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4.2. Une société sans classe ?

 A. Les approches théoriques des classes sociales

La structure sociale représente la façon dont les individus d’une société sont inégalitairement regroupés. Selon K.Marx, "l'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de la lutte des classes". Dans le mode de production capitaliste, mode de production qui suit et résout les contradictions du féodalisme, les capitalistes possèdent les moyens de production et exploitent les prolétaires qui ne possèdent que leur force de travail en ne leur rémunérant qu'une partie des heures travaillées. En achetant la valeur du produit de leur travail à un prix inférieur à ce qu'il leur rapporte, les capitalistes dégagent une plus-value, celle-ci permet l'accumulation du capital et ainsi la perpétuation de la domination de la classe des propriétaires des moyens de production sur la classe des prolétaires-salariés. Ce système est voué cependant à disparaître quand les prolétaires, constituant une "classe en soi "par des conditions d'existence semblables et des intérêts communs deviendront conscients de l'exploitation dont ils sont victimes et s'organiseront collectivement pour résister. La conscience de classe est centrale dans le processus révolutionnaire, elle permet de passer de la "classe en soi" à la "classe pour soi", de la virtualité d'une mobilisation à la mobilisation réelle sous forme de conflit de classe. 

 

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Selon Max Weber, la stratification de la société ne peut reposer uniquement sur l'ordre économique, le sociologue doit aussi analyser la façon dont les individus se positionnent dans l'ordre social et l'ordre politique. Il développe une approche multidimensionnelle, nominaliste et subjective de la stratification sociale.

      - Dans l'ordre économique, la différenciation des individus s’opère en fonction des « chances d’accéder aux biens » des individus. Il y a des classes sociales, mais celles-ci ne sont pas nécessairement antagonistes. La position sur cette échelle n’est qu’un élément de la position sociale des individus.

      - Dans l'ordre social, les individus se classent à partir de leur prestige défini comme honneur social ou distinction symbolique attaché à telle ou telle position sociale. A chaque position est associé un « style de vie », c'est-à-dire un ensemble de pratiques économiques, sociales et culturelles cohérentes fondées sur un système de valeurs et de normes intériorisées par les individus (éthos). La consommation au sens large, et plus particulièrement la consommation ostentatoire est une façon de se distinguer et d'affirmer son statut social en montrant son appartenance à un groupe de statut.

      - Dans l’ordre politique, la différenciation des individus repose sur le niveau de pouvoir qu'ils peuvent mobiliser notamment au sein des partis politiques.

 

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Ces trois ordres sont profondément liés, bien que distincts. La position dans un ordre ne détermine pas celle dans un autre : ainsi la noblesse désargentée peut elle compenser son déclassement dans l’ordre économique par une affirmation statutaire. De plus, si les groupes de statut forment des communautés, conscientes de leurs intérêts, marquées par des liens sociaux forts et largement endogames, les classes ne partagent pas ces caractéristiques. Une enquête conduite auprès d’ouvriers américains montre que ceux-ci se définissent comme des travailleurs pour ce qui est du travail, comme des classes moyennes dans l’ordre de la consommation, et comme le peuple sur la scène politique, sans compter qu’ils se perçoivent aussi comme des Chicanos ou comme des Noirs. Les trois dimensions demeurent néanmoins souvent connectées : l’ordre politique est ainsi fréquemment lié aux deux autres ordres, les membres de l’élite économique sont souvent au sommet de l’échelle politique et statutaire.  

 

Exercice 

 

L'analyse des classes sociales fondée sur l'analyse de Marx s'est développée en France dans les années 50-60 et s’est prolongée dans les années 70 avec notamment les travaux de Pierre Bourdieu qui synthétise les deux approches précédentes. Les classes sociales sont fondées comme chez Marx sur le capital économique, mais il reprend de Weber une analyse multidimensionnelle en accordant une grande importance au capital culturel ainsi qu’au capital social et au capital symbolique. Dans le champ social, la position sociale est définie par le volume et la structure du capital global dont disposent les individus. Il définit ainsi trois grandes classes liées à la possession de ces capitaux et à des habitus et styles de vie spécifiques. Les agents fortement dotés de toutes les formes de capitaux constituent les classes dominantes et les moins dotées les classes dominées, mais les formes de domination intermédiaires dépendent de la composition de ces différents capitaux.

