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LE RÉCIT DE LA TRAQUE HORS NORME DE SALAH ABDESLAM

 

LE MONDE |  • Mis à jour le  | Par 

 

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Pendant l’arrestation de Salah Abdeslam à Molenbeek (Belgique), le 18 mars.

S’il est des images que les enquêteurs ont maintes fois visionnées, fébriles, les premières semaines de la traque de Salah Abdeslam, ce sont bien ces derniers clichés du djihadiste marchant à l’air libre. De vagues images pâles, extirpées comme de l’or d’une caméra de surveillance de Bruxelles, dix jours après les attentats du 13 novembre 2015. L’homme-clé des attentats de Paris y file, silhouette fine entre un store de boutique, deux voitures et un coin de trottoir. On croit y déceler le noir d’un bonnet, le gris d’une veste. Quelques secondes supplémentaires auraient-elles suffi à remonter sa piste avec moins de peine ? La technologie s’est en tout cas interposée. La caméra qui le filme ce jour-là est programmée pour changer de champ à intervalles réguliers. Et, en un tour, elle fait s’évanouir celui qui semblait alors à portée de main.

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Apprend-on jamais vraiment à chasser les ombres ? Comment se traque un djihadiste subitement englouti par la ville ? L’enquête pour retrouver Salah Abdeslam, seul survivant du commando des tueries du 13 novembre et extradé en France le 27 avril, que Le Monde a pu consulter, restera comme un morceau exceptionnel d’histoire policière et judiciaire. Une chasse à gibiers multiples, tant de complices présumés du djihadiste ayant, eux aussi, disparu dans la nature. Un enchevêtrement de listings téléphoniques autant qu’un combat contre la rumeur crasse et les amitiés dissimulées.

Ce défi de quatre mois aussi haletant qu’épuisant, s’il faut lui trouver un début, a donc sans doute vraiment démarré là, en plein jour, ce 14 novembre 2015, à l’angle de la rue Royale-Sainte-Marie et la place Lehon, à Bruxelles, carré de pavés flanqué de quelques places de parking et d’une grosse église. Salah Abdeslam vient d’y être déposé en voiture par un proche, Ali O. Ce soudeur de 31 ans s’est épanché en garde à vue. Les enquêteurs ont suivi ses indications jusqu’à cet entrelacs de foyers populaires. L’ombre d’Abdeslam disparue, où chercher cependant ? Courir jusqu’en Syrie ? Ou s’immerger pour de bon dans ces quartiers de Schaerbeek et Molenbeek, arrondissements façon Barbès, situés en plein cœur de la capitale belge ? La seconde option sera privilégiée. Comme le note alors un enquêteur, lapidaire : « Salah Abdeslam est plus que certainement incapable de gérer sa cavale sans complicités extérieures. »

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Très vite passés au crible, les plus proches amis de Salah Abdeslam s’avèrent son meilleur rempart. Quinze hommes et une femme ont, depuis, été mis en examen, en Belgique, dans le dossier du 13 novembre, dont au moins sept sont soupçonnés de lui avoir apporté une aide plus ou moins appuyée dans sa cavale. Seuls deux ont échappé à la détention : Abdellah C., 35 ans, fils d’un imam radical belge, soupçonné de lui avoir prêté les codes de son compte Facebook, et Lazez A., 39 ans, brocanteur-ferrailleur dont le petit frère est mis en cause dans l’attentat déjoué de Verviers en janvier 2015, qui l’a peut-être caché quelques heures ou quelques jours dans son Jumper Citroën.

