dossier 9 La conflictualité sociale
9.2. Les conflits sociaux, changement social et cohésion sociale
A. Les conflits sociaux favorisent-ils le changement social ?
1. Certains conflits sociaux favorisent le changement social
Selon K. Marx, les conflits de classe sont le moteur des changements de société : " l'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de la lutte des classes". Le conflit est l’expression de contradictions inhérentes à la société, qui ne peuvent aboutir qu’au changement de société obtenu par la révolution. Ainsi le mode de production féodal s’est effondré avec la révolution bourgeoise de 1789. Aujourd’hui, le conflit central du capitalisme se situe entre les propriétaires des moyens de productions (la bourgeoisie) et ceux qui ne possèdent que leur force de travail (les prolétaires). D’une part, pour accroître sans cesse la plus-value, les entrepreneurs capitalistes accumulent du capital sans arriver à conjurer la baisse tendancielle du taux de profit. D’autre part, la paupérisation croissante des prolétaires empêche la production de trouver des débouchés, ce qui explique les crises de surproduction. Seule la Révolution peut mettre fin à cette contradiction. Le conflit conduit donc au changement social, qui est indispensable pour surmonter les contradictions de la société. Le conflit est donc endogène à la société.
Les nouveaux mouvements sociaux ont pour objet la transformation des modèles culturels, par définition leurs objectifs portent sur la transformation de certaines valeurs et certaines normes.
Ainsi en est-il des mouvements féministes qui ont permis de mettre en place un certain nombre de lois : ainsi la loi Neuwirth ( 1967), la loi sur l'IVG ( 1975), la loi sur la parité (2000) plus récente illustrent la façon dont un mouvement social permet peu à peu de transformer la société par une institutionnalisation du conflit. Le constat d'une domination masculine engendrant une exploitation des femmes au sein de la sphère domestique, dans l'emploi et dans la politique ont abouti à une contestation des rapports sociaux de sexes à travers des manifestations et des actions parfois provocatrices comme les Femen.
Il est difficile de faire la liste de tous les mouvements sociaux qui ont participé aux changements sociaux, mais il faudrait développer l'importance du mouvement des droits civiques qui a permis de mettre en place une égalité plus grande entre les populations noires et blanches aux Etats-Unis. Les mouvements écologistes participent aussi d'un changement social puisqu'ils visent à transformer nos modes de production et de consommation. Les mouvements homosexuels dont les manifestations sous forme de gay pride cherchent à transformer nos rapport à la sexualité etc
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Les nouveaux mouvements sociaux se sont adaptés à la société du spectacle. L'objectif, pour ces mouvements sociaux est de mobiliser à la fois les médias et d'être facilement lisibles par le public auquel ils s'adressent. Les militants des mouvements sociaux jouent alors avec les cadres de l'action collectives : lieu de l'action, symboles utilisés, type de sentiments etc. de façon à travailler sur la signification de leur mouvement afin d'établir une organisation durable tout en maintenant actifs leurs soutiens. Ce processus de cadrage peut prendre la forme d'une dramatisation de l'action qui distribue des rôles (les bons ou les offensés devront être sauvés et les méchants punis) et racontent une histoire. A ce jeu certaines catégories comme les intermittents du spectacle, Greenpeace ou Act-Up sont meilleurs que les malades de l'amiante par exemple. Cette mise en scène de l'action collective peut cependant avoir l'effet pervers de rendre seules visibles et donc efficaces les manifestation pour journalistes, les autres étant renvoyées dans l'anonymat.
2. Tandis que d'autres peuvent s'analyser comme une résistance au changement social
Le conflit défensif n’est pas nouveau. En Angleterre, de 1811 à 1817, les luddites, artisans du textile, armés et masqués, brisent les métiers à tisser accusés de détruire leurs emplois, et brûlent des usines. Ce mouvement violent, affaibli par les arrestations et quelques pendaisons, s’éteint progressivement avec la disparition de l’artisanat textile. En France, la révolte des Canuts lyonnais en 1831 avait été précédée en 1819, d’émeutes, écrasées par l'armée, à Vienne lors de l’introduction de nouvelles machines à tondre les draps. Les ouvriers du textile brisent les nouvelles machines à tisser, à l'image de celle inventée par Jacquard car ces machines les concurrencent et les privent de leur gagne-pain.
