Essena O’Neil est l’une de ces nombreuses starlettes que les réseaux sociaux ont fait émerger. Mardi 3 novembre, son compte Instagram totalisait plus de 700 000 abonnés, avant d’être supprimé, le 4 novembre. Dans le fil des images qu’elle avait l’habitude de publier, de nombreuses photos mettaient en valeur ses repas, ses baignades, son physique ou ses bijoux. D’autres montrent des images d’animaux, accompagnées de messages appelant à leur protection. Le « quotidien » idyllique d’une adolescente australienne de 18 ans, qui rêvait de célébrité…
Ce qu’elle présente comme une crise de conscience rappelle à quel point la signification d’une image dépend de ce qu’on veut lui faire dire. La jeune fille a en effet décidé de supprimer une grande partie des images publiées sur son profil, sur la description duquel on peut désormais lire : « Les réseaux sociaux ne sont pas la vraie vie »…
Certaines images sont restées cependant, et leurs légendes ont été changées, renversant totalement leur signification. Leur caractère authentique, presque inhérent aux réseaux sociaux – « L’authenticité, c’est la clé » clamait Dick Costolo, PDG de Twitter, en 2013 – disparaît au profit d’un aveu de la mise en scène, de préparation, bref, de fiction. Un comble sur Instagram, un réseau qui s’est fait connaître en misant sur la spontanéité de ses utilisateurs.
De nombreuses photos montrent la jeune fille en bikini. L’une d’entre elles semble avoir été prise de manière spontanée : Essena, cheveux mouillés, tourne la tête, comme pour jeter un regard rêveur vers la mer, ou pour répondre à quelqu’un. Mais « rien n’est spontané dans tout ça », explique la jeune femme dans la nouvelle légende de cette image. « J’aime cette photo parce qu’elle me rappelle tous les efforts que j’ai déployés pour vous convaincre que j’étais vraiment, vraiment belle », ajoute-t-elle, avant de conclure son post par un mot-clé que l’on pourrait traduire par : #CélébritéConstruite.
Une autre de ces images la montrant en train de prendre la pose, dans une forêt, avait pour légende une citation de Martin Luther King, suivie de ce qu’on suppose être ses réflexions personnelles : « Je veux prendre part à une révolution mondiale », écrivait la jeune fille. « Je crois en une révolution faite de gentillesse d’égalité et de compassion envers tous les êtres. C’est déjà en train d’arriver. Je peux sentir le monde changer. De plus en plus de monde a besoin de connaître la vérité. » La nouvelle légende, amendée, se veut plus sobre, et plus ironique : « Photo en bikini avec une citation profonde »…
D’autres légendes misent carrément sur la franchise supposée de leur auteur, qui semble vouloir nous expliquer comment ces images ont été fabriquées : « J’ai crié sur ma petite sœur pour qu’elle continue à faire des photos jusqu’à ce que je sois fière de l’une d’entre elles. »
La jeune femme entend substituer une forme d’authenticité que supposent les réseaux sociaux par une autre, celle qu’elle clame désormais en prétendant avoir dévoilé la vérité sur ses intentions, à la manière d’une confession.
Cette démarche rappelle qu’il suffit de changer quelques mots pour changer le sens d’une image. Les clichés servent tantôt de preuve à la beauté de la jeune fille, tantôt de preuves des efforts qu’elle a fournis pour satisfaire ses désirs de célébrité, et qu’elle prétend avoir vaincus. Même si, pour la seule journée du 3 novembre, son compte a gagné près de 50 000 nouveaux abonnés.
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