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Théorie du genre

Les manuels scolaires dans la tourmente du « genre »

Un collectif de parents, le réseau Vigigender, condamne les manuels d’enseignement moral et civique mais aussi ceux de sciences.

LE MONDE |   |Par  

Leur capacité à semer le doute dans l’esprit des enfants, à brouiller leurs repères – voire leur identité – serait grande. Depuis cinq ans, à intervalles réguliers, rebondit le même procès fait aux manuels scolaires et, à travers eux, à l’école : celui d’être les vecteurs de diffusion, auprès des plus jeunes, d’une prétendue théorie du « genre » qui battrait en brèche la différence entre les sexes, leur « complémentarité ». Bref, l’ordre « naturel ».

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Les documents que le réseau du collectif Vigigender, ces parents mobilisés dans le sillage de la Manif pour tous, fait circuler depuis plusieurs semaines entendent le démontrer. « Quelle société voulons-nous pour nos enfants ? », interroge le livret expédié à 20 000 écoles depuis la rentrée, 40 000 en six mois de source Vigigender. « Trente départements ont été concernés », s’alarme Francette Popineau, du syndicat d’instituteurs SNUipp-FSU. On y trouve, pêle-mêle, extraits de cahiers d’écoliers, de témoignages de parents et de corpus de documents qui tendraient à prouver qu’« arracher les enfants à la norme est une priorité du gouvernement ». 

« Le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle, mais ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin », lit-on dans un encadré renvoyant, dans ce livret, à un manuel de sciences de 1re L et ES. Page suivante, ce sont des manuels d’économie de 2e qui sont caricaturés, au motif qu’ils apprendraient aux élèves « qu’ils ne sont qu’une construction sociale ». 

Mise en scène

Cette rengaine, les réseaux sociaux la relaie haut et fort depuis début octobre. Un mois marqué par trois étapes clés pour les militants « antigenre » : les propos du pape le 2 octobre (condamnant le « sournois endoctrinement » des manuels), les élections des représentants de parents d’élèves les 7 et 8 octobre – même si l’on ignore encore si des listes indépendantes de « parents vigilants » ont vu le jour – ; enfin, l’appel à manifester à Paris ce dimanche.

Dans le viseur de Vigigender, les manuels d’enseignement moral et civique (ou « EMC »), mais aussi les manuels de français ou ceux de sciences et de technologie. Twitter pullule d’images et de captures d’écran présentées comme autant de « preuves » de la manipulation des enfants : ici, c’est la photo associant une footballeuse et un danseur, extraite d’un manuel de 6e ; là, celle d’une fillette arrachant sa robe sous laquelle apparaît la panoplie d’un superhéros, trouvée dans un livre de 5e. Un encadré, présenté comme provenant d’un manuel de 4e, a été retweeté des dizaines de fois. Sous le titre « Sexe, genre et sexualité », il interroge les élèves : « Pourquoi est-il important, à votre avis, de ne pas identifier un sexe à un type de sexualité déterminée ? »

 

 

La mise en scène a beau prêter à sourire, elle est efficace ; les éditeurs de manuels ne l’ignorent pas. Le 3 octobre, au lendemain des déclarations du pape, ils ont fermement démenti ces propos, rappelant que les manuels, comme les programmes qu’ils illustrent, « ne comportent aucune référence ni mention de cette théorie du genre, mais confortent les principes républicains de liberté et d’égalité ». Et de préciser que les différences entre filles et garçons y sont abordées, en sciences, « sous l’angle factuel des transformations corporelles » à l’adolescence, et via la lutte contre les stéréotypes et les discriminations dans le cadre de l’EMC. Ils ne se sont pas étendus, en revanche, sur le chapitre « Devenir homme ou femme » introduit dans les programmes de SVT, en 1re L et ES, à la rentrée 2011, sinon pour marquer leur volonté de se prémunir contre « une nouvelle instrumentalisation médiatique d’un sujet qui a déjà créé une polémique infondée ». A l’époque, 80 députés UMP avaient exigé le retrait de ces ouvrages.

 

Lire aussi :   Critiques après les propos du pape sur la « théorie du genre » dans les manuels scolaires

 

Les éditeurs de manuels ne veulent plus répliquer – en tout cas pas officiellement. « Le rapport de forces est inéquitable face à des attaques qui mêlent intox, désinformation, mauvaise foi et calomnies… souffle-t-on dans le petit milieu des éditeurs. Si l’on extrait un document d’un corpus, on peut toujours en biaiser le sens. Répondre aux militants, c’est déjà leur faire de la publicité. » Des militants « au taquet » avec l’arrivée progressive, dans les classes, de nouveaux manuels, à la suite de la réécriture des programmes en 2015.