En 1990, 23% des jeunes de 18 à 29ans déclaraient dans une enquête sur les valeurs des français de l'INJEP qu'il fallait défendre courageusement notre société actuelle contre tous les changements.
Tous les conflits sociaux ne visent pas le changement social, un certain nombre d'entre eux visent à l'empêcher en cherchant à résister.
Les mouvements sociaux qui cherchent à promouvoir le changement social font naître des contre-mouvements, c'est le cas notamment de la loi sur le mariage homosexuel qui a provoqué la mise en mouvement d'une population conservatrice peu habituée des manifestations.
Les conflits du travail ont évolué, ils ont pendant longtemps comme l'a théorisé K.Marx porté sur des revendications visant à promouvoir un progrès social, mais face à l'offensive néo-libérale et sous l'effet du capitalisme actionnarial, les délocalisations et les plans sociaux se sont accélérés combien même les entreprises réalisaient des profits. Les conflits du travail ont alors davantage porté sur le maintien de l'emploi dans un contexte défensif. Il faut néanmoins relativiser cette évolution dans la mesure où les conflits sociaux portant sur les salaires ou les conditions de travail sont encore majoritaire.
Par ailleurs définir les conflits du travail comme des formes de résistance au changement n'est pas anodin, car c'est une façon de le rendre moins légitime. Ainsi dans le conflit portant sur les retraites de 1995 face au plan Juppé, A.Touraine a diagnostiqué ce conflit comme un mouvement corporatiste porté par des salariés comme les cheminots et les conducteurs de la RATP porteurs de droits spécifiques à la retraite et cherchant à défendre leurs avantages acquis. Selon Touraine on ne peut pas parler de mouvement social car il n'y a pas de projet de société mais seulement un mouvement purement défensif. Cette analyse n'est pas partagée par P.Bourdieu qui a soutenu le mouvement et qu'il a analysé comme un mouvement de résistance au néo-libéralisme précurseur des mouvements actuels alter-mondialisation.
De nombreuses actions collectives visent à défendre défendre un environnement proche, un cadre de vie immédiat, c'est le cas des actions menées par les anti-éoliens ou les associations opposées au passage d'une autoroute proche de chez eux, de l'enfouissement de déchet, de ligne à haute tension ou de la construction d'un aéroport. Ces mouvements qualifié de NIMBY (« not in my back yard » : pas dans mon arrière cour) ont pour objectif de défendre la qualité de vie des riverains (protection du paysage, écosystème) face à une logique industrielle ou commerciale qui nie la vie et valorise le lien marchand.
B. Les conflits sociaux favorisent-ils la cohésion sociale ?
1. Les conflits sociaux expriment une cohésion sociale défaillante
Durkheim a cherché à comprendre le fonctionnement des sociétés où la solidarité organique produisait de l’anomie. Face aux nombreux conflits sociaux de son époque, il a mis l’accent sur le fait qu'une augmentation du nombre et de l'intensité des conflits signale une situation pathologique de la société. La grille de lecture qui voit dans les conflits sociaux une menace pour la société est contestable. D'une part on peut noter qu'un certain niveau de conflit est « normal » au sens où il est statistiquement constant, de la même façon que Durkheim dit que le crime est un fait social normal. Historiquement toutes les sociétés passent par de nombreux conflits sans pour autant disparaître. D'autre part, la lecture fonctionnalisme d'un trop grand nombre de conflits comme une forme pathologique du lien social revient à voir la société comme un corps biologique harmonieux dont chaque organe a une fonction. Cette métaphore organique met l'accent sur une vision trop consensuelle de la société est très éloignée de la réalité politique, il faut plutôt voir la société comme un ensemble de rapports de force entre des groupes sociaux qui cherchent à s'approprier les ressources matérielles et symboliques.
Les émeutes urbaines récurrentes en France depuis le début des années 80 sont des conflits qui ne trouvent pas de relais politique et médiatique susceptible de construire leurs revendications et d'organiser la protestation, ces conflits s'expriment plutôt par la violence. Les émeutes dans les banlieues, en 2005 ont été interprétées par certains sociologues comme une difficultés d'intégration et de socialisation des jeunes (Hugues Lagrange), c'est-à-dire comme une anomie au sens de Durkheim. Cependant l'anomie au sens de Merton a été un diagnostic plus courant chez les observateurs de ces mouvements dans la mesure où les jeunes de banlieues désirent avoir le même mode de vie que les autres citadins alors que les moyens économiques, culturels et sociaux leur font défaut.
