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Emmanuel Macron, un portrait officiel où chaque détail compte
Par Solenn de Royer, Bastien Bonnefous
La photographie du chef de l’Etat dévoilée jeudi rompt avec les modèles de ses prédécesseurs et s’inspire davantage de celui de Barack Obama.
Portrait officielle du président de la République, Emmanuel Macron, réalisée par Soazig de la Moissonnière, sa photographe officielle. | SOAZIG DE LA MOISSONNIERE/PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE
Une photo pour l’histoire. Emmanuel Macron a dévoilé, jeudi 29 juin, le portrait officiel qui ornera dès cet été les murs des bâtiments officiels. Le président de la République a posté lui-même le cliché sur son compte Twitter.
Photographié dans son bureau, au premier étage de l’Elysée, il pose de face, adossé à sa table de travail, les bras en arrière, les deux mains tenant le bureau avec fermeté.
A la fois décontracté et solennel, le jeune président au visage de cire esquisse un léger sourire et regarde droit devant lui, avec une détermination appuyée. D’acier, son regard clair a quelque chose d’hypnotique. Plusieurs fois retouchée, la photo respecte une symétrie parfaite Tiré à quatre épingles, le modèle est encadré par deux drapeaux, français et européen, et la fenêtre derrière lui est ouverte sur le parc, ajoutant une touche de douceur et de sérénité. Même si c’est davantage la maîtrise et le contrôle qui ressortent du cliché.
Attributs du pouvoir
Emmanuel Macron n’a suivi aucun chemin emprunté par ses prédécesseurs. Charles de Gaulle, Georges Pompidou, François Mitterrand et Nicolas Sarkozy avaient posé dans la bibliothèque de l’Elysée.
Valéry Giscard d’Estaing, qui voulait dépoussiérer la présidence et l’époque, s’était fait photographier devant un drapeau tricolore, comme pour une affiche électorale. Quant aux deux chefs de l’Etat « corréziens », Jacques Chirac et François Hollande, ils s’étaient placés dans le parc de l’Elysée, le premier avec ses larges épaules carrées, le second, en marche et les bras ballants.
En 2012, le portrait de François Hollande avait été abondamment commenté. En posant loin du palais, qui semble flouté, le chef de l’Etat socialiste avait fait un terrible aveu sur son rapport au pouvoir, sans le savoir. Refusant d’être représenté « enfermé » à l’Elysée, il s’était positionné au fond du jardin, dans l’ombre des arbres, comme fuyant son nouveau statut, refusant de l’incarner.
En posant dans le salon Doré, littéralement agrippé à cette table de travail où il signera les décrets et les ordonnances, et où se prendront la plupart des décisions, Emmanuel Macron prend le parti inverse, signifiant qu’il n’a nullement l’intention d’esquiver, qu’il entend au contraire se saisir pleinement des leviers et des attributs du pouvoir.
Ses prédécesseurs avaient tous choisi un photographe reconnu : Jean-Marie Marcel (De Gaulle), François Pagès (Pompidou), Jacques-Henri Lartigue (Giscard), Gisèle Freund (Mitterrand), Bettina Rheims (Chirac), Philippe Warrin (Sarkozy) et Raymond Depardon (Hollande). Emmanuel Macron a préféré demander cette photo à sa photographe officielle, Soazig de la Moissonière, en qui il a « confiance », dit-on à l’Elysée.
Contrôle de l’image
Ce portrait d’Emmanuel Macron est très proche de celui de Barack Obama, qui l’avait lui aussi confié à son photographe officiel, Pete Souza, en 2009. Passé maître dans l’art du contrôle de son image, le président américain posait lui aussi debout devant son bureau, encadré par deux drapeaux.
Portrait officiel du second mandat du président des Etats-Unis d’Amérique Barack Obama. La prise de vue date du 6 décembre 2012. | PETE SOUZA / THE WHITE HOUSE
« Il y a comme une fascination de Macron pour les Etats-Unis », constate l’ancien ministre Thierry Mandon, exégète amateur des portraits présidentiels. A ses yeux, cette photo officielle porte en elle une « affirmation », qui frôle la « provocation », le « défi physique ».« Il y a un côté conquête de l’Ouest, poursuit-il. Macron semble dire : “Ça y est, j’y suis ! Pour me déloger, il faudra me passer sur le corps.” »
Le cliché a été pris samedi 24 juin, en début de soirée, à l’issue d’une journée caniculaire. « Emmanuel Macron n’aime pas poser, cela s’est passé de manière très spontanée », assure-t-on dans son entourage.
