9.1.Diversité et transformations des conflits
Q1. F. Lordon oppose deux formes de conflits : lesquels ?
Q2. Comment est analysée la loi El Khomry ?
Q3. Qui est rassemblé dans cette lutte ?
Q4. Les syndicats sont-ils conviés à la lutte ?
Q5. Quel est le projet de ce mouvement selon F. Lordon ?
A. La diversité des formes de conflit
Le conflit désigne une situation d'affrontements ouverts et explicites. On parle de conflit social quand la cause du conflit est liée à une distribution inégale de ressources (salaire, conditions de travail, gestion des biens publics).
La société est composée de groupes sociaux qui sont en lutte dans des rapports de force. Les acteurs de la vie sociale cherchent à influencer les pouvoirs politiques, maîtriser les modèles culturels et à produire des normes dans les domaines de la connaissance, de la production et de la morale Les acteurs sociaux à travers les mouvements sociaux qu'ils portent et les conflits sociaux qu'ils engendrent créent des règles et produisent l'histoire. Le conflit peut être latent quand la mobilisation peine à se mettre en place alors que les conditions de la mobilisation et donc du conflit sont réunies. Dans le cas de la domination d’un groupe par un autre, les dominés peuvent très bien accepter leur sort pendant une période donnée, puis un jour à la suite d’un évènement, se mobiliser.
Dans les sociétés modernes, les conflits sociaux prennent souvent la forme de conflits localisés dans les unités de production, un conflit social peut cependant prendre de l'ampleur et se globaliser s'il est porté par un mouvement social quand un groupe social aux contours bien définis cherche à transformer radicalement le modèle social et culturel. Si le mouvement ouvrier a été le mouvement social central de la société industrielle, dans la société post-industrielle, ce sont de nouveaux mouvements sociaux qui émergent. Dans une société où les besoins fondamentaux sont assouvis, où le niveau d’éducation est élevé, les nouveaux mouvements sociaux vont davantage porter sur des revendications non matérielles.
B Les mutations des conflits du travail
Le syndicalisme ouvrier a joué un rôle important dans l'histoire du mouvement ouvrier. Illégal et réprimé pendant la majeure partie du XIXème siècle, le syndicalisme ne prend réellement forme qu’au début du XXème siècle. Les luttes de classes dont les moments forts ont été la commune de 1870, le front populaire en 1936, les grèves d’après 1945, les évènements exceptionnels de mai 1968 ont permis d’augmenter les droits sociaux et de produire ce que Robert Castel a appelé une propriété sociale. Ce statut salarial s’est épaissi de nombreux droits comme le droit à la retraite, la diminution du temps de travail, les congés payés. Les différentes lois sur le temps de travail ont permis de diviser le temps de travail par 2 entre le début du XXème siècle et aujourd'hui. En 1982, les lois Auroux ont permis d'élargir l'espace de négociation dans l'entreprise.
La crise économique des années 70 a transformé le travail et a déstabilisé les organisations syndicales comme l’ensemble des identités professionnelles, en France comme en Europe. Le taux de syndicalisation a chuté entre 1948 et aujourd'hui. En 1948, 30% des salariés étaient syndiqués, ils ne sont plus que 8% aujourd'hui. Ce taux est particulièrement faible si on le compare aux taux de syndicalisation des pays nordiques. Par delà l'affaiblissement des syndicats, on note un affaiblissement et une transformation des modalités de conflits. Les grands mouvements collectifs appelant à la grève générale se font plus rares, à l'exception de 1968 et des mobilisations contre la réforme des retraites (1995, 2005, 2010). Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le nombre de journées non travaillées a fortement diminué, passant de plus de 20 millions de journées individuelles non travaillées (JINT) en 1949 à moins de 5 millions en moyenne pendant les années 2000.
De plus, lors de ces occasions, ce sont les salariés du secteur public qui se mobilisent principalement. La chute est particulièrement importante dans le secteur privé, et les grèves se font essentiellement dans le secteur public, où elles baissent également.
La grève qui a une longue histoire de pratique illégale est devenue aujourd’hui un droit protégé par la constitution, ainsi une forme non-conventionnelle peut devenir conventionnelle. Cependant aujourd'hui, les grèves longues laissent place à des débrayage courts ou encore à des modalités de lutte sans arrêt de travail comme les manifestations, le refus des heures supplémentaires, les pétitions, l'absentéisme, les grèves perlées (courts arrêt de travail concertés entre les salariés pour ralentir le rythme de travail) ou les grèves du zèle (application exagérément minutieuses des consignes de travail), voire parfois les happenings spectaculaires. Les coordinations-grève moins nombreuses sont cependant parfois plus dures ces dernières années, certains salariés désespérés des plans sociaux d'un capitalisme actionnarial insaisissable sont parfois réduit à des actions violentes ( Conti, goodyear, Air France etc.)