Les sociologues aujourd'hui ont largement rompu avec cette lecture purement fonctionnaliste du corps social. On peut néanmoins accepter l'idée de pathologie pour désigner un moment critique de rupture dans le niveau de conflictualité comme en 1968, 1995 ou crise des banlieue de 2005...
2. Les conflits comme facteur de cohésion sociale
Il est possible de voir le conflit comme un facteur de cohésion sociale, le conflit est un type particulier de relation : être en conflit avec un individu ou un groupe, c'est en connaître et reconnaître l'existence plutôt que de l'ignorer, le conflit implique au moins un accord sur l'importance de l'enjeu. Il permet une plus grande cohésion sociale interne au groupe mobilisé mais aussi dans l'ensemble de la société dans la mesure où il permet de produire de nouvelles règles :
Le conflit renforce l’identité du groupe c'est-à-dire les façons dont les individus ou les groupes se définissent par eux-mêmes et sont définis par les autres. L’opposition avec un autre groupe social permet de mieux définir les traits caractéristiques du groupe et de mieux en délimiter les frontières. Ainsi, le conflit de 1936 a permis à la classe ouvrière d'affirmer son identité et de trouver sa place dans la société française.
Le conflit permet d’informer le système politique sur les demandes à satisfaire. A.O.Hirschman a théorisé les modalités de l'action. face à un problème, les groupes sociaux ont la possibilité de fuir le problème (exit), de conserver leurs affiliations avec les organisations qu'ils suivent ( loyalty) ou bien de s'exprimer ( voice). Les groupes en conflits, les mouvements sociaux fonctionnent comme des groupes de pression qui cherchent à faire entendre leurs revendications dans le champ politique. Même s'ils reposent de plus en plus sur des formes de participation politiques non conventionnelles, ils continuent à s'adresser principalement à l'Etat et aux institutions internationales et permettent un fonctionnement en continu des mécanismes démocratiques. L'élargissement du spectre d’action de la citoyenneté au-delà des échéances électorales plaide pour le passage vers une démocratie participative qui dépasserait la politique professionnelle et sa dérive technocratique ( tyrannie des experts). De plus, le mouvement social est aussi une possibilité de prise de parole des groupes qui ne s’identifient plus au jeu politique, qui ne sentent pas représentés.
L'institutionnalisation des conflits, le plus classique étant celui entre travail et capital dans le cadre du « dialogue social », permet aux groupes en conflit de devenir des partenaires sociaux. L'institutionnalisation des acteurs passe par la reconnaissance des institutions représentatives (syndicats, ministère des droits des femmes etc.), l'institutionnalisation des formes de l'actions passe par la mise en place de répertoire de l'action collective reconnus ( préavis de grèves, manifestation République Bastille etc) et l'institutionnalisation des objets passe par la mise en place des produits de la négociation dans le droit du travail et les conventions collectives.
Les syndicats jouent un rôle importants dans le dialogue social. En effet, les pays qui sont les syndiqués ont des relations entre salariés et patrons moins conflictuelles. En Suéde et au Danemark, 70% des salariés sont syndiqués, ce qui permet des relations employeurs-employés plus coopératives.
Q1. Pourquoi selon Marx, le conflit social est-il inéluctable dans toute société ?
Q2. Quelles sont les caractéristiques des nouveaux mouvements sociaux ?
Q3. Les conflits du travail ont-ils disparu ? Pourquoi ?
Q4. Quelles sont les limites de la représentation organiciste de la société ?
Q5. En quoi la théorie de A.O.Hirschman permet-elle de rendre compte d’une fonction positive des mouvements sociaux ?
Q6. Définir nouveaux mouvements sociaux, institutionnalisation des conflits sociaux, émeutes urbaines, anomie, pathologie
Q7. Faîtes un tableau (ou une carte mentale) où vous rendrez compte des éléments positifs et négatifs des mouvements sociaux
9.1.Diversité et transformations des conflits
Q1. F. Lordon oppose deux formes de conflits : lesquels ?
Q2. Comment est analysée la loi El Khomry ?
Q3. Qui est rassemblé dans cette lutte ?
Q4. Les syndicats sont-ils conviés à la lutte ?
Q5. Quel est le projet de ce mouvement selon F. Lordon ?