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Il existe des rapports de domination et des luttes, notamment pour le contrôle du capital culturel, enjeu majeur selon Bourdieu. La lutte de classe a cependant été remplacée par des luttes de classement. Les classes dominantes cherchent à imposer leur modèle culturel et leur vision du monde aux autres classes par le biais de pratiques de distinction, pour cela elles contrôlent les institutions productrices de légitimité comme l’école ou l’État. Il y a chez elles une stratégie consciente de reproduction qui repose sur la méconnaissance de leurs dominations. 

B. La nomenclature des PCS aboutit à une représentation d'une structure sociale sans lutte de classes 

En France, la nomenclature des PCS est l’outil utilisé depuis 1954 dans toutes les enquêtes statistiques.  Modifiée en 1982 et actualisée en 2003, cette classification place la profession au centre de la définition de la position sociale, en opérant des distinctions selon la situation d’activité ou d’inactivité, et pour les actifs selon la nature du revenu (salariés/indépendants), de l’organisation productive (secteur d’activité, public/privé), du niveau de qualification et de la responsabilité hiérarchique. Dans aucun autre pays, on ne trouve un instrument de mesure standardisé, accepté par l’ensemble des instituts nationaux, stable sur plusieurs décennies, permettant de suivre sur la longue durée des groupes sociaux définis. Une tentative harmonisation est cependant en cours en Europe.

La nomenclature des PCS assemble des individus qui ont des perspectives comparables et des caractéristiques sociales reconnues comme proches, elle s'inspire de la notion de styles de vie et de groupe de statut de Max Weber. Elles prennent néanmoins un peu en compte le point de vue de Karl Marx sur le rôle de la mobilisation sociale puisqu'elles intègrent les conventions collectives et les grilles de classification de chaque branche, produites des luttes de chaque groupe professionnel. C'est donc un outil théorique mixte. 

 

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Les ouvriers ne constituent plus le premier groupe, on constate une augmentation des catégories les plus qualifiées et du secteur des services qui peuvent s’expliquer par la tertiarisation de l’économie et la progression des  qualification. Ces évolutions entraînent une moindre visibilité de la classe ouvrière en France, une importance numérique plus forte de catégories sociales à l’identité moins forte.

 exercice 

 

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Les PCS constituent un outil d’analyse qui a été contraint d’évoluer avec les mutations de la société contemporaine et qui est contesté du fait de la mise en lumière d’autres formes de clivages comme le genre, l’âge ou les formes d’emploi. Il peut aussi être considéré comme étant daté et mal adapté à la réalité sociale. Ainsi, le dualisme du marché du travail remet en cause l’homogénéité sociale à l’intérieur d’une même PCS. Par exemple, le statut de cadre cache des diversités importantes en termes de rémunération, prestige et stabilité de l’emploi. 

C. Vers une société sans classes ?

La contestation théorique de la réalité de l’existence des classes sociales s'est amplifiée avec les modifications profondes de la société depuis la fin des Trente Glorieuses. L'Etat-Providence, en redistribuant les richesses a limité les inégalités. La salarisation généralisée (90% de la population), la tertiarisation des emplois et la forte progression des salariés intermédiaires (cadres, professions intermédiaires, employés de bureau) ont favorisé l'apparition d'une classe moyenne importante d'autant plus que l'augmentation du niveau de vie, fruit de la croissance a généralisé la consommation de masse tout en uniformisant les modes de vie. La démocratisation de l'école a permis par ailleurs de diffuser une culture commune tout en favorisant la mobilité sociale. Les individus modernes ont de plus en plus de mal à s’identifier à un groupe social particulier. Ils revendiquent leur « singularité » à l’intérieur de la multiplicité des réseaux sociaux auquel ils appartiennent. Dans les années 80, le sentiment d'appartenir à une classe sociale diminue, les groupes de référence ne sont plus nécessairement reliés aux groupes d'appartenance. Le déclin de la conscience de classe a été renforcé par la montée des inégalités intra-catégorielles liées au chômage et à la précarité. 