L'affaiblissement des conflits du travail est lié à l'affaiblissement des salariés dans le rapport de force entre salariés et patrons. Les causes qui suivent permettent de penser à la fois la chute du syndicalisme et l'affaiblissement des conflits du travail.
Le chômage de masse a frappé les bastions traditionnels du syndicalisme et du parti communiste (mines, sidérurgie, métallurgie, textile, chantiers navals, automobile), le pouvoir de négociations des salariés s'en est trouvé affaibli. Les restructurations liées à l'évolution vers un capitalisme actionnarial ont conduit à l'éparpillement des entreprises et à de plus grandes difficultés de recrutements et d'action pour les syndicats. Ce phénomène a été amplifié par le relatif déclin du nombre d’ouvriers (40% de la pop active en 70 et 25% en 2016). Le transfert de l’emploi vers les services et les PME a eu pour conséquence de placer les salariés dans des structures plus faiblement syndiquées. En 1992, 83% des salariés occupés dans des entreprises de moins de 20 salariés n’avaient aucun représentant. De plus certaines entreprises notamment les multinationales (Kodak, IBM) pratiquent une politique très hostile aux syndicat : licenciement, blocage des promotions, harcèlement.)
La précarisation des emplois ont rendu les mobilisations plus difficiles. Le taux de syndiqués chez les précaires est proche de 3%. Le développement de la sous-traitance liée à l'externalisation de certaines fonctions dans l'entreprise a développé les emplois précaires ( apprentis, CDD, stages), même si certaines entreprises (ménages, informatique, etc.) fonctionnent principalement avec des emplois précaires.
Le chômage de masse, la précarisation mais aussi le contournement des syndicats par le néo-management ont favorisé l'individualisme au travail. Mançur Olson a montré dans le paradoxe de l'action collective que des individus rationnels ont de fortes chances de se comporter en passager clandestin, ces individus ont intérêt à laisser les autres faire grève à leur place afin de bénéficier des avantages. Le néo-management a établi au niveau de l'entreprise une individualisation des salaires par la gestion des primes augmentent l’esprit de compétition tout en contournant les conventions collectives. Cet individualisme a des répercussions sur la façon dont les salariés perçoivent les conflits comme des problèmes interpersonnels (blâmer son supérieur) plutôt que comme des enjeux collectifs.
L'institutionnalisation des syndicats a paradoxalement affaibli l'action collective. L'institutionnalisation désigne le passage de la contestation à la participation à la régulation sociale. Les différentes réformes (comme les lois Auroux) ont réussi à augmenter la négociation d’entreprise mais ont déplacé les arbitrages du niveau national où les syndicats étaient relativement forts au niveau local où ils étaient plus faibles, ce qui les a rendus peu à même de s’opposer aux volontés patronales. En même temps ces lois en accroissant les heures de délégation ont professionnalisé les délégués qui en cumulant de nombreux postes (délégués syndicaux, délégués du personnel, comité d’entreprise etc…) ont perdu le contact avec leurs adhérents. Les syndicats, de plus en plus faibles ont été contraints de devenir des prestataires de services qui fournissent des services personnalisés à leurs adhérents : aide juridique, renseignements spécifiques etc.
Les conflits du travail n'ont pas pour autant disparu. Ils portent toujours sur le partage de la valeur ajoutée et notamment sur la question des augmentations de salaires et sur les conditions de travail. On peut noter une évolution, si les conflits dans les années 60 se portaient davantage sur une contestation de l'aliénation, les conflits actuels sont des conflits portant sur les licenciements et les restructurations d'entreprise (Mittal, continental, fralib)
C. La prolifération des conflits hors de la sphère productive
Selon Ronald Inglehart, à partir des années 60, la société industrielle a laissé place à une société post-industrielle dominée par la production et la diffusion en masse de biens culturels (éducation, santé, culture et information). .Les conflits débordent alors de la sphère du travail et se transforment pour devenir plus globaux. En effet, à partir d'un certain niveau de vie, du fait de la satisfaction globale des besoins, les aspirations des individus se déportent sur des préoccupations de mode de vie portées par des valeurs post-matérialistes.