A. La diversité des formes de conflit
Le conflit désigne une situation d'affrontements ouverts et explicites. On parle de conflit social quand la cause du conflit est liée à une distribution inégale de ressources (salaire, conditions de travail, gestion des biens publics).
La société est composée de groupes sociaux qui sont en lutte dans des rapports de force. Les acteurs de la vie sociale cherchent à influencer les pouvoirs politiques, maîtriser les modèles culturels et à produire des normes dans les domaines de la connaissance, de la production et de la morale Les acteurs sociaux à travers les mouvements sociaux qu'ils portent et les conflits sociaux qu'ils engendrent créent des règles et produisent l'histoire. Le conflit peut être latent quand la mobilisation peine à se mettre en place alors que les conditions de la mobilisation et donc du conflit sont réunies. Dans le cas de la domination d’un groupe par un autre, les dominés peuvent très bien accepter leur sort pendant une période donnée, puis un jour à la suite d’un évènement, se mobiliser.
Dans les sociétés modernes, les conflits sociaux prennent souvent la forme de conflits localisés dans les unités de production, un conflit social peut cependant prendre de l'ampleur et se globaliser s'il est porté par un mouvement social quand un groupe social aux contours bien définis cherche à transformer radicalement le modèle social et culturel. Si le mouvement ouvrier a été le mouvement social central de la société industrielle, dans la société post-industrielle, ce sont de nouveaux mouvements sociaux qui émergent. Dans une société où les besoins fondamentaux sont assouvis, où le niveau d’éducation est élevé, les nouveaux mouvements sociaux vont davantage porter sur des revendications non matérielles.
B Les mutations des conflits du travail
Le syndicalisme ouvrier a joué un rôle important dans l'histoire du mouvement ouvrier. Illégal et réprimé pendant la majeure partie du XIXème siècle, le syndicalisme ne prend réellement forme qu’au début du XXème siècle. Les luttes de classes dont les moments forts ont été la commune de 1870, le front populaire en 1936, les grèves d’après 1945, les évènements exceptionnels de mai 1968 ont permis d’augmenter les droits sociaux et de produire ce que Robert Castel a appelé une propriété sociale. Ce statut salarial s’est épaissi de nombreux droits comme le droit à la retraite, la diminution du temps de travail, les congés payés. Les différentes lois sur le temps de travail ont permis de diviser le temps de travail par 2 entre le début du XXème siècle et aujourd'hui. En 1982, les lois Auroux ont permis d'élargir l'espace de négociation dans l'entreprise.
La crise économique des années 70 a transformé le travail et a déstabilisé les organisations syndicales comme l’ensemble des identités professionnelles, en France comme en Europe. Le taux de syndicalisation a chuté entre 1948 et aujourd'hui. En 1948, 30% des salariés étaient syndiqués, ils ne sont plus que 8% aujourd'hui. Ce taux est particulièrement faible si on le compare aux taux de syndicalisation des pays nordiques. Par delà l'affaiblissement des syndicats, on note un affaiblissement et une transformation des modalités de conflits. Les grands mouvements collectifs appelant à la grève générale se font plus rares, à l'exception de 1968 et des mobilisations contre la réforme des retraites (1995, 2005, 2010). Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le nombre de journées non travaillées a fortement diminué, passant de plus de 20 millions de journées individuelles non travaillées (JINT) en 1949 à moins de 5 millions en moyenne pendant les années 2000.
De plus, lors de ces occasions, ce sont les salariés du secteur public qui se mobilisent principalement. La chute est particulièrement importante dans le secteur privé, et les grèves se font essentiellement dans le secteur public, où elles baissent également.
La grève qui a une longue histoire de pratique illégale est devenue aujourd’hui un droit protégé par la constitution, ainsi une forme non-conventionnelle peut devenir conventionnelle. Cependant aujourd'hui, les grèves longues laissent place à des débrayage courts ou encore à des modalités de lutte sans arrêt de travail comme les manifestations, le refus des heures supplémentaires, les pétitions, l'absentéisme, les grèves perlées (courts arrêt de travail concertés entre les salariés pour ralentir le rythme de travail) ou les grèves du zèle (application exagérément minutieuses des consignes de travail), voire parfois les happenings spectaculaires. Les coordinations-grève moins nombreuses sont cependant parfois plus dures ces dernières années, certains salariés désespérés des plans sociaux d'un capitalisme actionnarial insaisissable sont parfois réduit à des actions violentes ( Conti, goodyear, Air France etc.)