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La classe ouvrière est devenu moins nombreuse avec la désindustrialisation  et le parti communiste moins influent comme en témoigne la disparition progressive des  banlieues rouges.  Le groupe ouvrier est devenu moins homogène avec l'accession à la propriété d'une partie d'entre eux tandis que d'autres sombrent dans la précarité et le chômage, hétérogénéité observable dans un vote ouvrier qui oscille entre FN et partis de gauche. Le glissement sémantique de « classe ouvrière » à « classes populaires » traduit la dissolution de ce groupe dans un ensemble plus flou rassemblant les ouvriers et les employés.

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Sondage IFOP pour l'humanité. Les Français et la lutte des classes, Janvier 2013

 

 

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Certains sociologues comme H.Mendras ont proposé de représenter la société française comme une société en toupie, symbole de la moyennisation des styles de vie. La constellation populaire rejoindrait la constellation centrale pour former une grande classe moyenne.  

 

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La question de la fin des classes sociales ne peut être tranchée définitivement dans la mesure où l'apparition des classes sociales est liée à la question des inégalités. Louis Chauvel a représenté la dimension cyclique des classes sociales par une spirale qui évolue selon l'intensité des identités et des inégalités. En 1830, les inégalités sont très fortes, on peut donc parler de classe « en soi », mais la conscience de classe des ouvriers reste encore très faible. La lutte des classes au XIXème siècle va permettre de constituer la classe ouvrière en classe « pour soi », cette lutte de classe donnera lieu à de nombreuses avancées sociales permettant d'amorcer une diminution des inégalités. Pendant les 30 glorieuses, la « croissance fordiste » va permettre un partage des fruits de la croissance, une réduction des inégalités et une perte de conscience de classe.  C'est à cette période que de nombreux sociologues diagnostiquent la fin des classes sociales. Mais depuis les années 80 aux Etats-Unis et plus récemment en Europe, la remontée des inégalités peut se concrétiser par un retour des classes sociales. 

 

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En effet, de nombreux signes permettent de penser une re-polarisation de la société. L'homogénéisation des niveaux de vie  de la classe moyenne a pris fin dans les années 80 avec la stagnation du pouvoir d'achat. La crise de l'Etat-provdence ne permet plus d'assumer des transferts suffisants pour limiter les inégalités. Les ouvriers n'ont pas disparu, ils représentent encore un cinquième de la population active, de plus la situation des employés tend à se rapprocher de celle des ouvriers avec la taylorisation des services. Les classes populaires continuent à avoir des conditions de vie difficiles, des pratiques culturelles semblables, connaissent plus souvent que les autres la précarité et le chômage, ne partent que très peu en vacances et ont une plus faible espérance de vie que les autres groupes sociaux. La mobilité sociale s'est fortement ralentie avec la fin de la mobilité structurelle et la montée du déclassement scolaire (lié au fait que le nombre de diplômés a progressé plus vite que le nombre de postes de cadres).

 

 

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La remontée des inégalités de revenus et de patrimoines rétablissent de nouvelles barrière de classe. A partir des études ethnographiques de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, on peut montrer que  la grande bourgeoisie demeure fidèle à la définition classique de la classe sociale. Elle rassemble des individus ayant des conditions d'existence très proches en raison de leur style de vie liés à leur fort patrimoine économique et culturel, mais aussi des individus dont on peut présumer une forte conscience de classe par l'observation des stratégies d'entre-soi, qu'elles soit spatiales ou matrimoniales. 

 

Q1. Définir plus value, conscience de classe, style de vie, groupe de statut, capital culturel, capital symbolique

Q2. Citez 2 conditions pour qu’un groupe social forme une classe sociale selon Marx

Q3. Réaliser un schéma dans lequel vous présenterez la stratification sociale selon Max Weber : parti politique, prestige, ordre politique, ordre économique, richesse, pouvoir, classe sociale, ordre social, groupe de statut, stratification sociale

Q4. Quels sont les caractéristiques des dominants selon P.Bourdieu ?

Q5. Quels sont les intérêts et les limites des PCS ?

Q6. Citez 4 arguments accompagnés d’exemple en faveur de la fin des classes sociales

Q7. Citez 4 arguments accompagnés d’exemple en faveur du retur des classes sociales

Q8. Pourquoi peut-on dire que la grande bourgeoisie est la dernière classe sociale ?  



24/01/2016
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