La conseillère en communication de l’Elysée, Sibeth Ndiaye, a diffusé sur son compte Twitter un making of très maîtrisé de la séance. On y voit le président disposer lui-même les objets du décor sur son bureau : ses deux iPhones, l’horloge du conseil des ministres, un encrier rehaussé d’un coq doré, et trois livres de La Pléiade : Les Mémoires de guerre de Charles de Gaulle, que M. Macron a ouvert à une page précise, Les Nourritures terrestres de Gide et Le Rouge et le Noir de Stendhal.
Trois ouvrages qui disent « l’ambition, la transgression, le cynisme et l’épopée personnelle »,énumère l’ex-député socialiste de la Nièvre Christian Paul. Des livres qui comptent pour le chef de l’Etat, lui-même auteur de trois romans (non publiés) et de poèmes, et qui aime à se présenter comme un amoureux des lettres.
Pendant la campagne, Emmanuel Macron avait expliqué que la fonction présidentielle réclamait « de l’esthétique et de la transcendance ». Avec ces symboles, savamment disposés dans le cadre de la photo, il veut signifier qu’il est le « maître des horloges » – formule qu’il affectionne – et qu’il entend inscrire sa présidence dans le temps moderne, mais long.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.
Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.
Sontélecteurs,danslesconditionsdéterminéesparlaloi,touslesnationauxfrançaismajeursdes deux sexes, jouissant de leurs droits civils etpolitiques.
Article 4
Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. [...]
La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation.
Titre VII : Le Conseil Constitutionnel
Article 61
Les lois organiques1, avant leur promulgation, les propositions de loi soumises au référendum, et lesrèglementsdesassembléesparlementaires,avantleurmiseenapplication,doiventêtresoumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à laConstitution.
Auxmêmesfins,lesloispeuventêtredéféréesauConseilconstitutionnel,avantleurpromulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixantesénateurs.
Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le délai d’un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s’il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours.
Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation.
Source : Constitution française, site internet de l'Assemblée nationale.
Au lendemain des attentats, François Hollande a endossé sans hésiter les habits du chef de guerre. En proclamant que la France devait se défendre contre une « armée djihadiste », en dénonçant les « actes de guerre »commis à Paris, en remettant au goût du jour une loi sur l’état d’urgence qui date de la guerre d’Algérie, le président de la République a donné le ton : la France, a-t-il déclaré, luttera avec une « détermination froide »contre ses « ennemis ». Pour l’écrivain belge David Van Reybrouck, Prix Médicis de l’essai en 2012, ces termes sont « la répétition angoissante et presque mot à mot » du discours de George W. Bush devant le Congrès américain après les attentats du 11 septembre 2001.
Cette posture martiale est massivement plébiscitée par les Français – par peur, par colère, mais aussi parce que ces mesures semblent s’adresser à l’« autre ». « Si les Américains, très attachés à leur Constitution, n’ont pas contesté le Patriot Act, qui instituait une détention sans limite et sans jugement, c’est parce qu’il s’appliquait aux terroristes venus de l’étranger, pas à eux, constate Antoine Garapon, secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice (IHEJ). Cette attitude qui semble également prévaloir en France est fondée sur la logique de l’ennemi, voire du barbare : tant que la loi semble respectueuse pour les nationaux, les écarts du droit ne paraissent pas dramatiques. »
« LE PROBLÈME, AVEC LA GUERRE CONTRE LE TERRORISME, C’EST QU’ELLE N’AURA SANS DOUTE PAS DE FIN » ANTOINE GARAPON, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’INSTITUT DES HAUTES ÉTUDES SUR LA JUSTICE.
Le doute, pourtant, s’instille peu à peu dans les esprits. Car l’état d’urgence suspend nombre de libertés publiques – le principe de sûreté, avec les perquisitions administratives de jour comme de nuit sans l’accord du juge ; la liberté de circulation, avec le couvre-feu et les assignations à résidence ; la liberté d’association, avec la dissolution des groupements. « La caractéristique essentielle de ces mesures est de relever du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif, sans intervention préalable du juge », constate, sur son blog, Roseline Letteron, professeure de droit public à l’université Panthéon-Sorbonne. « L’état d’urgence, c’est la suspension de l’autorité judiciaire »,résume le président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, Henri Leclerc.