L'affaiblissement des conflits du travail est lié à l'affaiblissement des salariés dans le rapport de force entre salariés et patrons. Les causes qui suivent permettent de penser à la fois la chute du syndicalisme et l'affaiblissement des conflits du travail.
Le chômage de masse a frappé les bastions traditionnels du syndicalisme et du parti communiste (mines, sidérurgie, métallurgie, textile, chantiers navals, automobile), le pouvoir de négociations des salariés s'en est trouvé affaibli. Les restructurations liées à l'évolution vers un capitalisme actionnarial ont conduit à l'éparpillement des entreprises et à de plus grandes difficultés de recrutements et d'action pour les syndicats. Ce phénomène a été amplifié par le relatif déclin du nombre d’ouvriers (40% de la pop active en 70 et 25% en 2016). Le transfert de l’emploi vers les services et les PME a eu pour conséquence de placer les salariés dans des structures plus faiblement syndiquées. En 1992, 83% des salariés occupés dans des entreprises de moins de 20 salariés n’avaient aucun représentant. De plus certaines entreprises notamment les multinationales (Kodak, IBM) pratiquent une politique très hostile aux syndicat : licenciement, blocage des promotions, harcèlement.)
La précarisation des emplois ont rendu les mobilisations plus difficiles. Le taux de syndiqués chez les précaires est proche de 3%. Le développement de la sous-traitance liée à l'externalisation de certaines fonctions dans l'entreprise a développé les emplois précaires ( apprentis, CDD, stages), même si certaines entreprises (ménages, informatique, etc.) fonctionnent principalement avec des emplois précaires.
Le chômage de masse, la précarisation mais aussi le contournement des syndicats par le néo-management ont favorisé l'individualisme au travail. Mançur Olson a montré dans le paradoxe de l'action collective que des individus rationnels ont de fortes chances de se comporter en passager clandestin, ces individus ont intérêt à laisser les autres faire grève à leur place afin de bénéficier des avantages. Le néo-management a établi au niveau de l'entreprise une individualisation des salaires par la gestion des primes augmentent l’esprit de compétition tout en contournant les conventions collectives. Cet individualisme a des répercussions sur la façon dont les salariés perçoivent les conflits comme des problèmes interpersonnels (blâmer son supérieur) plutôt que comme des enjeux collectifs.
L'institutionnalisation des syndicats a paradoxalement affaibli l'action collective. L'institutionnalisation désigne le passage de la contestation à la participation à la régulation sociale. Les différentes réformes (comme les lois Auroux) ont réussi à augmenter la négociation d’entreprise mais ont déplacé les arbitrages du niveau national où les syndicats étaient relativement forts au niveau local où ils étaient plus faibles, ce qui les a rendus peu à même de s’opposer aux volontés patronales. En même temps ces lois en accroissant les heures de délégation ont professionnalisé les délégués qui en cumulant de nombreux postes (délégués syndicaux, délégués du personnel, comité d’entreprise etc…) ont perdu le contact avec leurs adhérents. Les syndicats, de plus en plus faibles ont été contraints de devenir des prestataires de services qui fournissent des services personnalisés à leurs adhérents : aide juridique, renseignements spécifiques etc.
Les conflits du travail n'ont pas pour autant disparu. Ils portent toujours sur le partage de la valeur ajoutée et notamment sur la question des augmentations de salaires et sur les conditions de travail. On peut noter une évolution, si les conflits dans les années 60 se portaient davantage sur une contestation de l'aliénation, les conflits actuels sont des conflits portant sur les licenciements et les restructurations d'entreprise (Mittal, continental, fralib)
C. La prolifération des conflits hors de la sphère productive
Selon Ronald Inglehart, à partir des années 60, la société industrielle a laissé place à une société post-industrielle dominée par la production et la diffusion en masse de biens culturels (éducation, santé, culture et information). .Les conflits débordent alors de la sphère du travail et se transforment pour devenir plus globaux. En effet, à partir d'un certain niveau de vie, du fait de la satisfaction globale des besoins, les aspirations des individus se déportent sur des préoccupations de mode de vie portées par des valeurs post-matérialistes.
D'après A. Touraine, les nouveaux mouvements sociaux ont des caractéristiques communes, ils cherchent à agir sur les systèmes de valeurs et de représentations, ils revendiquent un changement social en s’adressant aux pouvoirs en place, et ont une dimension identitaire forte.
