Nous sommes Charlie
1) dossier charlie hebdo
2) qu'est ce que la liberté d'expression ?
3) le dessin de presse
4) Vie des frères Kouachi : une enfance très difficile
5) la pensée extrême Luc Bronner
Extrait: La radicalité de la pensée extrême est le point ultime – rarement atteint – d’un processus graduel et rationnel d’adhésion à des idées. « Chaque étape a poussé l’individu vers la pensée extrême, mais chacune d’entre elles, prise séparément, peut sans doute être considérée comme raisonnable » (p. 36). Ainsi le militant sioniste extrémiste qui assassina Yitzhak Rabin, en 1995, a tenu un raisonnement implacable par sa logique : le juif pieux se soumet à la volonté divine ; la volonté divine s’exprime dans la Torah ; selon la Torah, Dieu a donné aux juifs la Terre sainte ; toute personne qui s’oppose à la colonisation s’oppose à la volonté de Dieu et doit donc être combattue, y compris par la violence, justifiée par la Torah. De même, les terroristes islamistes d’al-Qaïda pensent que les musulmans sont persécutés par des ennemis, que le Coran incite les bons musulmans à mener contre eux une guerre sainte, que les ennemis sont les Américains et leurs alliés (et non seulement leurs gouvernants), et que par conséquent la violence envers les populations américaine ou européennes est légitime. Pour la pensée extrême, tout compromis, tout aménagement, est inacceptable. La pensée ordinaire accepte les contradictions entre les croyances qui coexistent dans notre esprit ou dans notre société. La pensée extrême ne les accepte pas et construit une doctrine cohérente, « pure », monolithique et manichéenne. L’auteur rappelle, à la suite de plusieurs auteurs, que les terroristes ne sont pas des fous, des ignorants ou des déshérités : ils sont le plus souvent issus de classes supérieures et possèdent un niveau élevé d’instruction.
6) L’Islam dans les prisons
de Farhad Khosrokhavar
mars 2004, éditions Balland, Voix et regards
284 pages, 19,50 €, ISBN 2715814933
Cette étude de sociologie est parue dans la collection « Voix et regards », collection où avait été publiée l'étude d'Alain Tarrius La mondialisation par le bas, déjà évoquée dans ce site. L'auteur est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Le thème de ce livre est tout entier dans son titre. Il s'agissait à l'origine de travailler sur les populations musulmanes en prison en Grande-Bretagne et en France. Cette étude n'est pas encore parue mais Farhad Khosrokhavar a eu envie de publier à part une bonne partie de ses données et réflexions sur la situation en France.
En apparence le sujet de cette étude est plutôt pointu, mais il y aborde au passage de nombreuses questions qui concernent le pays dans son ensemble : la culture dans les milieux pauvres, la montée des fantasmes sécuritaires avec le poids de l'extrême droite, les effets de ségrégations en milieu scolaire, le racisme, la question des sans papiers, la drogue... Des comparaisons sont aussi esquissées avec les noirs américains, ou les immigrés en Allemagne et en Grande-Bretagne. De même, la réalité carcérale est un reflet de la vie extérieure à la prison, celle de la galère et de l'exclusion.
L'auteur essaie d'expliquer les raisons qui peuvent pousser des jeunes noirs ou maghrébins, tous issus de banlieues pauvres, à se tourner vers l'islam : le souci de se trouver une unité dans le monde déstructurant de la prison, le sentiment que cette religion incarne des valeurs de pureté, et qu'elle est la religion des opprimés.