Nul ne conteste, bien sûr, que la France est en première ligne face à l’organisation Etat islamique (EI), une « réalité pseudo-étatique enrichie de tous les trafics possibles à hauteur d’un vaste territoire », selon le mot de l’historien Jean-Noël Jeanneney. Nul ne songe à invoquer les mots du chef du gouvernement norvégien, en 2011, après les attentats d’Oslo et de l’île d’Utoya – « Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance. » Les attaques parisiennes de 2015, les attentats déjoués de ces derniers mois et l’épisode tragique du Thalys ont instauré un climat de gravité auquel nul ne déroge : dans le débat sur les libertés publiques, personne n’est angélique, optimiste ou aveugle.
Certains, en revanche, sont inquiets. Car l’EI enferme jour après jour la France dans un piège mortifère : devra-t-elle, au nom de la défense de la démocratie, abandonner un à un les principes qui la gouvernent depuis plus de deux siècles ? « Le risque est, au motif de défendre des valeurs humanistes, de les mettre en danger, comme l’ont fait les Américains en autorisant la torture et en ouvrant Guantanamo », résume la juriste Mireille Delmas-Marty. « L’enjeu est de ne pas adopter des mesures qui déshonoreraient les valeurs pour lesquelles nous nous battons, ajoute Antoine Garapon. Le terrorisme nous met dans un nœud coulant où toute progression vers la victoire est une défaite, où toute avancée est un point accordé à l’ennemi. »
La Cour européenne des droits de l’homme veille
Dans ce débat piégé, une seule certitude s’impose : jamais Paris ne pourra aller, avec ses lois antiterroristes, aussi loin que Washington avec le Patriot Act. « En matière de libertés publiques, les Etats-Unis ont les mains libres car ils n’ont jamais accepté le contrôle supranational de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, remarque Danièle Lochak, professeure émérite de droit public à l’université Paris-Ouest-Nanterre. La France n’est pas dans la même situation : elle a ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950. Elle doit donc se soumettre à la jurisprudence de la Cour [européenne des droits de l’homme, CEDH] de Strasbourg. »
En cas de « guerre ou d’autre danger public menaçant la vie de la nation », les Etats signataires peuvent déroger à la convention – mais uniquement « dans la stricte mesure où la situation l’exige », et pas dans tous les domaines. « Il y a un noyau dur de droits qui ne souffrent aucune restriction, même si la nation est menacée, précise Nicolas Hervieu, juriste au Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux (université Paris-Ouest-Nanterre). C’est le cas du droit à la vie – il est interdit de tuer, sauf acte licite de guerre –, de la légalité des délits et des peines – on ne peut condamner qu’en vertu d’un texte pénal prévisible –, et surtout de l’interdiction de l’esclavage, de la servitude, de la torture et des traitements inhumains et dégradants. »
Aucune menace terroriste, aucune attaque sur le sol français ne peut donc justifier, en France comme dans tous les Etats signataires de la Convention européenne des droits de l’homme, la torture ou les mauvais traitements. « Cette protection est absolue, quand bien même les terroristes auraient commis les pires des abominations, poursuit Nicolas Hervieu. La Cour[européenne des droits de l’homme] ne se contente d’ailleurs pas de proscrire la torture : elle interdit également aux Etats de menacer de l’utiliser ou encore d’expulser un terroriste vers un pays qui la pratique. En 2009, elle a ainsi considéré qu’un islamiste condamné pour avoir préparé un attentat contre l’ambassade américaine à Paris ne pouvait pas être expulsé en Algérie car il risquait d’y être torturé. »
Les dérives américaines de l’après-11-Septembre ne pourraient donc pas se produire dans l’Hexagone : si la police française instaurait, comme la CIA, des « interrogatoires renforcés » semblables à ceux décrits par le rapport du Sénat américain de 2014 – simulations de noyade, bains glacés, privation de sommeil –, elle serait condamnée par les juges de Strasbourg. La torture paraît si éloignée de la culture policière française du XXIe siècle que beaucoup jugent ce veto superflu, mais Jean-Noël Jeanneney rappelle que « la pente est glissante ». « La gauche, en Algérie, au temps de Guy Mollet, abîma dans la torture, et pour longtemps, le meilleur d’elle-même. »
Tout est affaire d’équilibre
Le respect des libertés publiques ne se résume cependant pas – et c’est heureux – à l’interdiction de la torture ou des mauvais traitements. Dans le subtil nuancier de la répression pénale, tout est affaire d’équilibre : pour définir la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, le maître mot des juristes est la proportionnalité. « C’est l’idée de la balance, de la pesée des intérêts », résume Mireille Delmas-Marty, professeure honoraire au Collège de France. Que des terroristes entraînés au maniement des armes de guerre en Syrie n’aient pas les mêmes droits, en garde à vue, que les délinquants du métro parisien ne choque personne. Que leurs droits soient massivement bafoués serait en revanche contraire à nos principes démocratiques.