Neufs ou anciens, on aura beau tourner leurs pages, on ne trouve pas trace d’un enseignement de l’homosexualité ou d’une incitation à changer de sexe. Ce qu’abordent les manuels – ce que visait aussi le dispositif des « ABCD de l’égalité » expérimenté en primaire mais abandonné pour calmer le jeu –, c’est la lutte contre les inégalités et les clichés, au programme depuis… trente ans. « Et on ne va pas encore assez loin, assure Francette Popineau du SNUipp-FSU. On a toujours plus d’infirmières que d’infirmiers, toujours plus d’aviateurs que d’aviatrices. A un moment, il est bon d’oser casser ces codes-là pour que le monde professionnel, l’avenir s’ouvre avec les mêmes chances pour les filles et les garçons. » 

C’est dans cette ligne que se situe le rapport adopté, le 11 octobre, par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée. Parmi ses recommandations, le recours plus important à des « études » de genre qui, développées depuis un demi-siècle, peuvent aider à dépasser les traitements différenciés et donc les inégalités. Et non à une « théorie » qui n’existe pas.

« La théorie du genre n’existe pas »

La prétendue colonisation idéologique de l’enseignement par le genre n’existe que dans les fantasmes de ses adversaires. Par contre, il serait bon d’apprendre aux élèves que notre anatomie ne nous détermine pas entièrement, estime le sociologue Daniel Borrillo.

LE MONDE |   • Mis à jour le  | Par  

Homme&femme. Benjamin Loyauté.

Par Daniel Borrillo, juriste et chercheur associé au CNRS, Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques

 

Interrogé sur la « théorie du genre » dans l’avion qui le ramenait dimanche soir de l’Azerbaïdjan, le pape François a critiqué son enseignement dans les manuels scolaires français. Le genre serait un « sournois endoctrinement », une forme de « colonisation idéologique ».

 

François apparaît ici comme l’héritier de Benoît XVI qui mettait ainsi en garde à la fin de son pontificat : Il s’agit en effet d’une dérive négative pour l’homme, même si elle se cache derrière des bons sentiments, au nom d’un prétendu progrès, ou de prétendus droits, ou d’un prétendu humanisme. […] C’est pourquoi l’Église réaffirme […] son “non” à des philo­sophies comme celle du genre. »

L’un des principaux spécialistes de l’Église sur ces questions en France, le prêtre et psychanalyste Tony Anatrella, explique que « la théorie du genre laisse entendre que chacun construit son identité’ sexuelle et que l’on peut même en changer en fonction des fluctuations de ses tendances, c’est-à-dire de ses désirs. »

Face à la complexité du concept « genre » et à la difficulté à lutter contre un objet vague, l’Église va construire un discours tendant à rendre la question du genre homogène et substantielle, en occultant un champ d’études pluriel, traversé par de nombreuses controverses. C’est pourquoi, il faut commencer par rappeler que la théorie du genre n’existe pas.

Il s’agit d’une expression réductrice utilisée pour alimenter la panique morale. En revanche les études sur le genre ont permis de mettre de manifeste la différence entre le sexe et le genre ouvrant ainsi un champ de réflexion particulièrement fertile. Le sexe peut être défini comme l’ensemble des caractéristiques biologiques qui permettent de distinguer chez la plupart des êtres vivants le mâle de la femelle. L’humanité, faisant partie des espèces à reproduction sexuée, possède donc deux sexes permettant l’engendrement. Si le sexe fait référence à la dimension biologique du masculin et du féminin, le genre renvoie aux aspects culturels de cette distinction.

Enjeu scientifique et politique

Celle-ci émerge à la fin des années 1960 et recouvre une évolution majeure de la pensée : la distinction sexe/genre visait à mettre en question la puissance explicative du sexe biologique - du lien entre les différences biologiques et les différences psychologiques et sociales - jusque-là considéré comme évident et inéluctable.

On voit donc l’enjeu tant scientifique que politique de la distinction sexe/genre : montrer que la notion de sexe n’est pas aussi explicative qu’on l’avait prétendu et démontrer la validité d’une approche de la réalité en termes de rapports sociaux de sexe plutôt qu’en termes d’une présumée « nature ».

Comme le soulignent, les auteures du Dictionnaire du féminisme (PUF, 2004) : « Les sociétés humaines surdéterminent la différentiation biologique en assignant aux deux sexes des fonctions différentes (divisées, séparées et généralement hiérarchisées) dans le corps social en son entier. Elles leur appliquent une grammaire : un genre (un type) “féminin” est imposé culturellement à la femelle pour en faire une femme sociale, et un genre masculin au mâle pour en faire un homme social ».

Il n’existe pas une fatalité biologique faisant des femmes des êtres destinés à la domesticité, les soins et la soumission. Les rôles sexuels sont inculqués depuis l’enfance, en particulier à travers les jouets pour garçons et les jouets pour fille. De même, plusieurs études montrent que les mères font passer leurs croyances sur le genre de diverses façons, véhiculant des messages sur le masculin et le féminin à partir desquels les enfants peuvent bâtir leurs propres croyances essentialistes (un garçon doit être fort, une fille doit être douce…).

Selon l’OMS, « le mot genre sert à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu’une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes ». Enseigner à l’école que nous ne sommes pas déterminés anatomiquement et que les stéréotypes de genre se trouvent à l’origine des discriminations sexistes me semble capital dans la formation des citoyen/nes autonomes.

 

Lire aussi :   Critiques après les propos du pape sur la « théorie du genre » dans les manuels scolaires

 

 



16/10/2016
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