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Critique télérama Duringer Ne m'abandonne pas

“Ne m'abandonne pas”, de Xavier Durringer, diffusé sur France 2 le 3 février, retrace le combat d'une mère pour sauver sa fille endoctrinée par Daech. Un film poignant, qui assume sa mission pédagogique.

Sans qu’aucun coup ne soit porté, la scène est d’une violence glaçante. Chama, 17 ans, l’enfant choyée, l’élève brillante reçue à Sciences Po, fait face à ses parents, qui la soupçonnent de s’être radicalisée. Les mensonges et le sourire de façade ne marchent plus. Puis, en une fraction de seconde, le masque tombe : « Je ne supporte plus vos gueules de mécréants ! » Sous le verni d’une vie confortable, une vérité, sidérante, éclate : Chama est sur le point de partir en Syrie… Explorer le versant intime d’un phénomène d’une actualité brûlante, c’est le parti pris du téléfilm Ne m’abandonne pas, diffusé dans le cadre d’une soirée spéciale intitulée « Qui sont ces jeunes qui partent faire le djihad ? ». Les « vertus pédagogiques » du film, sa « dimension politique et sociétale », son réalisateur, Xavier Durringer (La ConquêteLady Bar), les assume pleinement. Entre d’autres mains, elles auraient pu être écrasantes. Mais pas ici. La fiction, même bardée de mille précautions, a le dessus, et ses personnages, forts et attachants, ne sont jamais réduits à des stéréotypes ou à des porte-drapeaux.

Combat des parents

« Ce qui m’a sauté aux yeux, dans ce scénario, explique le metteur en scène, c’est la volonté de déstigmatiser la communauté musulmane. On prend le contre-pied des poncifs sur les jeunes de banlieue. La mère de Chama est de culture musulmane, elle est médecin, divorcée, elle fume, elle boit. Son père fréquente la mosquée. Sa grand-mère est plus traditionaliste… Chacun a un rapport différent à la religion. Le film montre de l’intérieur la souffrance et les questionnements de cette famille. Il raconte une histoire qui n’est pas toutes les histoires. » Centré sur le combat de parents — et en particulier celui d’une mère — prêts à tout pour sauver leur enfant, le film éclaire en filigrane les ressorts de l’endoctrinement sectaire. Et martèle un message : ça peut arriver à tout le monde. Via Internet, Chama s’est mariée avec son petit ami, déjà parti rejoindre les rangs de DaechMarc Lavoine incarne le père anéanti du garçon. « Ces deux familles partagent la même douleur. Et il se trouve que l’enfant de l’une d’entre elles est blond aux yeux clairs… »

Pour les deux scénaristes, Aude Marcle et Françoise Charpiat, le déclic a eu lieu il y a deux ans, après la lecture d’un article consacré au départ en Syrie d’une adolescente de 15 ans originaire d’Avignon. Le phénomène commençait seulement à alerter les médias. « Ce qui nous a saisies, voire même tristement fascinées, raconte Aude Marcle, c’est l’idée qu’une fille, une sœur, une amie puisse devenir une étrangère sous les yeux de ses proches, sans que personne ne s’en rende compte. » Depuis, le film n’a pas cessé d’être rattrapé par l’actualité, comme une justification dramatique de son existence : les attentats de janvier ont été intégrés sous la forme d’allusion ; ceux du 13 novembre ont eu lieu quelques semaines seulement après la fin du tournage.

Radicalisation chez les jeunes femmes

Poursuivies par le flot bouleversant de l’information, les deux auteures se sont cramponnées à leur intuition de départ : la relation mère-fille devait rester au cœur de l’histoire. « Ce sont des situations de violence et d’amour incroyables à traiter, observe Françoise Charpiat. Il y a quelque chose de l’ordre de l’animalité dans la réaction de cette mère. Jusqu’où un parent peut-il aller pour protéger son enfant ? Nous avons eu beaucoup de débats sur cette question. » Avec l’aide de Dounia Bouzar, la médiatique anthropologue engagée dans la lutte contre l’embrigadement djihadiste, qui leur a rapporté des « cas de figure proches de celui de Chama », les scénaristes ont pu approcher les mécanismes particuliers de la radicalisation chez les jeunes femmes. Sans chercher à expliquer à tout prix, le film sème des indices à travers le parcours et la personnalité de Chama, jeune fille passionnée, idéaliste, en quête de pureté. « Elle ne veut pas partir pour décapiter des gens, souligne sa remarquable interprète, Lina Elarabi, mais pour combattre l’injustice, aider des familles détruites par Bachar el-Assad. »

Eviter de simplifier ou d’aseptiser une réalité complexe et angoissante, de pointer du doigt, d’alimenter les ­extrêmes… Ne m’abandonne pas évolue sur un « fil ténu », selon l’expression de Xavier Durringer. Sa méthode, pour déjouer les malentendus : parler avec les acteurs et, surtout, les écouter. « Lorsque nous avons tourné la scène où le père de Chama tente de raisonner sa fille et la tire violemment par la jambe, Sami Bouajila [qui joue le rôle du père, NDLR] m’a alerté sur le fait que cela pouvait être mal perçu. Il ne fallait pas laisser croire qu’un rapport de violence existait entre ce père musulman et sa fille. C’est un geste de réaction, pour la saisir : cela devait être sans ambiguïté. » Cette confrontation poignante témoigne de la plus grande réussite du film : capter des sentiments extrêmes, antagonistes, sans sombrer dans les émotions faciles. « Pour que l’histoire soit crédible, il fallait que tous les acteurs soient parfaitement sincères avec leur personnage. Je leur ai parfois demandé d’oublier le sujet pour revenir à eux-mêmes : comment tu réagirais, toi ? On ne travaillait pas dans le “psychologisant”, mais dans une approche comportementale et instinctive. C’était “ici et maintenant”. » En équilibre sur ce fil ténu, tous les acteurs se révèlent impressionnants de justesse.



20/10/2016
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