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Présidentielle : un autre mode de scrutin est-il possible ?

 

LE MONDE IDEES | 06.05.2017 à 13h49 • Mis à jour le 07.05.2017 à 07h30 | Par Marion Rousset

 

Et si on élisait le président de la République autrement ? Dans le monde intellectuel, certains chercheurs soulignent les défauts du scrutin uninominal à deux tours adopté par voie référendaire en 1962. Et planchent sur des alternatives.

Pourquoi l’électeur ne pourrait-il pas donner son avis sur plusieurs candidats ? Et si le second tour était ouvert aux trois ou quatre meilleurs ? Faut-il vraiment deux tours, d’ailleurs ?

Ce débat n’est pas facile à mener : alors que l’introduction de la proportionnelle aux législatives est discutée dans le champ politique, la règle du jeu présidentiel passe souvent pour une évidence.

 

« Plus personne ne s’interroge sur le mode de scrutin, même pas les politiques : on le prend pour un acquis », note Bernard Dolez, directeur de l’UFR science politique de l’université Paris-I.

« C’est intéressant que le débat puisse avoir lieu, abonde Frédéric Sawicki, professeur de science politique au sein de la même université. Pendant très longtemps, seuls les nostalgiques du président élu par le Parlement remettaient en cause le fonctionnement de l’élection. » « Il est salutaire de ne pas se contenter d’accepter les règles du jeu comme si elles étaient de toute éternité, les meilleures et indépassables », renchérit le chercheur Dimitri Courant, assistant diplômé à la faculté des sciences sociales et politiques de Lausanne.

 

Une légitimité artificielle

 

Première critique envers le système actuel : la légitimité que le scrutin présidentiel à la française confère au gagnant est artificielle et ne reflète pas l’état de l’opinion.

Si le général de Gaulle a réalisé en 1965 un score de 44,65 % au premier tour, pas un seul candidat, depuis les années 1990, n’a dépassé les 31 % : au premier tour, ils ne recueillent souvent que 20 % des suffrages exprimés – soit 10 % des Français en âge de voter si l’on prend en compte l’abstention et les non-inscrits.

Le face-à-face du deuxième tour construit certes de la légitimité. « Etant donné qu’il ne reste que deux candidats, que le vote blanc n’est pas comptabilisé et que l’on raisonne en pourcentages de suffrages exprimés, le vainqueur peut revendiquer les voix d’une majorité qui, par définition, dépasse 50 % », explique Bernard Dolez. Mais pour le politiste Frédéric Sawicki, « ce mode de scrutin ne permet pas de dégager une vraie majorité politique forte ».

 

Deuxième critique : rien n’indique que les gagnants sont réellement les candidats les plus appréciés. Etant donné que les citoyens ne se prononcent que sur un seul nom, on ignore, par définition, ce qu’ils pensent des autres.

En théorie, une figure qui déplaît à une majorité d’électeurs peut donc faire un très gros score : c’est ainsi qu’en 2002 Jean-Marie Le Pen a réussi à accéder au second tour face à Jacques Chirac. A l’inverse, un candidat capable de battre tous les autres au second tour peut échouer au premier : en 2007, une expérience avait montré que François Bayrou aurait été le grand vainqueur de la présidentielle si les citoyens avaient pu se prononcer sur toutes les configurations possibles. Autrement dit, le mode de scrutin actuel restitue mal les nuances de l’opinion des électeurs.

 

« Vote par note » et « jugement majoritaire »

 

Depuis quinze ans, des économistes, des mathématiciens et des chercheurs en informatique testent des modes de scrutin susceptibles de dégager un chef d’Etat plus représentatif.

Le « vote par note » et le « jugement majoritaire » font partie des pistes explorées. Le principe est simple : pour que le résultat soit proche de l’état de l’opinion, l’électeur, au lieu de glisser un seul nom dans l’urne, donne son avis sur tous les candidats.

« On peut aussi utiliser le classement par “intensité de préférence” : par exemple, l’électeur peut donner deux points à Hamon et un seul à Mélenchon pour signifier qu’il aime deux fois plus le premier », explique Antoinette Baujard, maître de conférences en sciences économiques à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne. Le gagnant est celui qui obtient le plus de points.

 

Lire aussi :   Noter plutôt que voter

 

Hasard du calendrier, la première expérimentation du vote par note remonte à 2002. L’équipe de Jean-François Laslier, directeur de recherche au CNRS, s’attaque alors à un domaine vierge – au point qu’elle essuie plusieurs refus de la part des villes sollicitées.

Elle atterrit finalement à Orsay, une ville universitaire de l’Essonne, et Gy-les-Nonains, une petite commune du Loiret. Le 21 avril 2002, dans les bureaux de vote de ces deux villes, les électeurs volontaires se prononcent de manière traditionnelle… mais aussi « pour de faux » : au lieu de voter pour un seul candidat, ils donnent à ceux qu’ils souhaitent exclure une note de 0 et à ceux qu’ils approuvent une note de 1 – l’absence de note est considérée comme un zéro par défaut.

 

Parce que tous les candidats sont notés, ce système permet d’aboutir à un résultat plus fin que le vote traditionnel. Avec le scrutin majoritaire à deux tours, un électeur de gauche qui vote Jospin met de facto dans le même sac un candidat qu’il abhorre comme Jean-Marie Le Pen et un candidat qu’il tolère comme François Bayrou.