GPS embarqués

Personne n’a, en tout cas, pu éviter l’interrogatoire entre Molenbeek et Schaerbeek. Aron, l’ouvrier roumain en bâtiment, acheteur occasionnel de cannabis ; Rachid, le patron de snack ; Rafik, le vieil ami en galère d’emploi. « Savez-vous où il pourrait se trouver ? Qui pourrait le cacher ? » Aux interrogations obstinées et systématiques répondent les mêmes phrases fades et laconiques : « Je ne sais pas… »« Je ne peux pas vous dire »« Je ne vois pas, mis à part un fou ! », s’emporte un autre. Jusqu’à la sentence lâchée par Joy, une brune aux grands yeux passée par presque tous les bras de la bande du café des Béguines que tenaient les frères Abdeslam : « Salah est quelqu’un de très réservé, de très timide, mais néanmoins déterminé. Je pense qu’il va aller jusqu’au bout des choses. Il ne se rendra pas. »

Aux yeux des enquêteurs, toute la fratrie Abdeslam est, elle aussi, soupçonnée d’intelligence avec le fuyard. Yazid, 33 ans, Mohamed, 29 ans, Myriam, 22 ans. Mohamed, parce qu’il travaille au service des étrangers de la mairie de Molenbeek et que l’on découvre qu’il monnaye au noir ses consultations du fichier central. Myriam, parce qu’elle tente à plusieurs reprises de contacter son frère par SMS sur ses anciens numéros : « Salah ? », lui envoie-t-elle, sans se douter qu’elle est sur écoute. Yazid, surtout, l’aîné, parce qu’il a étrangement détruit une carte SIM d’un téléphone de ses petits frères juste avant une perquisition et que son comportement erratique au fil des mois interroge.

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En réalité, la piste d’Abdeslam va être progressivement remontée, mais par un tout autre biais. La petite pègre de Molenbeek aime les belles voitures, les berlines rutilantes. Pour les enquêteurs, la tournée des loueurs est un passage obligé. A l’occasion de ce ratissage, un nom bien connu de leur documentation va émerger : celui de Mohamed B. Musulman pratiquant, 27 ans, tête ronde, cheveux ras sur barbe foisonnante, Mohamed B. a la particularité d’arrondir ses fins de mois d’allocataire chômage par de l’achat-vente de lots d’électroménager. Une petite affaire qu’il mène en tandem avec un certain Khalid El Bakraoui, bientôt identifié comme un logisticien du 13  novembre et futur kamikaze du métro de Bruxelles, le 22 mars.

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Ce qui permet aux enquêteurs d’avancer, c’est toutefois moins cette amitié affichée de Mohamed B. avec Khalid El Bakraoui que sa fâcheuse habitude de louer des BMW ou des Audi A6 avec GPS embarqué. Des véhicules dont les enquêteurs vont étudier en détail l’ensemble des trajets. Etablir des périmètres de fréquentation. Croiser avec le bornage de ses neuf numéros de téléphones portables. Pour finalement remonter jusqu’à trois planques – une quatrième a été trouvée depuis –, toutes utilisées entre septembre et décembre 2015 pour préparer les tueries parisiennes et qui vont indirectement mener jusqu’à Salah Abdeslam.

La première est la moins soupçonnable. Située à Auvelais, au cœur d’un quartier résidentiel près de Namur, voici une ravissante maisonnette en briques rouges dotée d’une véranda et de haies verdoyantes. Les policiers la trouvent vide, le 26 novembre. Aucune trace du djihadiste. Très vite, ils apprennent toutefois l’alias de celui qui l’a louée sous un faux nom : Sofiane Kayal. Un alias qu’ils ont déjà identifié comme étant celui de Najim Laachraoui. L’artificier du 13 novembre et futur kamikaze du 22 mars, lui à l’aéroport de Zaventem.

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La deuxième planque est repérée à Schaerbeek, en plein Bruxelles. Hasard troublant : l’adresse est située à moins de 500 mètres à pieds d’où a été vu la dernière fois Salah Abdeslam par la caméra, le 14 novembre. Juste derrière la grosse église. Dans un premier temps, les enquêteurs n’ont que le nom de la rue – Henri-Bergé –, pas l’appartement. Ce n’est qu’en interrogeant, palier par palier, l’intégralité des résidents qu’ils finissent par être alertés, au numéro 86, par un propriétaire. Son locataire lui a récemment signifié être contraint de rester en Espagne « s’occuper de sa mère hémiplégique ». Il a laissé sa carte d’identité pour le bail. Nom officiel : Fernando Castillo. Un grossier faux, sur lequel Mohamed B. pose affublé d’une perruque et d’énormes lunettes qui lui mangent le visage.