C’est sur ce subtil équilibre entre l’efficacité de l’enquête et le respect des libertés publiques que veillent, jour après jour, les juges de Strasbourg. « Dans le domaine de la lutte antiterroriste, la Cour européenne admet des procédures dérogatoires mais elle condamne toute restriction excessive et disproportionnée des droits et des libertés, précise Nicolas Hervieu. En matière de lutte contre le terrorisme, la CEDH tolère ainsi des gardes à vue plus longues que pour les infractions de droit commun, mais elle n’admet pas la disparition de toute garantie fondamentale. Dans l’affaire Brogan, en 1988, elle a ainsi estimé que le Royaume-Uni avait violé la Convention [européenne des droits de l’homme] en plaçant des Irlandais en garde à vue jusqu’à six jours et seize heures et demie sans les présenter à un juge. »
Cette recherche d’équilibre est délicate – d’autant plus délicate que, depuis une trentaine d’années, le dispositif antiterroriste ne cesse de se durcir. En France, la première loi date de 1986 : après une vague d’attentats, les textes allongent la durée de la garde à vue à quatre jours, reportent l’intervention de l’avocat à la 72e heure, alourdissent les peines, autorisent les perquisitions domiciliaires sans l’assentiment des suspects, et créent un corps spécialisé de juges d’instruction et de procureurs. Depuis, l’arsenal antiterroriste s’est encore renforcé – allongement de la prescription en 1995, autorisation des perquisitions de nuit en 1996, autorisation de la fouille des véhicules en 2001, allongement de la garde à vue antiterroriste à six jours en 2011, intensificationdu renseignement en 2015.
Une nouvelle logique pénale
Ces mesures répressives ont-elles fini par rompre l’équilibre entre la lutte contre le terrorisme et le respect des libertés publiques ? Ont-elles dépassé la nécessaire « proportionnalité » prônée par les juristes ? « Je le crains,affirme Danièle Lochak. Avec le développement des écoutes, des surveillances, des assignations à résidence et des perquisitions, la police et la justice ont tissé une énorme toile d’araignée sur l’ensemble de la population – au risque de toucher des personnes qui n’ont rien à voir avec le terrorisme mais qui ont le tort d’être musulmanes. Il suffit de voir les dérives constatées pendant les premiers jours de l’état d’urgence pour s’en convaincre. Je ne suis pas sûre que ces graves atteintes aux libertés nous aient fait beaucoup gagner sur le plan de la sécurité. »
Mais la dérive sécuritaire n’est pas uniquement liée à un déséquilibre croissant entre liberté et sécurité. Ce qui inquiète les juristes, c’est surtout le changement de logique pénale engendré par l’intensification de la lutte contre le terrorisme. « Le tournant a lieu en 2008, avec la loi sur la rétention de sûreté, explique la juriste Mireille Delmas-Marty. Voté dans le climat sécuritaire des années 2000, ce texte permet de priver de liberté, sans limite de temps, un individu qui a été jugé dangereux – même s’il a déjà purgé sa peine. La rétention de sûreté instaure donc une justice prédictive. Elle repose sur une logique de suspicion – fondée sur des pronostics – et non plus sur une logique d’accusation – fondée sur des preuves. C’est grave, car il est impossible de prédire à l’avance tous les comportements humains. »
Cette logique imprègne toutes les lois antiterroristes de ces dernières années : les textes déplacent sans cesse la responsabilité vers l’amont, vers l’intentionnalité, vers la dangerosité. « On peut aujourd’hui poursuivre un individu avant même qu’il ait fait la moindre tentative, ajoute Mireille Delmas-Marty. Définie en 2014, la notion d’entreprise individuelle à caractère terroriste, qui est très floue, englobe ainsi des comportements qui sont de plus en plus éloignés de l’infraction. Cette logique prédictive a d’abord été cantonnée à la lutte antiterroriste, mais elle a ensuite contaminé d’autres secteurs du droit pénal, notamment la lutte contre la criminalité organisée. C’est une manière de nier le principe de l’indétermination des comportements humains. »
Comment revenir en arrière ?