Les valeurs en question sont très diverses : écologiques, féministes, égalité, non discrimination. Agir sur les valeurs passe principalement par des revendications égalitaires. : le mouvement des Civils Rights aux Etats Unis a revendiqué l'égalité entre les noirs et les blancs et le refus d'une Amérique raciste, la marche des Beurs en 1983 revendiquait une égalité républicaine, le mouvement gay une non discrimination entre hétérosexuel et homosexuels, le mouvement féministe une égalité hommes/femmes au travail, dans la sphère domestique et la politique, les mouvements de chômeurs le droit à la solidarité etc. Mais pour que ce changement de représentation ne reste pas seulement au niveau symbolique, ces différents mouvements revendiquent l'extension ou la mise en pratique des droits sociaux pour les catégories minoritaires et dominées: égalité des droits sociaux avec les mouvements des sans papier ; parité homme femme inscrite dans la constitution ; mise en place d'un contrat de mariage pour les homosexuels etc
Il y a comme dans les mouvements sociaux des sociétés modernes industrielles des recherches de pression sur l'Etat, mais les nouveaux mouvements sociaux des sociétés post-industrielles (NMS) sont plus souvent à vocation internationale que les mouvements liés à la sphère du travail et surtout ils visent avant tout à changer de modèle culturel alors que les conflits du travail restent plus souvent plus défensifs ou promeuvent des transformations plus progressives.
Ces mouvements ne pas sont initiés par les mêmes acteurs, ce sont plus souvent des associations et des individus organisées en réseaux. Les acteurs de ces mouvements sont issus généralement de la classe moyenne dont la hausse générale du niveau d'éducation a accru le niveau de compétence politique.
Le répertoire des actions collectives s'étoffe de nouvelles formes. Tandis que les conflits du travail traditionnellement passent par des formes routinisées, comme la manifestation et la grève par exemple, les nouveaux mouvements sociaux recourent à des formes innovantes comme le happening médiatiques, le sitting, la pétition, les occupations de places publiques ( Podémos, Nuit Debout etc), les destructions etc...
Les NMS se caractérisent par de nouvelles modalités d'actions, celles ci se différencient des pratiques traditionnelles des mouvements ouvriers comme la grève. Celle-ci n'est pas à écarter systématiquement comme on a pu le voir en mai 68 quand les ouvriers ont rejoint le mouvement étudiant, mais on trouve dans le répertoire d'action collective des NMS, les pétitions, les concerts de soutien, les actions de commandos, des interventions personnalisées ( sans-papiers), des manifestations festives, des occupations de lieux, des sittings, des blocus etc...
L'opposition entre nouveaux mouvements sociaux et mouvements sociaux traditionnels est schématique et ne doit pas être surestimée : si, effectivement, certains nouveaux mouvements sociaux renvoient clairement à des questions de reconnaissance, il ne faut pas oublier que les questions « matérialistes » y demeurent importantes (la question des retraites en France, les mouvements d'opposition aux politiques d'austérité en Europe, ou encore le mouvement « Occupy Wall Street » aux États-Unis qui a fait des inégalités économiques son principal cheval de bataille). Réciproquement, les conflits du travail mêlent aussi bien les questions « matérialistes » que des questions de reconnaissance : quand les ouvriers revendiquent pour leurs salaires ou de meilleures conditions de travail, ils cherchent aussi à être pris en considération. Par ailleurs, les conflits du travail inventent aussi de nouvelles formes d’actions collectives.
Q1. Définir, conflit social, syndicats, valeurs matérialistes/post-matérialistes, mouvement social
Q2. En quoi peut-on dire que les conflits de classe théorisés par Marx sont des conflits latents ?
Q3. Quels sont les avancées sociales permises par les luttes syndicales ?
Q4. En quoi peut-on parler d’une crise du syndicalisme ?
Q5. Faîtes un schéma avec les mots suivants : affaiblissement des conflits, chômage de masse, précarité, baisse du nombre d’ouvriers, tertiarisation, affaiblissement des syndicats, institutionnalisation des syndicats, sous-traitance, paradoxe de l’action collective, restructurations.
Q6. Faîtes un tableau comparant les caractéristiques des nouveaux mouvements sociaux avec les conflits traditionnels de la société industrielle. Catégories : type de société, objets de l’action, acteurs, type d’action, exemples