DANS LE DUPLEX, LES POLICIERS RETROUVENT DE QUOI S’INQUIÉTER : DES TRACES D’EXPLOSIFS, UNE MACHINE À COUDRE ET TROIS CEINTURES EN TISSUS

On est alors début décembre. Une nouvelle fois, aucune trace de Salah Abdeslam. Un indice tend toutefois à démontrer que l’on s’en rapproche. Dans le logement abandonné, les équipes techniques découvrent une empreinte du djihadiste. Quand et combien de temps a-t-il pu se terrer rue Henri-Bergé ? A-t-il fui, alerté par deux perquisitions bruyantes menées sans succès, le 4 décembre, à des numéros voisins ? Dans ce duplex situé au dernier étage d’un immeuble sans histoire, les policiers retrouvent de quoi s’inquiéter : des traces d’explosifs, une machine à coudre et trois ceintures en tissus destinées à être portées avec un contenant. L’atelier des kamikazes du 13 novembre.

Reste une troisième planque, à Charleroi celle-là, 29, rue du Fort. Sa découverte est un miracle né d’un croisement chanceux entre porte-à-porte et données GPS d’un véhicule du commando laissé au Bataclan. Un chapitre en soi de l’enquête qui a même son nom de code : « volet Carolo ». Située dans un petit immeuble de rapport, cette planque va surtout intéresser les enquêteurs par la fausse identité de celui qui l’a louée. Là encore, le faux locataire s’est amusé à se coiffer d’une grossière perruque bouclée et de lunettes vintage sur la carte d’identité laissée pour le bail. Sous le nom d’emprunt d’Ibrahim Maaroufi, il s’agit, cette fois, de Khalid El Bakraoui.

Les jours sont parfois longs entre ces découvertes. Impossible de compter le nombre de perquisitions vaines, de propriétaires mécontents d’avoir vu leurs portes défoncées, de factures à 5 000 euros envoyées pour se faire rembourser… Les analyses des saisies informatiques sont faites en urgence, mais difficile d’en avoir le résultat en moins de deux mois. La législation belge empêchant de filtrer les écoutes, des piles de procès-verbaux s’entassent, noient les enquêteurs dans les méandres de conversations de ménagères. L’interprétation des échanges les plus obscurs prend des airs d’art divinatoire. Comme ce « pour Abd », extrait le 14 janvier d’une conversation SMS d’un détenu de la prison d’Ittre qui filoute pour réserver une voiture sur Internet depuis sa cellule. Ou cet échange entre un numéro syrien et un portable bruxellois un jour de novembre : « Quoi de neuf ? » - « Rien. » - « Comment ça se passe là-bas ? » - « Tout va bien. » - « C’est le bordel ici. » - « Je sais… »

Filière de faux papiers

En parallèle, une autre enquête judiciaire progresse toutefois sans bruit. Celle sur une filière de faux papiers. Son démantèlement a démarré bien avant les attentats, en octobre 2015. Plus d’un millier d’identités contrefaites ont été saisies. Après les tueries, les enquêteurs ont repéré que trois membres de l’équipe du 13 novembre y ont eu recours, dont Salah Abdeslam. Lui aussi s’est camouflé avec une perruque ridicule façon coupe au bol des années 1970 et des lunettes gigantesques. Or, en approfondissant leurs recherches, les policiers vont tomber sur une dernière fausse carte d’identité qui va d’un coup précipiter toute la traque.

Son alias répond au nom improbable de Mehdi Vandenbus. Il s’agit en fait une nouvelle fois de Khalid El Bakraoui. C’est toutefois moins sur son nom que sur son adresse que les enquêteurs espèrent mettre la main. L’opérateur d’électricité et de gaz belge va leur fournir la réponse, mais le 15 mars… sept jours avant les attentats de Bruxelles. Le dénommé Mehdi Vandenbus a bien sollicité leurs services, début janvier, visiblement lors de son emménagement. A l’époque, il a demandé un raccordement à Forest, commune voisine de Bruxelles, 60, rue du Dries.

