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les réseaux concurrencent les sites d'emploi

Recrutement: les réseaux concurrencent les sites d’emploi

LE MONDE | 05.05.2015 à 18h09 • Mis à jour le 07.05.2015

«Dans un monde toujours plus transparent, internationalisé et rapide, les processus sont obligés de s’adapter », explique Frédérique Scavennec, dont la nomination à la direction du recrutement de L’Oréal, il y a deux ans, coïncide avec l’évolution résolument digitale du groupe. Aujourd’hui, le numérique est devenu la première source d’embauche du géant cosmétique : il utilise LinkedIn pour lancer des campagnes d’embauche « ciblées et chirurgicales », Twitter pour repérer des profils digitaux, Facebook pour communiquer sur ses valeurs d’entreprise et attirer les candidats juniors. En 2015,« l’empreinte digitale » devient même un critère de sélection, selon Mme Scavennec : « Un candidat qui s’absenterait complètement des réseaux peut-il vraiment s’adapter au marché actuel ? »

Pour déterminée qu’elle soit, cette stratégie n’est pas exceptionnelle. Selon une enquête menée par l’Usine nouvelle auprès de 110 entreprises en novembre 2014, 82 % des employeurs déclaraient utiliser les réseaux sociaux professionnels pour recruter, et 40,6 % les réseaux sociaux généralistes.

Mickaël Haton : « J’ai trouvé mon job sur Twitter »

« En 2013, Proservia, une filiale de Manpower, poste sur Twitter son intention de recruter un community manager à Nantes. Je viens de terminer un CDD dans un quotidien régional et je cherche un tremplin de conversion. Une entreprise à la pointe de la technologie appartenant au groupe Manpower ? Banco, je postule… et deux ans et demi plus tard, je suis en CDI chez eux, témoigne Mickaël Haton, aujourd’hui Community Manager chez Proservia.

À mon sens, Twitter est un outil formidable qui met en avant des qualités recherchées par les candidats comme par les recruteurs : curiosité, innovation, capacité de veille, transparence… C’est une étape très pertinente pour rejoindre ensuite un circuit de recrutement plus traditionnel.

Il faut jouer la complémentarité : job boards, médias sociaux, salons, sites de recrutement… Avec ces deux énormes avantages des médias sociaux : la possibilité de jouer d’égal à égal avec un pair ayant un carnet d’adresse hérité “de naissance”, et celle de pouvoir contacter sans filtre les décideurs RH. Profitons-en ! »

Propos recueillis par Camille Thomine

Les candidats l’ont bien compris. Selon une étude Randstad publiée mardi 5 mai et réalisée fin 2014 auprès de quelques 12000 personnes, plus d’un Français sur trois (34,5 %) déclare utiliser les réseaux sociaux pour chercher du travail. Les réseaux cités comme les plus utilisés étant dans l’ordre Facebook (55,9 %), Linkedin (41,5 %), Viadeo (34,4 %), et Twitter (16,4 %). Aujourd’hui, une simple recherche du mot-clé #job sur Twitter fait apparaître entre vingt et trente offres d’emploi par minute, tandis que Facebook vient de lancer sa déclinaison « at work » en janvier.

Une solution de réseau d’entreprise calqué sur le modèle grand public et qui confirme le succès actuel du site : les candidats y suivent l’actualité des firmes convoitées et amorcent des contacts informels ; les recruteurs y glanent des informations sur leurs postulants tout en véhiculant une image dynamique de leur secteur.

Pionnier parmi les sites d’emploi, Monster ne s’y est pas trompé, qui multiplie depuis six mois les incursions sur les réseaux sociaux : lancement de « Twitter cards » permettant à un recruteur la diffusion automatique de ses offres de postes faites sur Monster sur leur compte Twitter ; opérations « #Recrutezmoi » pour inciter employeurs et candidats à se retrouver autour d’un même hashtag dans un laps de temps donné et, bien sûr, présence renforcée sur Facebook qui a déjà valu au site d’emploi d’être désigné « marque la plus présente » sur le réseau social en 2013, selon le baromètre du cabinet Cocédal.

Ces solutions permettent aux recruteurs « de tirer profit du Web social sans avoir à y investir le temps qu’ils n’ont pas », selon Gilles Cavallari, directeur général de Monster en France : à l’inverse de la « fiabilité prouvée » et de la « simplicité d’usage » des traditionnels sites d’emploi, les réseaux nécessiteraient beaucoup de temps pour être efficaces.

Les réseaux sociaux peuvent être très chronophages. « Oui, si l’on démarre de zéro », explique Frédérique Scavennec. Mais le temps passé à communiquer sur la marque et à échanger avec les candidats est « largement récupéré par la suite, une fois augmentée la connectivité avec eux et constitué un solide pipeline de profils ».

