LA DÉMOCRATIE AUTREMENT. 1|6 : LE BUDGET PARTICIPATIF
LE MONDE IDEES | • Mis à jour le | Par Frédéric Joignot
A Paris, Rennes, Grenoble ou Metz, les citoyens sont invités à proposer et à voter les projets d’investissement de leur municipalité.
Une fois encore, plusieurs milliers ont répondu à l’appel. En février dernier, pour la troisième année d’affilée, les Parisiens ont été incités à proposer à la mairie leurs projets d’investissements dans le cadre du budget participatif 2016. Cinq semaines plus tard, à la clôture de cette invitation, 3 162 idées avaient été déposées sur la plate-forme numérique Budgetparticipatif.paris.fr. En 2015, sur les 5 115 projets recueillis, 654 avaient été sélectionnés par la Ville, puis soumis aux votes des citoyens : près de 67 000 ont voté, et 187 projets ont été retenus pour être financés dès cette année.
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Certains font rêver. La plupart d’entre eux (179) concernent les arrondissements : peinture de marelles dans les écoles du quartier Saint-Ferdinand (12 000 €) ; ajout de bancs et de chaises au parc Montsouris (50 000 €) ; réalisation d’une arche d’arbres fruitiers rue Montorgueil (40 000 €). Huit autres, plus ambitieux, sont destinés à l’ensemble de la ville : redonner vie aux kiosques à musique avec des troupes de spectacle (3,7 millions d’euros) ; reconquérir l’ancienne voie de chemin de fer de la Petite Ceinture à l’aide de promenades, buvettes, espaces culturels et potagers partagés (7,5 millions) ; développer l’aide aux précaires en rénovant les bains-douches et en développant des bagageries gratuites (4,4 millions). Tous ces programmes ont commencé à être mis en œuvre.
« Donner la parole et le pouvoir aux habitants »
Cet appel aux Parisiens à « intervenir directement » dans les choix budgétaires de la mairie a été lancé par Anne Hidalgo en 2014. Dans un texte fondateur, la maire y défend l’idée que l’« intelligence collective » et la « participation citoyenne » sont « les outils les plus puissants » pour élaborer les politiques publiques. Selon elle, les contributions des Parisiens participent de « la vocation essentielle de la démocratie », qui ne doit pas s’arrêter au lendemain des élections, mais doit « donner la parole et le pouvoir aux habitants ». En 2016, 100 millions d’euros sont consacrés à ce budget participatif – soit 5 % du budget annuel de la Ville. D’ici à 2020, 500 millions d’euros lui seront affectés.
Bien sûr, le passage de l’utopie à la mise en œuvre a été compliqué. Anne Hidalgo et son équipe ont vu par exemple fleurir des propositions pour rénover les écoles de Paris : insonorisation des salles, rénovation des toilettes, installation de garages à vélos. Aussitôt, les syndicats d’enseignants et de parents d’élèves ont protesté : la mairie de Paris ne devait pas inclure dans son budget participatif ce qui relève de « ses obligations ». D’autres propositions concernaient l’aménagement des stations de métro : ouverture la nuit, stations abandonnées transformées en galeries ou en salles de spectacle. Mais, comme le rappelle Pauline Véron, l’adjointe en charge du budget, « le réseau métropolitain est exploité par la RATP, pas par la Ville de Paris. »
Pour aider les Parisiens à cadrer leurs projets comme à réfléchir à la chose publique, la mairie a établi trois critères : ils doivent concerner « l’intérêt général » et ne pas présenter d’« éléments à caractère commercial » ; ils relèvent de « la compétence de la Ville », pas d’un financement privé ; ils dépendent du budget d’« investissement » (dans l’équipement ou l’espace public, par exemple) et non de « fonctionnement » (l’ouverture d’une crèche impliquant l’embauche de personnel, un entretien permanent, etc.). Mais cela ne suffit pas toujours à éviter « le paradigme de la rue Jourdain », décrit par le sociologue Yves Sintomer dans l’ouvrage collectif Les Budgets participatifs en Europe. Des services publics au service du public (avec Carsten Herzberg et Anja Röcke, La Découverte, 2008).
Discussions « horizontales »
La rue Jourdain est à La Rochelle. Début 2000, des habitants lancent une pétition pour en faire un sens unique afin de réduire les embouteillages. La Ville accepte, mais le trafic se reporte sur un quartier voisin. Ses habitants pétitionnent à leur tour… Finalement, la Ville a décidé de fermer la rue Jourdain aux voitures – ce qui ne résout rien. L’exemple soulève une difficulté récurrente : les habitants sollicités réagissent souvent de façon localiste et égoïste, selon le principe du « pas chez moi ». Ils défendent leurs intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général. C’est ainsi que de nombreux projets sociaux – services d’aide aux sans-domicile-fixe, ouverture d’une salle de shoot – rencontrent souvent une opposition irréductible. D’où la méfiance des élus devant la participation citoyenne.