« DEUX PERSONNES ONT PRIS LA FUITE PAR L’ARRIÈRE DU BÂTIMENT. L’UNE D’ELLES PORTAIT UNE BARBE ET UNE ARME LONGUE »

Une perquisition est décidée dans la journée. A force de mener des recherches infructueuses, les enquêteurs commettent cependant l’imprudence de se présenter peu nombreux, mal équipés. L’entrée est défoncée à l’aide d’un bélier. Mais, au lieu d’un appartement vide, ils tombent nez à nez avec un canon de kalachnikov. Plusieurs policiers sont blessés. Les forces spéciales belges se précipitent, abattent le tireur, mais trop tard. « Deux personnes ont pris la fuite par l’arrière du bâtiment. L’une d’elles portait une barbe et une arme longue, l’autre non », confie, dans la foulée, un témoin réclamant l’anonymat. Les deux fuyards ne sont autres que Salah Abdeslam et un comparse de 22 ans proche de la nébuleuse djihadiste tunisienne, et identifié depuis sous le nom de Sofien A., alias Amine Choukri.

Autre coup dur : le tireur tué est rapidement identifié… Il s’agit de Mohamed Belkaid, l’un de ceux qui ont coordonné les attaques du 13 novembre à distance, par téléphone. Selon nos informations, il avait déjà été entendu au tout début de l’enquête, dès le 19 novembre. Raté ou hasard de l’homonymie ? Le parquet fédéral belge a démenti l’information, vendredi 1er juillet. Un Mohamed Belkaid, 35 ans, d’origine algérienne, parfois orthographié « Balkaid », a toutefois bien été interpellé, à l’aube, dormant dans son salon, en novembre, et perquisitionné. L’homme avait nié toute proximité avec le djihadiste, allant jusqu’à assurer : « Je ne connais pas de terroristes et j’espère que je n’en connaîtrai jamais. Je ne cautionne pas la violence au nom de l’islam ou tous les actes de ces personnes. » Il avait été remis en liberté.

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L’appartement de la rue Dries, à Forest (Belgique), le 16 mars, le lendemain de la perquisition au cours de laquelle Salah Abdeslam est parvenu à s’enfuir.

La fusillade de Forest amorce toutefois la fin de la cavale. Dans la nature, il y a toujours Mohamed Abrini, complice présumé du 13 novembre et futur « homme au chapeau » des attentats de Bruxelles. Mais c’est sur Salah Abdeslam que les écoutes réactivées tous azimuts vont finir par aboutir. L’enquête revient alors à son point de départ. Un détour après une grande boucle.

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Deux appels intriguent en effet les enquêteurs, le 15 mars, dans la foulée des échanges de tirs. Leurs auteurs ont contacté un numéro qu’à force de recoupement les policiers pensent être utilisé par le djihadiste. Or ces deux personnes ont elles aussi déjà été entendues en novembre 2015. Elles aussi ont sans doute menti sur leurs accointances avec le fuyard. Il y a Boubouh M., 29 ans, technicien en sécurité incendie le jour, prof de karaté le soir et ancien voisin de palier des Abdeslam, place communale. Mais, surtout, un certain Abid A., repéré via le téléphone de sa femme et considéré comme une des figures « radicales » du milieu salafiste molenbeekois.

« Abdeslam c’est ma famille »

« Salah Abdeslam, c’est ma famille », est-il un des rares à assumer, sans détour, lorsqu’il est interrogé dans la foulée des attentats. « Sa grand-mère maternelle est la sœur de ma grand-mère paternelle », explique-t-il ce jour-là. Surveillé de près durant les quatre mois de cavale d’Abdeslam, Abid A., père de quatre enfants, employé depuis quinze ans dans la même société de propreté, n’offre rien, jamais, aux enquêteurs qui permette de douter de sa bonne foi initiale. A peine retrouve-t-on chez lui un ouvrage intitulé Le Combat entre l’islam et l’athéisme en Afghanistan. Il a bien assisté le 17 mars, deux jours après la fusillade de Forest, aux funérailles de Brahim Abdeslam, l’un des frères de Salah, mort en kamikaze sur la terrasse du Comptoir Voltaire, à Paris. Mais si les Abdeslam sont sa « famille », qui suspecterait sa vieille mère handicapée d’une quelconque collusion avec le djihadiste fugitif ?