Pour Antoine Garapon, cette justice aux visées préventives est contraire aux principes du droit français. « La justice pénale est traditionnellement faite pour qualifier une action passée et énoncer une peine pour l’avenir,rappelle-t-il. Le dispositif antiterroriste, lui, n’est ni dans le passé ni dans l’avenir : il vit dans un présent intensifié car son but est d’empêcher les attentats ici et maintenant. C’est un changement de logique majeur qui nous entraîne vers une justice de l’intentionnalité, et non du fait échu. Voyez la loi sur le départ en Syrie de novembre 2014 : elle permet d’interdire la sortie du territoire français à des personnes que l’on soupçonne de vouloir se rendre “sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes”. Pourtant, elles n’ont encore rien fait. »
Pour l’immense majorité des Français, l’intensité de la menace terroriste et les graves désordres du Moyen-Orient justifient l’instauration de ce régime d’exception. A condition, bien sûr, qu’il disparaisse une fois que la menace se sera éloignée. « On peut en douter, prévient la juriste Danièle Lochak.L’expérience montre que les textes votés en période de crise ont tendance à devenir permanents. Les décrets-lois adoptés à la veille de la seconde guerre mondiale ont ainsi imprimé durablement leur marque sur la législation française, notamment dans le domaine des étrangers. Certains textes de 1939 concernant les associations étrangères n’ont, par exemple, été abrogés qu’en 1981. »
Le danger invoqué par les défenseurs des droits de l’homme a un autre nom : l’habitude. Les régimes d’exception sont toujours votés dans l’urgence et la fébrilité, mais ils s’installent peu à peu dans les pratiques et deviennent, au fil des ans, des dispositifs routiniers de la justice pénale. S’habituera-t-on, peu à peu, aux normes juridiques de l’antiterrorisme, au point de les conserver lorsqu’elles ne seront plus nécessaires ? « Les crises donnent souvent naissance à des législations d’exception mais, en général, elles sont supprimées lorsque la paix est de retour, souligne Antoine Garapon. Le problème, avec la guerre contre le terrorisme, c’est qu’elle n’aura sans doute pas de fin. » Nous entrons sans doute pour longtemps dans l’ère de l’antiterrorisme et de la justice prédictive.
A l'étranger, un précédent : le Patriot Act, une législation d'exception
Document 1 :
Le 26 octobre 2001, quelques jours après les attentats qui ont frappé les Etats-Unis dans leur cœur, le président George W. Bush propose un train de mesures résumées par l'acronyme Patriot (pour providing appropriate tools required to intercept and obstruct terrorism, soit « fournir les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme »). Le texte de 132 pages modifie un certain nombre de libertés fondamentales pour renforcer fortement le pouvoir des agences de renseignement et de lutte contre le crime de l'Etat fédéral américain, du FBI à la CIA en passant par la NSA.
Samuel Laurent , « Le Patriot Act, une législation d'exception au bilan très mitigé » Le Monde.fr | 12.01.2015
Exercice 1:
Quel est l 'événement à l'origine du Patriot Act ?
Quel est son objectif
Quel risque contient-ils ?
Document 2 :
Le dispositif le plus controversé du Patriot Act prévoit ainsi que ces agences ont le pouvoir de récupérer auprès des opérateurs de télécommunication privés des informations personnelles d'usagers, mais aussi de les mettre sur écoute et d'archiver ou d'exploiter des données issues de surveillance électronique, sans que les usagers soient mis au courant, et sur simple soupçon. Cette disposition a été très controversée aux Etats-Unis, où l'Etat fédéral a de plus parfois fait appel à des sociétés privées pour exploiter les données collectées.