Grâce au vote par note, il peut les distinguer. Le résultat s’en trouve changé : en 2002, lors de l’expérimentation menée à Orsay et Gy-les-Nonains, Jacques Chirac conservait la première place mais Lionel Jospin devançait Jean-Marie Le Pen.

Les expérimentations se sont poursuivies en 2007, en 2012 et… en 2017 : le 23 avril, une équipe de chercheurs a testé seize bureaux de vote à travers la France, soit plus de 16 000 électeurs inscrits, et invité les internautes à voter « autrement » jusqu’au 8 mai.

 

Des échelles d’évaluation complexes

 

Voilà l’idée. Reste à trouver la bonne combinaison. Les échelles d’évaluation allant de 0 à 20 sont complexes à manipuler, mais celles qui se contentent de deux niveaux comme 0 et 1, comme c’est le cas du « vote par approbation », manquent de finesse.

La possibilité de donner une note négative est en revanche plébiscitée. Plus épineuse est la question du nombre de tours : « Ce système est plus performant à un tour, pointe l’économiste Antoinette Baujard. Mais il est difficile de discuter cette option en raison de la légitimité historique qu’a acquise en France la validation du second tour. »

 

Le « jugement majoritaire » est une méthode expérimentée par les chercheurs français Michel Balinski et Rida Laraki. Proche du vote par note sur le principe, elle se distingue cependant par son mode de calcul. L’échelle d’évaluation va de « à rejeter » jusqu’à « excellent » et pour l’emporter, le candidat doit obtenir la note médiane la plus haute.

Avec ce système, Nicolas Sarkozy obtient « passable » en 2012 alors que François Hollande et François Bayrou sont dans la catégorie « assez bien » et Marine Le Pen « insuffisante ». Le défaut d’un tel mode de scrutin tient à sa complexité.

« Constitutionnellement, on se doit de faire en sorte que les électeurs comprennent à quelle sauce ils vont être mangés, estime Antoinette Baujard. J’aime bien l’imagination permise par la théorie du vote mais il ne faut pas transformer le suffrage universel en suffrage technocratique. »

Qu’il soit simple ou complexe, le principal atout du vote par note, selon Jean-François Laslier, est de favoriser les candidats consensuels ou modérés. « Le mode de scrutin actuel a tendance à couper le pays en deux car le second tour fait s’affronter un camp contre un autre, déplore-t-il. Les modalités que nous expérimentons auraient l’avantage de dégager un profil de président davantage arbitre, plus centriste, qui a recueilli les soutiens de diverses composantes. En société, quand on a des désaccords, il est normal de chercher des solutions qui conviennent à tout le monde. »

 

Triangulaires ou quadrangulaires au second tour

 

Ce point fait cependant débat. Rien ne dit qu’un candidat consensuel sera le mieux placé pour prendre des décisions pour son pays, avancent certains.

De surcroît, « tenter de plaire à tout le monde en étant le plus centriste possible pour avoir une chance de gagner ne me semble pas très sain », estime Frédéric Sawicki, qui propose une autre idée : la possibilité de triangulaires ou de quadrangulaires au second tour, avec des candidats qui pourraient se maintenir à condition d’avoir atteint un certain seuil de suffrages exprimés, comme pour les élections législatives.

« Le débat sur le vote utile provient du fait qu’on anticipe la présence d’une compétition finale entre deux candidats, explique-t-il. On serait moins contraint dès le premier tour si on pouvait choisir au second entre Macron, Mélenchon et Marine Le Pen. »

 

A la marge, le débat public fourmille par ailleurs d’initiatives pour la reconnaissance du vote blanc ou l’instauration du vote obligatoire, en vue d’inciter les politiques à se réintéresser au sort des populations qui ont pris l’habitude de s’abstenir.

Mais face au Meccano électoral, certains osent des alternatives plus utopiques : remplacer, par exemple, le président par un exécutif collégial. Ce système existe déjà en de rares endroits comme la Suisse : le Conseil fédéral est un collège de sept membres élus par l’Assemblée fédérale. chacun y a la charge d’un département ministériel, tandis que la présidence est une fonction largement honorifique.

 

« Science-fiction »

 

En 1952, l’Uruguay s’était inspiré de ce modèle pour créer son premier Conseil de gouvernement mais il a mis fin à l’expérience en 1966. « Un exécutif collégial, serait-ce une si mauvaise idée ?, se demande Loïc Blondiaux, professeur de science politique à l’université Paris-I. La Suisse est-elle plus mal gouvernée que la France ? Et pour le coup, on pourrait imaginer une élection à la proportionnelle. C’est de la science-fiction politique mais il faut oser des choses nouvelles. »

« Il y avait deux consuls à Rome et dix stratèges à Athènes, relève Yves Sintomer, professeur de sociologie à l’université Paris-VIII. Rien qu’aux Etats-Unis et dans la plupart des pays d’Amérique latine, il existe un président et un vice-président. »

La mise en œuvre de ces expériences reste cependant difficile à imaginer dans un pays habitué à élire un individu. Sans parler des pistes plus improbables encore, comme celle de voter pour un programme et de tirer au sort la personne mandatée parmi des candidats compétents recrutés sur concours.

« Aujourd’hui, l’acte d’élection s’apparente à un transfert de souveraineté : si un candidat promet de faire la politique A et que demain, il fait la politique B, on doit lui faire confiance, explique Dimitri Courant. Dans le cas du vote sur programme, l’élu devient un commis du peuple. » Cette alternative reste évidemment toute théorique. Mais face à une dramaturgie électorale qui montre des failles, un peu d’imagination ne saurait déplaire.

 

 



07/05/2017
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