C’est pourtant chez la discrète Djamila, 55 ans, rue des Quatre-Vents, le vendredi 18 mars, vers 16 heures, en plein cœur du Molenbeek le plus modeste, que les enquêteurs vont découvrir un Salah Abdeslam fatigué, amaigri, au côté de Sofien A., l’autre fuyard de Forest. L’ADN du kamikaze raté du 13  novembre a été identifié dans la planque de la rue du Dries peu de temps auparavant. Quand les forces spéciales frappent à la porte, Salah Abdeslam tente une dernière échappée. Mais on lui tire dans les jambes. Il est rapidement maîtrisé, menotté, puis embarqué, blessé.

Lors de l’inspection du domicile de la vieille dame, dans la soirée, l’enquêteur qui rédige le procès-verbal de constatations de ce petit deux-pièces avec buanderie, situé en rez-de-chaussée, comprend que c’est dans la cave que le djihadiste a passé ses trois derniers jours : « Constatons la présence d’un gros tapis à même le sol ayant visiblement servi de couchage, à côté duquel nous trouvons des restes de nourriture (boîte de pizza, bouteille de soft vide, biscuits, bananes…) et six packs d’eau », note-t-il, appliqué. Le temps du week-end laisse un illusoire répit aux enquêteurs. Tous ceux qui n’avaient été que les soutiers du 13 novembre s’apprêtent à passer à l’acte à leur tour. Le mardi 22 mars, vers 8 heures, trois bombes réveillent Bruxelles.

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En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/article/2016/06/30/salah-abdeslam-recit-d-une-traque-hors-norme_4961174_4809495.html#Ybm4LySOtGLsUQE6.99


13/11/2016
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13 NOVEMBRE : L’ENQUÊTE DÉVOILE UN PROJET TERRORISTE DE GRANDE AMPLEUR

 

L’organisation des planques, le nombre d’hommes impliqués, les cibles envisagées, tout confirme la piste d’une cellule aux ambitions initiales encore plus vastes que les tueries perpétrées à Paris et Saint-Denis.

 

LE MONDE |  • Mis à jour le  | Par 

 

 

Lors d’une opération de police à Schaerbeek,  le 24 mars. La preuve des ramifications des attaques du 13 novembre avait été découverte fin mars à proximité d’une des dernières planques des djihadistes, rue Max-Roos, dans cette commune de l’agglomération bruxelloise.

Pas à pas, l’enquête progresse sur les attentats du 13 novembre 2015, revendiqués par l’organisation Etat islamique. Et pas à pas, elle laisse apparaître une organisation beaucoup plus complexe qu’on pouvait l’imaginer au départ. Le système des planques, le nombre d’hommes impliqués, les cibles envisagées, tout confirme la piste d’une cellule aux ambitions initiales bien plus vastes encore que les tueries perpétrées au Stade de France, sur les terrasses du 11e arrondissement et au Bataclan. La mise au jour de toutes les ramifications de ce réseau permet de mieux comprendre comment Salah Abdeslam a pu être en cavale durant quatre mois, et prouve plus que jamais que les attentats de Paris et ceux de Bruxelles, le 22 mars, sont le fait d’une même cellule, voire d’un seul et même projet initial.

La preuve, écrite noir sur blanc, a été découverte dans un ordinateur retrouvé fin mars, au lendemain des attentats bruxellois, dans une poubelle située à proximité d’une des dernières planques des djihadistes, rue Max-Roos, à Schaerbeek, une des communes de la capitale belge. Il y avait beaucoup de choses, dans ce petit portable : des testaments, des listes de cibles (le quartier d’affaires de la Défense, l’association intégriste Civitas, étrangement rangée dans un fichier intitulé « jeunesse catholique, royaliste, punk »), des recherches sur les explosifs, etc.