Le Patriot Act prévoyait aussi la possibilité de perquisitionner un suspect et de saisir des biens chez lui en son absence et sans avoir besoin de le prévenir. Il créait également des statuts juridiques particuliers, ceux d'« ennemi combattant » ou de « combattant illégal », qui permettaient d'arrêter, d'inculper et de détenir sans durée des personnes soupçonnées de terrorisme.
Samuel Laurent , « Le Patriot Act, une législation d'exception au bilan très mitigé » Le Monde.fr | 12.01.2015
Exercice 2 :
Quelles sont les agences dont parle le texte ?
Combien de pouvoirs supplémentaires ont-elles ? Enumérez-les.
Quelle est désormais la situation des citoyens ?
Quelle différence entre un inculpé de droit commun et une personne soupçonnée de terrorisme ?
II. En France : la législation existante
Document 3 :
L'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain,(...) La déclaration de l'état d'urgence donne pouvoir au préfet (...) :
1° D'interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ; (...)
3° D'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics.
(…) Le ministre de l'intérieur dans tous les cas peut prononcer l'assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée de toute personne (...) dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics (…) En aucun cas, l'assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes visées à l'alinéa précédent.
Le ministre de l'intérieur, pour l'ensemble du territoire où est institué l'état d'urgence, et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion (…) Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.
(…) Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peuvent, par une disposition expresse :
1° Conférer aux autorités administratives visées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ;
2° Habiliter les mêmes autorités à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales.
Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relatif à l'état d'urgence.
Exercice 3 :
A quelles personnes l'état d'urgence donne-t-il du pouvoir ?
En quoi l'état d'urgence contrevient-il à la liberté de déplacement ?
Enumérez les autres dispositions qui peuvent être prises alors.
Justifiez la phrase soulignée.
Comment se nomment les dispositions prévues par le dernier alinéa ?
Document 4 : ARTICLE 16.
Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances (…) Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet. Le Parlement se réunit de plein droit. (…)
Constitution du 4 octobre 1958
Exercice 4 :
Quels sont les pouvoirs donnés au Président par l'article 16 ?
Quels sont les événements qui ont inspiré cette mesure ?
Qui les a prise ? De quoi a-t-il été accusé alors ? Par qui ?
Expliquez la phrase soulignée.
Document 5 : ARTICLE 35.
La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n'est suivi d'aucun vote. Lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l'autorisation du Parlement. Il peut demander à l'Assemblée nationale de décider en dernier ressort.
Constitution du 4 octobre 1958
Exercice 5 :
Qui autorise la déclaration de guerre ?
Comment cette autorisation peut-elle être contournée ?
De quoi peut-on qualifier le Président de la République ?
Document 6 :ARTICLE 36.
L'état de siège est décrété en Conseil des ministres. Sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement.
Constitution du 4 octobre 1958
L'état de siège est codifié dans le Code de la défense. Il permet le transfert de pouvoirs de police de l'autorité civile à l'autorité militaire, la création de juridictions militaires et l'extension des pouvoirs de police. Il ne peut être mis en œuvre que sur une partie du territoire, après délibération du Conseil des ministres et avec signature présidentielle, lorsqu'il y a péril imminent du fait d'une insurrection armée ou d'une guerre. Pendant l'état de siège, il y a un transfert de pouvoirs des autorités civiles aux autorités militaires.
Quelles sont les deux causes qui peuvent engendrer l'état de siège?
Qui gagne du pouvoir ? Qui en perd ?
III. Les enjeux d'une modification constitutionnelle
Document 7 :
Exercice 7:
Définissez liberté et sécurité.
Pensez-vous que l'un et l'autre s'opposent ?
Document 8 :Hollande veut réviser la Constitution : c'est d'un Patriot Act à la française qu'il s'agit
Devant le Congrès réuni à Versailles, le président de la République a exprimé son souhait de "faire évoluer la Constitution" pour permettre aux pouvoirs publics d'agir contre le terrorisme. Bastien François, professeur à l'université Paris-I et conseiller régional EELV, craint l'amorce constitutionnelle d'un Patriot Act à la française.
