondée sur le désenchantement vis-à-vis de l’offre politique, on peut donner deux grandes explications de l'abstention : le défaut d’intégration sociale corrélé à un faible intérêt pour la politique voire à un sentiment d'incompétence politique et le choix stratégique d'une abstention symbolique. 

 

Le désenchantement vis-à-vis de la politique est la toile de fond sur laquelle se développe l'abstention. L'alternance gauche-droite devenue systématique à partir du milieu des années 80, a contribué à ce désenchantement pour les catégories populaires qui votaient beaucoup et très largement en faveur des candidats de la gauche dans un espoir de changement de leurs conditions de vie. L'alternance politique n'ayant pas engendré de véritables améliorations, la méfiance et le scepticisme à l’égard de la politique, déjà caractéristique des catégories populaires, se sont largement accrus. Le clivage politique entre les élites (économiques, politiques et culturelles) tous favorables au "oui" au  référendum sur le traité européen en 2005 et une population plutôt opposée au traité a été une étape décisive dans la crise de la représentation. On peut aussi ajouter à ces facteurs de désenchantement la mise au jour récurrente des scandales politiques comme l'affaire Cahuzac. La progression des votes blancs ou nuls, mêmes si ceux-ci restent encore à des niveaux peu élevés traduisent cette insatisfaction croissante des électeurs vis-à-vis de l’offre électorale qui ne répond plus aux attentes de citoyens désenchantés.

 

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 L’abstentionnisme est lié à une plus faible insertion sociale. Si la hausse de l’abstention concerne tous les groupes sociaux et toutes les classes d’âge, ce sont plutôt les femmes au foyer, les jeunes, les précaires et les chômeurs, les individus de faible niveau socio-économique ou culturel, les habitants de zone isolées ou de grands ensembles qui sont plus touchés par l’abstention que les autres catégories sociales. Plus le lien social est faible, et plus les citoyens s’abstiennent ou ne s’inscrivent pas sur les listes électorales.

     La politisation, entendue comme « attention accordée au fonctionnement du champ politique », est inégalement distribuée dans l'espace social, et la principale variable explicative en est le niveau d'études atteint par les citoyens. Daniel Gaxie a parlé de "cens caché" pour désigner cette barrière à l'entrée dans le jeu électoral tout en faisant référence à la période précédant le suffrage universel où il existait un suffrage censitaire ; seuls ceux qui payaient le « cens », un impôt payé par les catégories aisées, pouvaient voter.  Certains électeurs ne choisissent pas vraiment au moment du vote de s’abstenir ou de voter pour tel ou tel candidat, car ils n’ont pas les moyens de connaître et de maîtriser tous les enjeux du champ politique. L’abstention peut ainsi résulter d’un sentiment d’incompétence écartant les plus démunis du droit de vote. Les catégories peu intégrées s'abstiennent par sentiment d'incompétence.

 

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      Pendant longtemps, ce moindre intérêt des catégories populaires pour la politique a été compensé par un véritable encadrement militant notamment par le parti communiste : au bureau, à l’usine mais aussi dans les quartiers, des collègues et voisins politiquement engagés étaient des figures appréciées du quotidien et jouaient un rôle important dans l'animation des sphères publiques locales : ils rendaient de multiples petits services, organisaient les fêtes de quartier, présidaient les clubs de foot, les associations de parents d'élèves, les amicales des locataires etc. Ils alimentaient un sentiment d’appartenance, contribuaient à politiser a minima les populations. Les jours de scrutins, leur seule présence représentait une incitation à voter pour les moins prédisposés à le faire.  Lors des élections régionales de 2010, l’abstention qui s’élevait à 51 % en moyenne, au premier tour, atteignait  70 % dans des communes populaires comme Garge-les-Gonesse ou Villetaneuse, et même 75 % dans le quartier du Mirail, à Toulouse, ou encore 72 % à Vaux-en-Velin. Aujourd'hui, les quartiers populaires où l’on enregistre les plus forts taux d’abstention sont devenus des déserts militants. Il n’y a plus de relais pour la politisation des habitants de ces quartiers où l’anomie et le sentiment d'être marginalisé se développent. Laisser l’organisation de ces quartiers aux associations religieuses n’est pas une solution à la crise de la représentation. 