Le risque d’être noyé

Pour Jean-Christophe Anna, directeur général de #rmstouch, société spécialisée en recrutement mobile et social, l’autre risque des réseaux consiste, côté candidat, à se retrouver « noyé » dans la masse des concurrents. « La plupart des gens s’inscrivent sur LinkedIn ou Twitter mais s’arrêtent à cette étape, note-t-il. Or il faut se démarquer et passer à l’action, interpeller des personnes, s’intégrer aux groupes de discussion, partager du contenu…»

Devenus incontournables, ces outils ne sont pas magiques : « Il faut prendre le temps d’explorer leurs fonctions. » Alors seulement ils se révèlent ce puissant levier pour « faire du réseau ». Une démarche somme toute traditionnelle mais « sous-exploitée », selon M. Anna.

Autre solution en vogue pour gagner en efficacité : l’agrégation de données, soit le big data appliqué à l’emploi. De nombreuses start-up et outils comme Gild, Entelo ou Kenexa permettent d’aimanter toutes les données numériques relatives à un candidat afin d’identifier un profil toujours plus proche de ses besoins, dans le secteur d’activité et/ou l’implantation géographique d’un recruteur.

Là encore, Monster n’échappe pas à la tendance : il vient de faire l’acquisition de l’agrégateur TalentBin, qui propose d’identifier développeurs Web, designers ou graphistes en scannant leurs différentes productions -partagées sur le Web public – réseaux, blogs, forums d’experts. Ces méthodes ont leurs avantages, selon Gilles Cavallari : appuyer l’embauche sur des compétences« prouvées » qui « ne reposent plus uniquement sur du déclaratif »,mais aussi dénicher les candidats passifs ou profils rares « qui boudent les CV-thèques et autres réseaux sociaux professionnels où ils peuvent être sursollicités ».

Croisement de données

Enfin, la diversification des modes de recrutement dépend aussi de celle des supports. Pour Jean-Christophe Anna, le canal d’avenir est le mobile, même si les applications restent peu nombreuses. Parmi elles, Big-Central, qui propose aux 12-25 ans de postuler depuis leur smartphone grâce à des vidéos d’une minute. Ou encore les différents « Tinder » [du nom d’un site de rencontres amoureuses] de l’emploi, lancés à l’été 2014 sous les noms de Jobr (Etats-Unis), Truffls (Allemagne) ou Kudoz (France).

Comme les plates-formes de rencontres, ces applications s’appuient sur un croisement de données – souvent puisées dans les CV-thèques existantes – pour suggérer des appariements concrets entre recruteurs et candidats. A l’utilisateur de « swiper » ensuite comme sur Tinder, en faisant glisser l’écran à droite pour manifester son intérêt, à gauche pour afficher une autre proposition.

L’idée ? Faciliter le processus en allégeant le texte à taper. « S’inscrire, remplir ses critères, trier les annonces, il faut parfois plus d’une heure et demie pour trouver une offre qui corresponde sur les sites d’emploi et réseaux professionnels », explique Pierre Hervé, fondateur de Kudoz. Sans compter qu’une fois sur deux, ladite annonce renverra encore sur une autre plate-forme avec d’autres formulaires à renseigner. Pour lui, le défaut majeur des solutions actuelles consiste à se mettre toujours du côté du recruteur. En oubliant qu’un candidat pour qui la tâche devient trop complexe se tournera vers des outils parallèles.

Initiatives futuristes

Remettre « l’expérience candidat » au cœur du recrutement serait donc l’enjeu de demain ? C’est ce que pense Frédérique Scavennec, qui constate que la fonction ressources humaines évolue vers le marketing. « Ce n’est pas encore au recruteur de séduire le candidat, mais la balance s’est équilibrée, remarque-t-elle. Il faut l’étonner, créer du lien entre lui et l’entreprise.»

Depuis peu, L’Oréal expérimente des objets connectés, censés transformer l’entretien d’embauche en un rendez-vous interactif et ultrapersonnalisé via des vidéos et des informations calibrées sur l’entreprise, qui sont « poussées » sur le mobile du candidat au fur et à mesure de son itinéraire jusqu’au bureau du recruteur. Cela afin de susciter l’envie, en montrant que les ressources humaines aussi peuvent se hisser à la pointe de l’innovation.

Parmi les initiatives futuristes, difficile de dire lesquelles vont perdurer sur le marché. Côté employeur, l’un des avantages du numérique est de pouvoir tester puis abandonner des solutions à peu de frais. Côté candidat, en revanche, s’il faut se réjouir de voir s’élargir le champ des possibles, gare à l’éparpillement. « Mieux vaut maîtriser quelques outils et exploiter à fond leur potentiel que de s’égarer parmi mille outils », rappelle M. Anna.

Camille Thomine



15/05/2015
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