Il y a quelque chose d’insensé dans le monde des banquiers centraux. Jeudi 22 janvier, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a annoncé que son institution allait racheter pour plus de 1 140 milliards d’euros de dettes publiques et privées. Un programme dit « d’assouplissement quantitatif », ou quantitative easing en anglais (QE).
L’annonce a été saluée par les marchés. Les analystes, eux, estiment dans l’ensemble que la BCE n’avait pas vraiment le choix. D’abord, parce que les prix ont reculé de 0,2 % en décembre 2014 dans l’union monétaire, loin de la cible de 2 % fixée par son mandat. Elle ne pouvait donc pas rester les bras croisés.
Ensuite, parce que seul un programme d’une telle ampleur était susceptible de créer le choc de confiance dont la zone euro a besoin. Pour que la croissance revienne, il faut d’abord que les marchés, les entreprises et les ménages y croient.
Paradoxe
La BCE a donc abattu sa dernière carte : les achats de dettes publiques, comme l’ont fait ses homologues des Etats-Unis et du Royaume-Uni avant elle, avec succès.
Et pourtant. Les experts qui soutiennent que le QE était indispensable affirment aussi que son effet sur la croissance risque d’être quasi nul. Il y a de quoi tomber de sa chaise ! Où passeront donc les 1 140 milliards d’euros s’ils ne finissent pas par irriguer l’économie réelle, par exemple grâce aux crédits aux PME et aux particuliers ?
C’est tout le paradoxe de cette arme monétaire massive. Elle fonctionne comme une puissante étincelle, destinée à relancer le moteur économique. Mais si le moteur est noyé, l’étincelle ne sert à rien. Pire, elle risque de mettre le feu ailleurs. Pour l’Europe, cela signifie que le QE ne fonctionnera que si les Etats soutiennent l’investissement et poursuivent les réformes favorisant la croissance.
Des bulles spéculatives pourraient se former
Disons-le tout net : les réformes en question ne se résument pas à déréguler tous azimuts le marché du travail, comme certains le caricaturent parfois. Il s’agit plutôt de faire en sorte que les PME n’aient pas à remplir quarante-cinq dossiers et poireauter dix-huit mois pour obtenir un permis de construire ou un prêt. Ou encore, de faire sauter les monopoles empêchant l’innovation et la baisse des prix dans les secteurs verrouillés.
Sans cela, les banques n’utiliseront pas les nouvelles liquidités injectées par la BCE pour accorder des prêts, puisque la demande de prêts sera nulle. A la place, elles les utiliseront pour acheter, probablement, des dettes d’Etat.
Dans quelques mois, si rien ne se passe, ces liquidités pourraient aussi se diriger vers des placements plus rentables, comme les actions ou l’immobilier. Des bulles spéculatives pourraient se former, aux effets potentiellement ravageurs. 1 140 milliards pour rien, en somme. Mario Draghi, lui, pourra dire qu’il a fait le job. Les dirigeants européens eux, devront expliquer pourquoi ils n’ont pas fait le leur.
Peut-on encore éviter un tel écueil ? Oui. Mais la fenêtre de tir est étroite. Vendredi 23 janvier, François Hollande a promis, depuis Davos (Suisse), qu’il poursuivrait les réformes. Y’a plus qu’à…