Les terroristes avaient pris soin d’en chiffrer les données. Un dossier a toutefois pu être retranscrit, dont le contenu n’avait pas encore filtré. Il était enregistré sur le bureau et laisse apparaître toute l’architecture de la cellule. Le véritable « plan des attentats terroristes du 13 novembre », « voire d’attaques futures », selon les policiers, qui savent que cet ordinateur, à la différence d’autres, a été transporté de planque en planque par les terroristes.

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Pas de certitudes définitives

Baptisé « 13 novembre », ce dossier contenait plusieurs sous-fichiers. Le premier était nommé « groupe Omar », le second « groupe Français », le troisième « groupe Irakiens », le quatrième « groupe Schiphol ». Le dernier : « groupe métro ». Autant d’intitulés faisant directement écho à la façon dont ont été mises en œuvre les tueries. « Omar » était le surnom d’Abdelhamid Abaaoud, le leader du commando qui a pris pour cible les terrasses des cafés parisiens. L’équipe du Bataclan n’était composée que de kamikazes français (Foued Mohamed-Aggad, Samy Amimour et Ismaël Omar Mostefaï). Deux des hommes qui se sont fait exploser au Stade de France étaient des ressortissants irakiens.

Les enquêteurs n’ont pas de certitudes définitives sur les deux derniers groupes. L’équipe « Métro » visait-elle initialement le métro parisien et s’est-elle rabattue sur celui de Bruxelles, le 22 mars ? Le groupe « Schiphol » correspondait-il à un projet d’attaque contre l’aéroport d’Amsterdam, ainsi nommé ? Les vérifications en cours laissent en tout cas penser qu’initialement, l’équipe « Schiphol » devait bien agir dès le 13 novembre.

A CHAQUE FOIS QU’UNE NOUVELLE ÉQUIPE ARRIVAIT DANS UNE PLANQUE, LE FRIGO ÉTAIT PLEIN, UNE NOUVELLE TABLETTE AVEC CONNEXION INTERNET ÉTAIT BIEN SOUVENT PRÉSENTE POUR OCCUPER LES HEURES, SUIVRE L’ACTUALITÉ. DANS L’UNE DES PLANQUES, LES DJIHADISTES ONT MÊME EU DROIT À UNE PLAYSTATION

Deux hommes soupçonnés d’être en lien avec ce projet ont été arrêtés au hasard de la traque des différents protagonistes des tueries de Paris et de Bruxelles. Le premier, Sofien A., 23 ans, d’origine tunisienne, a été interpellé le 18 mars, au même endroit que Salah Abdeslam, rue des Quatre-Vents, à Molenbeek. Le second, Ossama K., d’origine syrienne et de nationalité suédoise, a été surpris le 8 avril à Anderlecht, en même temps que Mohamed Abrini, « l’homme au chapeau » de l’attentat à l’aéroport de Bruxelles.

On sait peu de chose du premier, Sofien A., si ce n’est qu’il envisageait de mourir en martyr. Qu’il est passé par la Syrie, où il aurait hésité entre une formation d’artificier et une carrière de fantassin dans les rangs de l’EI. Et qu’il aurait déjà été mêlé à des projets terroristes en Tunisie. Ossama K. lui, âgé de 23 ans, originaire d’une cité modeste de Malmö, avait quitté la Suède pour la Syrie, début 2015.

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Un autre commando

La sous-direction antiterroriste (SDAT) française a pu établir qu’ils avaient tous les deux pris un bus Eurolines de la gare de Bruxelles-Nord pour Amsterdam, le 13 novembre. Qu’ils avaient utilisé, à cette occasion, de fausses pièces d’identité. Et que leur ticket n’était qu’un aller simple. Interrogé, Ossama K. a indiqué avoir réservé une chambre d’hôtel dans la ville néérlandaise pour une nuit, avant de revenir sur ses déclarations et d’expliquer qu’ils avaient fait l’aller-retour dans la journée. Pourquoi ne sont-ils pas passés à l’acte ? Devaient-ils être plus nombreux ? Ces questions sont pour l’instant sans réponse.

