Les réseaux internationaux de la grande bourgeoisie
Les réseaux internationaux de la grande bourgeoisie
Des activités comme la chasse, le polo, la pêche, le yachting, le golf ou le ski sont le support d’échanges intenses entre les familles dispersées aux quatre coins du monde. Il en va de même dans un autre registre pour des activités caritatives comme celles de l’Ordre de Malte. Le Cercle de l’Union interalliée est affilié avec plus de cent clubs équivalents à travers le monde, ce qui permet à ses membres de toujours disposer, en voyage, d’un lieu où retrouver leurs semblables, que ce soit sur la 5e Avenue à New York ou à Djakarta. Mais, réciproquement, les pays d’origine des membres de l’Interallié sont très divers. En dehors de la France et de pays européens comme le Royaume-Uni, la Belgique ou la Finlande, on peut noter des origines dans tous les continents : des pays comme l’Afrique du Sud, l’Inde, le Japon, le Yémen ou Singapour sont représentés. Leurs ressortissants se côtoient dans les salons luxueux de l’hôtel particulier du 33 de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, à deux pas du palais de l’Élysée. Les amitiés et les relations à l’échelle du monde sont ainsi cultivées, entre des membres qui ont pu, pour certains, être condisciples dans quelque établissement scolaire prestigieux.
Dans un supplément, publié uniquement en 1995, le Bottin mondain fournit 2 084 adresses à l’étranger pour les quelque 42 500 mentions de la liste (qui représentent 200 000 personnes dont 145 000 enfants). Ces adresses sont celles de résidences principales ou de résidences « secondaires ». Elles reposent sur les déclarations des intéressés qui, dans certains cas, pour des raisons fiscales parfois, ne signalent pas tel pied-à-terre ou telle propriété. La réalité de cette pluriterritorialité internationale est donc sous-estimée, dans une proportion impossible à déterminer.
Il est remarquable que les patronymes d’apparence noble, ou la mention de titres nobiliaires, soient majoritaires parmi ces expatriés ou ces détenteurs de biens immobiliers à l’étranger. Cent deux pays différents sont mentionnés, mais cette belle diversité est inégale, certains pays étant beaucoup plus souvent cités que d’autres. Il en est ainsi pour la Belgique (431 mentions), la Suisse (368) et les États-Unis (238). Les pays africains sont particulièrement peu représentés. Dans chacun de ces pays la surreprésentation des familles nobles se répète, manifestant ainsi l’antériorité de l’enracinement international de l’ancienne aristocratie Les grandes manifestations mondaines prennent presque toujours un caractère international. Il en est ainsi du célèbre bal des Débutantes, très cosmopolite dans sa composition et qui se déroule aussi bien à l’hôtel Crillon, sur la place de la Concorde, à Paris, qu’au Plaza, sur la 5e Avenue à New York. Les grands prix hippiques, certaines ventes aux enchères de prestige, les festivals de musique, les compétitions de polo ou de golf, les régates et bien d’autres occasions voient se rassembler une haute société
internationale. Avec une certaine prédilection pour les manifestations à but caritatif. Le bal de la Rose, à Monaco, est de ces occasions très prisées où l’on peut dépenser beaucoup d’argent avec le sentiment de faire ainsi le bien, et de trouver dans cette générosité une légitimation aux revenus et aux richesses accumulées.
Cette légitimation fonctionne d’autant mieux que le regroupement de ces élites sociales par-delà les frontières signifie aussi la qualité de personnes suffisamment assurées d’elles-mêmes pour se jouer ainsi des distances et des nationalités.
Enfin, il ne manque pas d’équipements comme les palaces, certains ports de plaisance, casinos ou hippodromes, pour servir de lieux de rencontre et de célébration de ce cosmopolitisme. Certains grands bourgeois sont ainsi amenés à utiliser des répertoires d’adresses particuliers, composés de plusieurs registres alphabétiques. L’un deux, ayant vécu longtemps en Italie, ne possédait pas moins de quatre de ces carnets d’adresses au format d’un cahier d’écolier d’une centaine de pages. Le premier comportait trois listes, l’une pour Paris, les deux autres pour Londres et New York. Le second carnet, comprenant lui aussi trois parties, était consacré à l’Italie, à l’Espagne et à la Grèce. Le troisième recensait les relations domiciliées en Allemagne, en Suède et en Suisse et Belgique. Enfin les pays de l’Afrique de l’Est, où cet aristocrate allait chasser durant plusieurs mois chaque année, occupaient le dernier répertoire. Ces volumineux carnets d’adresses, très remplis, étaient utilisés en parallèle avec les annuaires imprimés, le Bottin mondain, bien sûr, mais aussi ses équivalents à l’étranger, l’Annuaire espagnol officiel du grand monde, le Debrett anglais, etc. Une collection de L’Almanach de Gotha, publié jusqu’en 1944 dans ce qui avait été le duché de Saxe-Cobourg et Gotha, attestait de l’ancienneté de cet internationalisme de bon ton.
Anne-Catherine Wagner a montré, dans ses travaux sur les cadres internationaux, les différences entre la nouvelle culture internationale des cadres d’entreprises expatriés et la culture cosmopolite propre à cette haute société ancienne. La première est basée sur une mobilité professionnelle, tandis que la seconde a ses racines dans la famille et la socialisation dès la plus petite enfance. L’une se donne à voir comme apprise, l’autre comme naturelle, comme consubstantielle à un milieu dont elle est un élément identitaire fort.
Sociologie de la bourgeoisie Pinçon et Charlot. 2007
Q1. Recensez toutes les réseaux internationaux entretenus par la haute bourgeoisie décrite par Pinçon et Charlot.
Q2. Comment peut-on voir la proximité de la grande bourgeoisie avec la noblesse ?
Q3 Quelle est la fonction des manifestations à but caritatif selon les auteurs ? Qu’en pensez-vous ?
Q4 Quelle est la différence que l’on peut faire entre les réseaux de cadres d’entreprises expatriés et la haute bourgeoisie traditionnelle ?
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