Cette religion, les détenus, loin d'être attachés à des dogmes, se la fabriquent. L'auteur parle de « bricolage » à ce sujet. Les détenus musulmans pratiquants qu'il a rencontrés n'ont pas tous la même « utilisation » de la religion. L'auteur montre comment le sentiment de pouvoir décrocher ou pas de la criminalité conditionne telle vision de la religion ou telle autre. Ainsi, pour ceux qui ne se voient pas mettre un terme à leur délinquance, la religion apporte un « supplément d'âme » qui détache la religion du monde réel ainsi que de l'exigence éthique. Pour ceux-là, l'éthique ne peut exister dans cette société immorale qui impose le cynisme et les magouilles. « Dans ce cas, l'islam sert au détenu à s'aménager une sorte de havre de paix dans un océan tumultueux où la guerre de chacun contre tous ne connaît aucun répit », analyse Farhad Khosrokhavar. Ceux qui pensent au contraire pouvoir sortir de la délinquance voient dans la religion un moyen de parvenir à une éthique et une discipline de vie. Et puis il y a un troisième groupe de musulmans en prison, les islamistes, minoritaires, les « barbus », que fuie la majorité des détenus. Ces détenus islamistes représentent une force militante dont se méfient aussi nombre de détenus musulmans qui entendent garder leur pratique religieuse pour eux, et ne pas tomber dans un communautarisme islamiste affiché.
Les détenus interrogés sur leur avenir après la prison, ne parlent pas de djihad ni même d'activité religieuse ; pour l'immense majorité d'entre eux, ils parlent plutôt de leur envie de trouver un travail « honnête », de fonder ou reprendre une liaison amoureuse, d'obtenir des papiers.
Le livre décrit la réalité quotidienne du prisonnier. Cette réalité est marquée par des tensions continuelles, des violences aussi. Certains témoignages ne sont pas sans rappeler certaines informations récentes venues d'Irak. Un certain Nabil raconte qu'il a appelé les gardiens qui tardaient à lui apporter un traitement médical : « (...) j'ai crié en parlant avec mes mains ; je n'ai rien compris, je me suis retrouvé avec dix surveillants autour de moi, ils criaient comme des fous. Voilà l'injustice. Ils m'ont menotté, et quand j'étais menotté, un surveillant m'a alors mis un coup de poing sur la nuque. J'ai crié : « Pourquoi vous faites ça ? » Et il m'a dit : « Pour ce que vous faites dehors ! » Et le chef l'a retenu, il voulait frapper encore alors que j'étais menotté, face au mur et tout nu. J'avais la hachouma [honte] d'être mis nu comme ça et ce surveillant faisait deux mètres. J'ai eu pour ça deux jours de mitard (...). ». Mais l'écrasante majorité des détenus se plaint avant tout de remarques et d'insultes racistes de la part d'un grand nombre de surveillants, ainsi que de tracasseries quant aux pratiques religieuses. À quoi il faut ajouter, pour comprendre l'ambiance régnante, le sentiment qu'ont nombre de surveillants d'être l'objet du racisme de détenus maghrébins ou noirs, qui les abreuvent régulièrement d'insultes.
Les détenus islamistes semblent être bien utiles pour l'ordre interne à la prison : contre le droit non officiel de pratiquer la prière individuelle dans la cour, ils peuvent faire profiter la direction des établissements de leur influence contre les dealers et pour apaiser les détenus les plus agressifs ou les plus bruyants. Un arrangement qui ressemble à ce qui se passe dans de nombreuses cités en France.
D'ailleurs si ce livre n'aborde pas la question de l'islam chez les jeunes des cités, sujet d'un autre livre de Farhad Khosrokhavar, L'Islam dans les prisons ne cesse pas de nous interroger sur ces jeunes issus ou pas de l'immigration qui se tournent vers la religion. Celle-ci apparaît bien comme un moyen de « compenser » un certain désarroi moral, issu sans aucun doute du recul des idées socialistes et communistes, et du développement du racisme, de la précarité, de l'influence des guerres et du terrorisme dans le monde. Sans compter l'état des sociétés dans le Maghreb, ainsi que le sentiment d'humiliation de toute une jeunesse face au sort que la société française, ancienne colonisatrice, a réservé à leurs parents, exploités dans les usines et relégués dans les quartiers pauvres.
Juin 2004
André Lepic
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