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Une relance européenne de 315 milliards ?

D'où sortent les 315 milliards d'investissements promis par la Commission européenne ?

Le Monde | | Par

Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à Strasbourg, le 22 octobre.

Le « plan Juncker » de 315 milliards d'euros pour l'investissement, présenté mercredi 26 novembre par le président de la Commission européenne, doit marquer un infléchissement de la stratégie économique de Bruxelles, tournée davantage vers la croissance. Décryptage d'un tour de magie censé relancer les investissements de l'Europe sans creuser ses déficits.

1. Pas 315, mais 21 milliards d'euros

La contrainte budgétaire a largement limité les possibilités d'investissement de l'Union européenne ou de ses Etats membres dans le plan de relance. D'où l'idée de recourir à un mécanisme financier : l'effet de levier.

Sur les 315 milliards d'euros annoncés par Jean-Claude Juncker, seuls 21 milliards proviendront en réalité des institutions européennes. Et parmi ces 21 milliards, à peine 5 milliards devraient correspondre à de l'argent frais mis à disposition par la Banque européenne d'investissement (BEI), le bras armé financier de l'Union européenne. Les 16 milliards restants seront en fait recyclés à partir de budgets européens 2014-2020, déjà approuvés par les Etats membres.

La contribution du budget européen au plan d'investissements Juncker.

Pour Emmanuel Macron, le ministre français de l'économie, ce plan manque de « vrai argent » pour avoir « un véritable effet macroéconomique ». Il avait réclamé quelques jours auparavant, un apport de 60 à 80 milliards d'argent frais.

2. L'astuce de l'effet de levier

Comment arrive-t-on donc aux 315 milliards annoncés par Jean-Claude Juncker ? Toute l'astuce repose sur un mécanisme d'ingénierie financière qu'on appelle « l'effet de levier ». Plutôt que de subventionner directement un projet avec 1 euro d'argent public, l'Union européenne va « utiliser [s]es ressources de manière plus judicieuse », en investissant cet euro dans un nouveau fonds d'investissement, le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS).

Comme une banque, ce fonds pourra prêter davantage qu'il ne possède dans ses fonds propres (trois fois plus, environ) aux investisseurs privés qui souhaitent investir dans l'un des projets européens qu'il aura sélectionnés. La Commission européenne parie sur le fait que ce montage rassurera les investisseurs, les incitant à placer leurs capitaux dans des projets qu'ils n'auraient jamais financés spontanément. L'appui de l'argent public à ces projets est en effet censé limiter le risque qu'ils prennent en investissant et générer pour eux des rendements plus attractifs.

Sauf que les investisseurs ne se contenteraient pas d'investir le montant qu'ils ont emprunté, mais environ cinq fois plus, selon les « estimations prudentes » de la Commission : avec 21 milliards d'euros versés dans le Fonds, 63 milliards de prêts seraient donc consentis cette année. Ces 63 milliards d'euros, multipliés par cinq, amènent à un investissement final de 315 milliards dans les projets ciblés sur les trois prochaines années. Le chiffre n'est qu'une estimation, qui pourra moduler en fonction de la réussite de l'effet de levier.

L'effet de levier du plan Juncker.

3. Une incitation pour que les Etats investissent

Les Vingt-Huit n'ont aucune obligation de contribuer au Fonds européen pour les investissements stratégiques. Seul l'argent qu'ils versent au budget européen sera indirectement mobilisé.

La Commission a toutefois créé une forte incitation pour qu'ils le fassent, afin d'augmenter la taille du fonds au-delà des 21 milliards initiaux : leurs contributions ne seront pas considérées comme de l'endettement au regard des critères de Maastricht. Si la France décide d'investir 1 % de son PIB, la Commission européenne fermera donc les yeux sur la progression de son endettement, et promet de ne pas la sanctionner, considérant qu'il s'agit de « bonne dette ».

Sur la question du déficit français, lire : Bruxelles accorde un délai de trois mois à Paris

4. Pourquoi n'y a-t-on pas pensé avant ?

Ce coup de baguette magique n'a rien de révolutionnaire : on le retrouve, par exemple et dans une certaine mesure, en France sous la forme des partenariats public-privé (PPP). Créés en 2004 et aujourd'hui très critiqués, ils permettent à une collectivité publique de confier la réalisation d'un projet à un opérateur privé, qui se rémunère grâce à un loyer versé pendant plusieurs années.

Lire (édition abonnés) : Bercy face à « la bombe à retardement » des partenariats public-privé

Si l'Union européenne n'a pas fait appel à ce type d'outil auparavant, c'est qu'il présente plusieurs risques ou inconvénients :

  • Les projets dans lesquels le FEIS investira seront « des projets plus à risque », dans lesquels les investisseurs n'auraient pas placé de l'argent en temps normal. Les finances européennes devront donc supporter les pertes en cas d'échec.

  • Recourir à un tel montage revient à reconnaître que « les seules forces du marché ne peuvent apporter de solution à court terme » au problème d'investissement en Europe – ce que la commission Barroso, plus conservatrice, n'aurait peut-être pas admis.

  • En donnant la priorité aux projets les plus stratégiques, la Commission européenne va diminuer les ressources disponibles pour les autres projets – avec la conséquence de favoriser les projets vraiment rentables au détriment des « cathédrales dans le désert », comme elle les appelle poétiquement.

5. Quels projets seront financés ?

C'est la grande question que tout le monde se pose, mais aucune réponse ne sera apportée avant la mi-décembre. D'ici là, les vingt-huit Etats de l'Union vont faire remonter à un groupe de travail européen la liste des projets qu'ils estiment prioritaires. Des fonctionnaires de la Commission européenne et de la Banque européenne d'investissement vont devoir sélectionner parmi eux les projets « stratégiques »...

  • les plus prometteurs du point de vue de la rentabilité et de la création d'emplois ;

  • qui peuvent être réalisés à brève échéance ;

  • qui favorisent la coopération européenne.

Par exemple : l'interconnexion des réseaux électriques entre deux Etats ou le développement de transports transfrontaliers. Il s'agira essentiellement d'infrastructures lourdes, même si la Commission européenne promet d'aider aussi directement les PME et les projets « à capital humain », comme la formation des chômeurs ou l'éducation.

Officiellement, il n'y aura pas de quotas de projets par pays, mais nul doute que les grands pays feront pression pour voir leurs projets remonter dans la liste. France 2 croit ainsi savoir que la liaison de train Roissy-Paris bénéficiera du plan Juncker.



10/01/2016
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