D'après A. Touraine, les nouveaux mouvements sociaux ont des caractéristiques communes, ils cherchent à agir sur les systèmes de valeurs et de représentations, ils revendiquent un changement social en s’adressant aux pouvoirs en place, et ont une dimension identitaire forte.
Les valeurs en question sont très diverses : écologiques, féministes, égalité, non discrimination. Agir sur les valeurs passe principalement par des revendications égalitaires. : le mouvement des Civils Rights aux Etats Unis a revendiqué l'égalité entre les noirs et les blancs et le refus d'une Amérique raciste, la marche des Beurs en 1983 revendiquait une égalité républicaine, le mouvement gay une non discrimination entre hétérosexuel et homosexuels, le mouvement féministe une égalité hommes/femmes au travail, dans la sphère domestique et la politique, les mouvements de chômeurs le droit à la solidarité etc. Mais pour que ce changement de représentation ne reste pas seulement au niveau symbolique, ces différents mouvements revendiquent l'extension ou la mise en pratique des droits sociaux pour les catégories minoritaires et dominées: égalité des droits sociaux avec les mouvements des sans papier ; parité homme femme inscrite dans la constitution ; mise en place d'un contrat de mariage pour les homosexuels etc
Il y a comme dans les mouvements sociaux des sociétés modernes industrielles des recherches de pression sur l'Etat, mais les nouveaux mouvements sociaux des sociétés post-industrielles (NMS) sont plus souvent à vocation internationale que les mouvements liés à la sphère du travail et surtout ils visent avant tout à changer de modèle culturel alors que les conflits du travail restent plus souvent plus défensifs ou promeuvent des transformations plus progressives.
Ces mouvements ne pas sont initiés par les mêmes acteurs, ce sont plus souvent des associations et des individus organisées en réseaux. Les acteurs de ces mouvements sont issus généralement de la classe moyenne dont la hausse générale du niveau d'éducation a accru le niveau de compétence politique.
Le répertoire des actions collectives s'étoffe de nouvelles formes. Tandis que les conflits du travail traditionnellement passent par des formes routinisées, comme la manifestation et la grève par exemple, les nouveaux mouvements sociaux recourent à des formes innovantes comme le happening médiatiques, le sitting, la pétition, les occupations de places publiques ( Podémos, Nuit Debout etc), les destructions etc...
Les NMS se caractérisent par de nouvelles modalités d'actions, celles ci se différencient des pratiques traditionnelles des mouvements ouvriers comme la grève. Celle-ci n'est pas à écarter systématiquement comme on a pu le voir en mai 68 quand les ouvriers ont rejoint le mouvement étudiant, mais on trouve dans le répertoire d'action collective des NMS, les pétitions, les concerts de soutien, les actions de commandos, des interventions personnalisées ( sans-papiers), des manifestations festives, des occupations de lieux, des sittings, des blocus etc...
L'opposition entre nouveaux mouvements sociaux et mouvements sociaux traditionnels est schématique et ne doit pas être surestimée : si, effectivement, certains nouveaux mouvements sociaux renvoient clairement à des questions de reconnaissance, il ne faut pas oublier que les questions « matérialistes » y demeurent importantes (la question des retraites en France, les mouvements d'opposition aux politiques d'austérité en Europe, ou encore le mouvement « Occupy Wall Street » aux États-Unis qui a fait des inégalités économiques son principal cheval de bataille). Réciproquement, les conflits du travail mêlent aussi bien les questions « matérialistes » que des questions de reconnaissance : quand les ouvriers revendiquent pour leurs salaires ou de meilleures conditions de travail, ils cherchent aussi à être pris en considération. Par ailleurs, les conflits du travail inventent aussi de nouvelles formes d’actions collectives.
Q1. Définir, conflit social, syndicats, valeurs matérialistes/post-matérialistes, mouvement social
Q2. En quoi peut-on dire que les conflits de classe théorisés par Marx sont des conflits latents ?
Q3. Quels sont les avancées sociales permises par les luttes syndicales ?
Q4. En quoi peut-on parler d’une crise du syndicalisme ?
Q5. Faîtes un schéma avec les mots suivants : affaiblissement des conflits, chômage de masse, précarité, baisse du nombre d’ouvriers, tertiarisation, affaiblissement des syndicats, institutionnalisation des syndicats, sous-traitance, paradoxe de l’action collective, restructurations.
Q6. Faîtes un tableau comparant les caractéristiques des nouveaux mouvements sociaux avec les conflits traditionnels de la société industrielle. Catégories : type de société, objets de l’action, acteurs, type d’action, exemples
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