Les investigations en cours mènent aujourd’hui jusqu’en Hongrie. L’analyse de la téléphonie de Salah Abdeslam et des transferts d’argent montrent qu’il y a bien eu un homme ou une cellule-relais dans ce pays pendant plusieurs mois, a minima entre fin août et début novembre 2015. Un individu y ayant transité pourrait être arrivé par la route des migrants, comme plusieurs autres membres des commandos du 13 novembre. Etre venu jusqu’à Bruxelles, et avoir séjourné dans plusieurs planques de la cellule franco-belge. Un profil ADN non identifié a été repéré dans plusieurs d’entre elles.

L’enquête a depuis plus longtemps permis d’établir qu’un autre commando avait été retardé sur cette voie des Balkans et n’avait pu arriver à temps pour le 13 novembre. Ce commando, dit « autrichien », a été interpellé, en décembre 2015, à Salzbourg, dans un centre d’hébergement pour demandeurs d’asile. Quatre hommes, au total, ont été arrêtés en Autriche. Deux sont passés aux aveux. Ils ont reconnu qu’ils avaient pour mission initiale de passer à l’acte, à Paris, le 13 novembre. Arrivés à bord du même bateau que les Irakiens kamikazes du Stade de France, ils ont été bloqués vingt-cinq jours en Grèce, après que leurs faux documents syriens ont été repérés.

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Logistique élaborée

D’autres individus, toujours dans la nature, sont également soupçonnés d’avoir été en contact avec des membres de la cellule franco-belge, sans qu’il soit possible, en l’état, de les raccrocher directement à ses projets d’attentats. L’existence de possibles complices toujours en liberté inquiète d’autant plus les enquêteurs qu’après les attentats du 13 novembre, les membres survivants de la cellule ont montré leur détermination à achever leur mission, mise à exécution le 22 mars lors des attentats de Bruxelles.

Pour préparer leurs attaques, la cellule disposait d’une logistique élaborée. Près d’une dizaine de planques ont été découvertes au fil des mois, la plupart autour de Bruxelles (Auvelais, Charleroi, Schaerbeek – à deux adresses différentes –, Jette, Forest, Laeken, Etterbeek, Anderlecht…). Une vie de clandestinité très organisée, où chacun avait son rôle, certains complices étant spécifiquement chargés de louer les appartements sous de faux noms, de faire les courses, et de jouer les chauffeurs en déplaçant les équipes de lieu en lieu. A chaque fois qu’une nouvelle équipe arrivait dans une planque, le frigo était plein, une nouvelle tablette avec connexion Internet était bien souvent présente pour occuper les heures, suivre l’actualité. Dans l’une des planques, les djihadistes ont même eu droit à une PlayStation.

La cavale de Salah Abdeslam a ainsi pu être en partie reconstituée. Selon les déclarations d’un des mis en examen, le djihadiste est arrivé dès le lendemain des tueries parisiennes, le 14 novembre « dans la nuit »,dans l’appartement de Schaerbeek, rue Henri-Bergé, qui avait servi d’atelier pour les ceintures explosives. A deux pas de là où il avait été lâché en voiture le jour même. Les enquêteurs pensent que Salah Abdeslam a ensuite été transféré durant environ un mois, en décembre, dans un appartement au neuvième étage d’un immeuble de Jette, en périphérie de Bruxelles. Un endroit où il s’est retrouvé en compagnie de Mohamed Abrini et de Ossama K.

Début janvier, les trois hommes ont été denouveau transférés, à Forest, rue du Dries. Là où, le 15 mars, lors d’une perquisition, une équipe d’enquête tombe nez à nez avec le commando, déclenchant un échange de tirs nourri et précipitant sans doute la mise en œuvre des attentats de Bruxelles. Salah Abdeslam, lui, sera arrêté quatre jours avant les attaques, le 18 mars.

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13/11/2016
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