 

       L’abstention des jeunes traduit aussi les difficultés d’intégration sur le marché de l’emploi.  En France comme dans la plupart des démocraties occidentales où l’on enregistre une hausse notable de l’abstention, le renouvellement des générations pourrait donc demain alimenter une dynamique abstentionniste encore plus marquée, que le vieillissement de la population pourrait ne plus être suffisant à neutraliser.

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       La crise économique entraînant des problèmes d’intégration sociale des populations précarisées est un facteur d’aggravation de l’abstention, d’autant plus que ces populations nourrissent alors plus facilement un désenchantement vis-à-vis de la politique.

 

L'abstentionnisme peut aussi être considéré comme un phénomène rationnel et stratégique, chaque électeur pesant sur les résultats de l'élection a tendance à se comporter en passager clandestin afin de ne pas subir les coût de participation électorale (réduction du temps libre).  Cette analyse économique de l'abstention oublie cependant le poids de la culture et de la socialisation politique dans un modèle de la citoyenneté hérité des lumières : le fait de voter est une norme sociale qui permet d'obtenir une reconnaissance sociale.

 

 

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Il reste cependant que l’abstention est un choix stratégique pour certains. Anne Muxel et Jérome Jaffré ont montré dans « S’abstenir : hors du jeu ou dans le jeu politique ? » (2000) que les deux-tiers des abstentionnistes restent « dans le jeu politique ». Ce sont souvent des jeunes, diplômés, qui s'abstiennent et qui se remettent à voter lorsqu’ils se reconnaissent dans l'offre électorale proposée ou que le scrutin présente un enjeu particulier. L’abstention est ici intermittente et plus stratégique : elle est fortement liée au contexte de l’élection (type d’élection, candidats). Elle donne ainsi l’image d’un électeur rationnel qui s’abstient pour protester, ou qui vote au regard des enjeux qu’il perçoit de l’élection.  Ces abstentionnistes « dans le jeu » se classent plutôt à gauche. 

     Il existe aussi un abstentionniste radical, libertaire et protestataire qui associe le vote ( même blanc) à une soumission à un ordre social inégalitaire qu’il faut changer. L’abstention devient alors un mot d’ordre symbolisant l’insoumission. Cette abstention militante est cependant minoritaire.

 

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Q1. Ecrivez les formules des taux d’inscription, de taux de participation et de taux d’abstention. A partir du blog, calculez ces taux pour les élections législatives de 2012.

Q2. Quelles différences peut-on faire entre l’abstentionnisme chronique et l’abstentionnisme intermittent. Illustrer votre réponse avec 2 statistiques concernant les élections de 2012.

Q3. Comment peut-on expliquer les différences d’abstention entre les législatives européennes et les municipales ?

Q4. Donner 3 raisons au désenchantement vis-à-vis de la politique

Q5. Quels sont les groupes sociaux les plus concernés par l’abstention ?

Q6. Pourquoi ne vote-t-on presque plus dans les « quartiers difficiles » ?

Q7. En quoi l’abstentionnisme radical diffère-t-il de l’abstentionnisme intermittent ?

Q8. Faîtes un schémas avec les termes suivants afin d’expliquer l’abstention : causes de l’abstentions, inefficacité de l’alternance politique, critique libertaire, niveau d’étude, intégration sociale en panne, sentiment d’incompétence, chômage et précarité, marginalisation de certains quartiers, choix politiques, désenchantement, choix rationnel, type d’enjeu, scandales politiques, sentiment de rupture entre les élites et les citoyens



 

 


 

 

 

 

 

 



 

 


23/04/2016
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