« L'article 16 permet d'instaurer une sorte de dictature temporaire de salut public – le président prend alors les pleins pouvoirs, y compris législatifs – lorsque l'intégrité du territoire ou l'indépendance nationale sont menacées et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu. Ce n'est heureusement pas le cas !L'article 36 permet d'instaurer un "état de siège", qui consiste à transférer le pouvoir civil en matière de maintien de l'ordre à des forces militaires. Nous n'en sommes pas là ! Et ce qui était concevable au XIXe siècle (la notion date de 1849) l'est beaucoup moins aujourd'hui. (…) Un régime constitutionnel ? C'est donc bien plus qu'un toilettage à la Balladur. C'est bien plus que la question de l'état d'urgence et son statut législatif. C'est l'institutionnalisation d'un état d'exception. Ou, pour le dire autrement, c'est faire de l'exception une nouvelle norme. (…) Il n'est plus seulement question de mettre en œuvre la réforme proposée en son temps par Edouard Balladur mais d'instaurer un "régime civil d'état de crise" permettant de combattre "dans la durée" la menace terroriste. C'est d'un Patriot Act à la française qu'il s'agit. »
Bastien François Professeur à l'université Panthéon-Sorbonne,
conseiller régional Europe Écologie Les Verts en Île-de-France
Exercice 8:
Pour quelle raison peut-on parler d'un patriot act à la française?
Que change l'inscription de l'état d'urgence dans la consitution ?
Retour aux Etats-Unis
Document 9 : Un usage en dehors du terrorisme
Cette loi d'exception n'a jamais été abrogée. Prolongée en 2005, puis pérennisée en 2006, elle est toujours en place, même si Barack Obama a appelé à la « réformer » en 2013, à la suite de l'affaire Snowden.
Concrètement, le Patriot Act a abouti à l'émission par le FBI de plus de 200 000 national security letters (« lettres de sécurité nationale », NSL), permettant d'avoir accès aux données d'usagers de télécommunications entre 2003 et 2006, selon l'Union américaine pour les libertés civiles (American Civil Liberties Union, ACLU). Ces données ont été archivées et cherchées par des moyens automatiques (data mining).
Surtout, cette loi prévue pour lutter contre le terrorisme a été utilisée à d'autres fins. Ainsi, selon une enquête de l'Electronic Frontier Fondation (EFF), sur 11 129 demandes de perquisition dans le cadre du Patriot Act en 2013, seuls 51 avaient trait au terrorisme ; les demandes concernaient pour l'essentiel le trafic de drogue (9 401).
En France, l'idée d'un Patriot Act renvoie donc, dans l'esprit de ses promoteurs, à une accentuation des moyens de surveillance des télécommunications, qui sont pourtant déjà renforcés dans le cadre de la dernière loi antiterroriste, qui date de novembre, malgré un lobbying important du secteur des télécommunications.
Samuel Laurent , « Le Patriot Act, une législation d'exception au bilan très mitigé » Le Monde.fr | 12.01.2015
Le patriot act s'est-il limité aux auteurs des attentats du 11 septembre 2001?
Quel usage en a été fait ?
A-t-elle eu pour seul objectif de prévenir les attentats terroristes ?
Quel secteur professionnel a intérêt à cette loi ?
La Constitution américaine du 17 septembre 1787 (extraits)
ARTICLE I
Section 1. Tous les pouvoirs législatifs ci-après accordés seront conférés à un Congrès des Etats-Unis, composé d'un Sénat et d'une Chambre des Représentants.
Section 2. La Chambre des Représentants sera composée de membres choisis tous les deux ans par la population des différents Etats. Nul ne pourra être Représentant à moins d'être âgé de 25 ans, d'être depuis sept ans au moins citoyen des Etats-Unis, et de résider à l'époque de l’élection dans l'Etat dans lequel il sera élu. La répartition des Représentants entre les différents Etats se fera proportionnellement à la population totale de chaque Etat (Modification de 1868) [...]. La Chambre des Représentants élira son Président et les membres de son bureau ; elle seule aura le pouvoir de les mettre en accusation (power of impeachment).
