Développement des SELs
L’argent, miroir de la société
Sociologue, Université de Paris 1-Panthéon-Sorbonne
Small is beautiful (…) Face à cette situation de crise et à la perte de contrôle des États et des politiques, deux approches sont possibles. Soit on cherche à renforcer ou à établir des limites à l’intérieur des systèmes en présence (par des outils réglementaires ou fiscaux sur les marchés financiers ; par un système de taxation/subvention, en créant un marché fictif du carbone ou en instituant un rationnement pour l’énergie), soit on propose de réintroduire une dose de décentralisation et de pluralité dans les systèmes monétaire et énergétique sur la base du diagnostic retenu ci-dessus. Le développement de monnaies dites « parallèles » ou « sociales », ou à usage restreint, comme l’émergence de réseaux énergétiques locaux autour de sources renouvelables vont dans ce sens. Loin de former des solutions immédiates (comme pourraient prétendre l’être des « solutions » réglementaires ou technologiques), ils contribuent à mettre en place un processus qui privilégie la « technologie à visage humain » et redéfinit les liens entre l’échelle globale et locale, reconnectant nos choix institutionnels et technologiques avec les rythmes naturels, et ramenant nos actions à l’échelle de notre imagination . Ainsi, la notion de « responsabilité » (à laquelle renvoient souvent les discours sur l’environnement) prend un nouveau sens à mesure que se rapprochent, dans le temps et dans l’espace, nos actes et leurs incidences potentielles
Des monnaies « alternatives » se développent dans ce sens depuis une vingtaine d’années un peu partout dans le monde, sous des formes encore marginales mais en pleine croissance. La monnaie, et donc la confiance, s’ancre alors à la fois dans la limite d’un territoire et/ou d’une communauté (et d’un réseau social) et dans un référent extérieur stable (métal, biens ou services, temps de travail), renouant ainsi avec des pratiques passées (qui prévalaient jusqu’au milieu/fin du xixe siècle, comme nous l’avons évoqué plus haut), même si elles s’adaptent aux techniques et besoins spécifiques de nos sociétés aujourd’hui. En effet, ces monnaies parallèles existent sous la forme de jeux d’écritures et de compensations, comme dans les SELs (systèmes d’échanges locaux) ; de papier (bons-billets) ; ou dématérialisées (passant par des supports électroniques : cartes à puce, Internet ou téléphone). Le plus souvent, elles assoient leur valeur soit sur des ressources réelles (or, matières premières, pétrole, biens et services courants, etc.) stockées en réserve, soit sur le temps (monnaies-temps associées à des « banques de temps », qui enregistrent les unités de temps passées pour réaliser un bien ou service), comme l’Ithaca Hours, qui existe depuis quinze ans dans l’État de New York aux États-Unis (à Ithaca). Des monnaies appelées « Sol » existent ou sont en cours de lancement dans de nombreuses villes françaises, monnaies qui sont, sauf à Toulouse, pour l’instant toutes dématérialisées. Ces initiatives émergent de la société civile, redonnant prise aux citoyens sur la monnaie et la finance. Elles sont des moyens non seulement de développer de nouveaux circuits de financement de l’économie, hors de la sphère financière, mais aussi de redéployer la dynamique économique et sociale au profit du développement local. Le plus souvent en effet, leur circulation est limitée à un territoire restreint, même s’il existe aussi des monnaies circulant au sein de communautés transrégionales ou même transnationales.
Ces systèmes monétaires parallèles tendent, non pas à entrer en compétition avec les monnaies centrales, ni même à les concurrencer, mais à les compléter, comme le terme de « monnaies complémentaires », aussi employé, vient le signifier. Ainsi, Bernard Lietaer et Margrit Kennedy précisent que ces monnaies locales ont vocation à « connecter des besoins non satisfaits en euros avec des ressources sous-utilisées de la région ». L’existence de multiples monnaies, opérant à des échelles différentes, dans des circuits distincts, vise en effet à impulser des initiatives locales complémentaires des actions nationales, européennes ou mondiales. Elles sont des sortes de relais des monnaies centrales, permettant de valoriser des ressources ou savoirs marginalisés ou ignorés par le processus de globalisation. Pierre Calame parle dans ce sens d’« enchevêtrement de monnaies » et d’« enchevêtrement de communautés du local au mondial ». (…)
A découvrir aussi
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 348 autres membres