A Paris, on cherche à contourner la difficulté en organisant des discussions « horizontales ». C’est le principe des groupes de « coconstruction ». Pour les mettre en place, les gens des quartiers se rencontrent, les édiles interviennent, les projets proches sont fusionnés par thèmes pour être ensuite discutés. Pour Pauline Véron, élue du 9e arrondissement, la coconstruction permet de « renforcer les liens entre les citoyens, les institutions et leurs représentants, et d’assurer toujours davantage de transparence dans la gestion des finances municipales ». Mais aussi d’« inventer une pédagogie de l’action publique ».
Réelle avancée ou gadget démocratique à l’usage des citadins privilégiés ? A la gauche du PS, le budget participatif de Paris a été critiqué comme étant trop limité dans son application. Danielle Simonnet, élue Front de gauche du 20e arrondissement, parle d’un concept utilisé « abusivement », car il concerne seulement 5 % des investissements. Selon elle, « la vraie proposition serait de le généraliser à l’ensemble des choix budgétaires, voirie, espaces verts, espaces publics ». Il devrait aussi permettre de discuter des impôts qui financent ces budgets, et de leur répartition selon les moyens des administrés. Ce serait là, affirme-t-elle, un véritable choix politique, « dans la lignée de ce qui se fait à Porto Alegre » (1,5 million d’habitants), la capitale de l’Etat du Rio Grande do Sul au Brésil, dont l’expérience en la matière est souvent invoquée par les défenseurs de la démocratie participative.
L’aventure de Porto Alegre commence en 1988, quand le Parti des travailleurs (PT) remporte la mairie. L’équipe s’aperçoit que la quasi-totalité du budget est accaparée par les dépenses de fonctionnement, et que rien n’est laissé à l’investissement. Parallèlement, dans les quartiers populaires, les associations communautaires manifestent, exigeant des moyens pour les écoles, la voirie, les logements, les égouts. Le maire, Olivio Dutra, décide de jouer la transparence : il explique son manque de moyens, et propose aux collectifs d’habitants de Porto Alegre de participer à l’élaboration des finances municipales, recettes comprises, en tenant compte des besoins des plus défavorisés.
C’est ainsi que naît, en 1989, le premier orçamento participativo, ou budget participatif, du Brésil. Une Union des associations des résidents de Porto Alegre est créée, qui travaille avec la mairie. Une des premières décisions va être de réformer l’impôt municipal au bénéfice des plus démunis, en instituant une taxe progressive sur l’immobilier qui fixe des taux supérieurs aux habitants des quartiers bien lotis et aux propriétaires de bureaux. Après un démarrage hésitant – 700 habitants contribuent en 1989 –, la participation des milieux populaires à l’élaboration du budget s’accroît d’année en année, jusqu’à regrouper 18 500 personnes en 2002 et 15 000 en 2011 – malgré la défaite du PT.
Mobilisation citoyenne
Dans les années 2001-2004, l’expérience de Porte Alegre a rayonné dans tout le Brésil. D’après les études d’Yves Sintomer, elle a été reprise dans 200 villes brésiliennes, dont Brasilia, Belem, Sao Paulo. Puis en Argentine, au Pérou, en Equateur. Et enfin en Europe. Car l’expérience brésilienne a été testée et formalisée au cours des années, jusqu’à former, dit Sintomer, « un véritable “kit institutionnel”, qui peut être importé, adapté et modifié dans d’autres contextes, comme, à une autre échelle, les Constitutions américaine et française purent se diffuser ».
En France, à la suite de la loi Vaillant de 2002 sur la démocratie de proximité, influencée par Porto Alegre, des conseils de quartier ont été créés dans les villes de plus de 80 000 habitants. S’appuyant sur eux, plusieurs villes de la gauche plurielle ont mis en place des ébauches de budget participatif : Arcueil, Bobigny, La Courneuve, Saint-Denis. Il s’agit plus de consulter les habitants – la campagne « Parlons franchement » à Bobigny – ou de réunir citoyens et élus – les « démarches quartier » à Saint-Denis – que d’une véritable participation. Mais quelques villes – Grigny, Grenoble, Paris, Metz, Montreuil, Rennes – sont allées plus loin, en offrant aux habitants la possibilité d’élaborer leurs projets et de disposer d’un budget municipal important.
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A Rennes, une première expérience de budget participatif, « La fabrique citoyenne », a ainsi été lancée en novembre 2015. En un mois, 992 propositions ont été faites, dont 54 ont été retenues à l’issue des votes de 7 000 habitants. Parmi eux : l’installation d’une guinguette en centre-ville (50 000 €), des chemins pour fauteuils roulants et poussettes (100 000 €), la mise en place d’éoliennes urbaines (62 000 €)…
La ville de Rennes y consacre, comme Paris, 5 % de son budget d’investissement, soit 18 millions d’euros. Le 1er décembre 2015, la maire, Nathalie Appéré (PS), a remercié les habitants de leur mobilisation, déclarant sur le site de La fabrique citoyenne : « Beaucoup de citoyens se sentent aujourd’hui éloignés, ou parfois exclus, des choix politiques, dont ils constatent pourtant les conséquences sur leur vie quotidienne. Avec le budget participatif, nous faisons appel à votre expertise et votre volonté d’engagement. » CQFD ?
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/festival/article/2016/07/14/la-democratie-autrement-1-6-le-budget-participatif_4969435_4415198.html#xWpUeIfFe6yPiqUA.99
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