Section 3. Le Sénat des Etats-Unis sera composé de deux Sénateurs par Etat, élus pour six ans par la population de l'Etat, et chaque Sénateur disposera d'une voix. Nul ne pourra être Sénateur s'il n'est âgé de trente ans révolus, s'il n'est citoyen des Etats-Unis depuis au moins neuf ans, et s'il ne réside pas, au moment de son élection, dans l'Etat dans lequel il se présente. Le vice-Président des Etats-Unis sera le président du Sénat. Mais il n'aura pas le droit de vote, sauf en cas de partage égal des voix. Le Sénat aura seul le pouvoir de juger les mises en accusation (impeachments). En cas de jugement du Président des Etats-Unis, le président de la Cour Suprême présidera le Sénat ; et nul ne sera déclaré coupable qu'à la majorité des deux tiers des membres présents.
Section 7. Toutes les propositions de loi relatives à l'impôt devront être d'abord discutées par la Chambre des Représentants ; mais le Sénat pourra proposer des amendements ou y concourir, comme pour toute autre proposition de loi. Toute proposition de loi votée par la Chambre des Représentants et le Sénat devra être soumise au Président des Etats-Unis avant d'être promulguée. S'il l'approuve, il la signera ; dans le cas contraire, il la renverra à la Chambre dont elle émane accompagnée de ses objections. Si, à la suite de ce nouvel examen, les deux tiers des membres des deux Chambres confirment leur vote, la loi deviendra alors définitive.
ARTICLE II
Section 1. Le pouvoir exécutif sera confié à un Président des Etats-Unis d'Amérique. La durée de son mandat, comme celle du vice-Président, sera de quatre ans, [...] Nul ne sera élu à la Présidence plus de deux fois (Amendement de 1951). Nul ne pourra être éligible à la fonction présidentielle s'il n'est par la naissance citoyen des Etats -Unis. Personne ne pourra être éligible à cette fonction s'il n'a trente-cinq ans révolus et résidé quatorze ans aux Etats-Unis. En cas de destitution, de décès, de démission du Président, ou d'incapacité à assumer les pouvoirs et les devoirs de sa charge, le vice-Président assurera sa succession.
Section 2. Le Président sera commandant en chef des forces de terre et de mer des Etats-Unis, ainsi que des milices des différents Etats, lorsqu'elles seront requises pour le service des Etats-Unis [...] Il aura le pouvoir de conclure des traités, à condition de requérir l'avis du Sénat et d'obtenir l'accord de ce dernier à la majorité des deux tiers des membres présents ; avec l'avis et l'accord du Sénat, il nommera les ambassadeurs, les autres titulaires de postes diplomatiques et les consuls, les juges de la Cour suprême, et pourvoira à tous les emplois fédéraux créés par la loi, sauf ceux dont les conditions de nomination feraient ici l'objet de dispositions particulières.
Section 3. Il informera périodiquement le Congrès sur l'état de l'Union, et il recommandera à son attention toute mesure qu'il jugera nécessaire et opportune.
Section 4. Le Président, le vice-Président et tous les fonctionnaires civils des Etats-Unis seront destitués de leurs fonctions à la suite d'un impeachment ou d'une condamnation pour trahison, corruption, ou tous autres crimes et délits.
ARTICLE III
Section 1. Le pouvoir judiciaire des Etats-Unis sera dévolu à une Cour suprême et à des tribunaux subordonnés dont le Congrès pourra en temps voulu décider la création. Les juges, tant de la Cour suprême que des tribunaux subordonnés resteront en fonction aussi longtemps que leur comportement ne donnera lieu à aucun reproche […]
Section 2. Le pouvoir judiciaire connaîtra, en droit et en équité, de tous les litiges soulevés par cette Constitution, par les lois des Etats-Unis ou par les traités déjà conclus, ou à conclure, sous leur autorité […] ; des litiges qui surgiraient entre un ou plusieurs Etats, entre un Etat et des citoyens.
Q1 – Qu’est-ce qu’une Constitution ?
Q2 – Quels sont les responsables respectifs des trois pouvoirs aux Etats-Unis ?
Q3 – Comment ont-ils été choisis ?
Q4 – Pourquoi parle-t-on d’une séparation stricte des pouvoirs dans ce cas ?
Q5 – Quels sont les moyens de contrôle du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif, et vice-versa
Q1. Quels sont les idées avancées par Barack Obama lors du discours de l'Etat de l'Union en 2015 ?
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