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La droite et la gauche expliquées à ma fille

 

Le Monde   

 

La campagne présidentielle n'enthousiasme personne, et surtout pas les jeunes. Au lycée, qu'ils votent ou non, les adolescents sont au mieux perplexes, au pire indifférents. Dans les deux cas ce n'est pas satisfaisant car ce qui se joue est malgré les apparences un débat d'Idées qui mérite leur attention. Au-delà des discours caricaturaux, il est important de leur expliquer sereinement ce qui au fond différencie réellement Nicolas Sarkozy de François Hollande, et de façon plus générale la "droite" de la "gauche".

   

 Voici quelques repères pour répondre à leurs questions.Il est utile de leur rappeler, d'abord et avant tout, que tous les candidats, quelque soit leur parti, ont pour ambition de rendre les gens heureux. Oui, même Marine Le Pen. La seule réserve, dans son cas, consisterait à dire que sa cible est moins large : dans "les gens", elle range sans doute moins de monde que les autres candidats. Mais l'ambition demeure : les programmes prétendent tous améliorer la vie des gens. Il n'y a pas la méchante droite d'un côté, et la gentille gauche de l'autre, ou inversement. Les extrêmes n'y échappent pas, qui proposent toutefois des méthodes un peu plus radicales pour y parvenir. Car ce sont les méthodes qui font la différence, les moyens à mettre en œuvre. S'agissant des principaux partis en lice, c'est même une différence de vision du monde, qui se traduit par l'ordre dans lequel ils placent l'individu et la société, c'est-à-dire le collectif.

 

Pour le dire en quelques mots et proposer à nos adolescents une formule qui résume bien le débat : la droite pense que pour que la société aille mieux, il faut que les individus aillent mieux. La gauche pense à l'inverse que pour que les individus aillent mieux, il faut que la société aille mieux. La droite part de l'individu et considère qu'une société harmonieuse est le fruit, ou la somme, de la réussite ou du bien-être individuel. La gauche fait le chemin inverse, en considérant qu'il ne peut y avoir de bien-être individuel qu'au sein d'une société harmonieuse. La réussite collective précède et conditionne la réussite individuelle. C'est une distinction fondamentale qui traverse la science économique, la sociologie, et l'ensemble des sciences humaines. Il est logique qu'on la retrouve dans le champ politique.

 

       Détaillons un peu. Pour la droite, l'initiative individuelle est le moteur de la société. C'est elle qu'il faut favoriser, à qui il faut donner les moyens de son épanouissement. Le désir de réussir, l'envie de s'enrichir, la volonté de s'élever socialement : voilà des motivations que la droite reconnaît comme les principaux moteurs de l'action. Elle s'interdit de porter un jugement moral : l'avidité ou l'appât du gain n'ont pas à être condamnés puisque la fameuse "main invisible" se charge de transformer ces vices privés en vertus publiques. Les mécanismes sont connus : la volonté de réussir provoque le besoin de s'instruire, de créer des entreprises, d'innover, ce qui au final crée de la croissance, des emplois et plus généralement de la richesse. Celle-ci peut alors être plus ou moins redistribuée par l'Etat, au travers de dispositifs comme la sécurité sociale, l'assurance chômage, l'enseignement, ou les infrastructures collectives. La limite de ce raisonnement, c'est que ça ne marche pas aussi bien que prévu. La gauche pointe précisément cette faiblesse : depuis 20 ans en particulier, la richesse créée par la croissance n'a profité qu'à une très petite minorité, ce qui a conduit à une explosion des inégalités entre les classes aisées et les classes modestes. Elle réclame en conséquence davantage de régulation : en clair, que l'on cesse de se reposer sur l'initiative individuelle en pensant que les problèmes collectifs se résoudront d'eux-mêmes grâce à la main invisible.

 

La gauche propose en effet d'inverser la perspective. Elle constate que tout le monde ne part pas dans la vie avec les mêmes armes et que le mécanisme de la main invisible ne peut fonctionner que si chacun démarre avec le même bagage, dans le même contexte. Elle propose de commencer par travailler ce contexte, afin que chacun dispose d'un capital de départ financier, culturel, symbolique, à peu près équivalent. C'est la raison pour laquelle les questions d'éducation, de protection sociale, d'infrastructure, de logement etc. sont si présentes dans son discours, là où la droite parle plus volontiers d'aider les entreprises et les entrepreneurs, ou met en avant "la France qui se lève tôt". A gauche, on n'hésite pas à justifier cette prééminence du collectif par des jugements moraux, contrairement à la droite. Considérant que le raisonnement politique doit s'imposer au raisonnement économique, elle considère certains comportements économiques comme clairement immoraux et entend encadrer davantage l'activité, afin de  remettre l'économie volontairement au service de la société, et non mécaniquement par le biais de la main invisible.

 

Ce faisant, elle prend le risque de l'angélisme, qui consiste à ne pas reconnaître la réalité des comportements individuels en pariant sur une humanité vertueuse. C'est la limite que pointe la droite : l'expérience montre que les réussites, qu'elles soient individuelles ou collectives, n'ont que peu à voir avec les bons sentiments. De surcroît, dans un contexte mondialisé et encore très déséquilibré entre les riches démocraties du Nord et les nombreux pays du Sud qui aspirent eux aussi à la prospérité sans avoir le même niveau d'exigence sociale, c'est prendre un risque important.

 

Chacune des visions porte naturellement une part de vérité et une part d'exagération. Aucune n'est suffisante et nos adolescents doivent en être conscients. Que cela ne les empêche pas de pencher d'un côté ou de l'autre. L'important, c'est de comprendre les termes du débat, et d'y participer.



02/03/2016
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