MANUEL-VALLS-ET-LES-EXCUSES-SOCIOLOGIQUES
Au Sénat, le jeudi 26 novembre, le sénateur communiste Christian Favier a demandé à Manuel Valls quelles politiques publiques il comptait mettre en œuvre après les attentats du 13 novembre « pour que toute la jeunesse, sans discrimination ni stigmatisation, puisse redonner sens à sa vie, reprendre confiance en son avenir et renouer avec l'espoir d'une vie meilleure ». Ce à quoi le Premier ministre a répondu qu'il fallait bien entendu « mener une lutte implacable contre [la] radicalisation ». Il a cependant ajouté sur un ton véhément, reprenant des propos qu'il avait déjà tenu la veille à l'Assemblée nationale : « Mais moi je vous le dis : j'en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques à ce qu'il s'est passé » (à 4'40 dans l'extrait audio ci-dessous).
Une rhétorique vieille de 15 ans en France
Le propos n'a, hélas, rien d'original. Voilà plus de quinze ans que revient régulièrement dans la bouche des responsables politiques et de certains journalistes l'argument selon lequel la sociologie – et les sciences sociales en général – « excuseraient » les comportements les moins acceptables en mettant en évidence le poids des déterminismes sociaux, tendant à nier par là le fait que les individus sont responsables de leurs actions. Le
Sus au « sociologisme » !
Cette rhétorique a depuis été reprise de nombreuses fois, à droite comme à gauche. « Le chômage, les discriminations, le racisme, l’injustice ne sauraient excuser de tels actes », s'indigne Nicolas Sarkozy en 2006 après l'incendie d'un bus à Marseille. « On ne fera pas baisser le racisme en trouvant des excuses sociologiques aux fanatiques », affirme Caroline Fourest en mai 2015. Peu avant, Philippe Val avait publié un ouvrage, intitulé Malaise dans l'inculture, largement consacré à une critique de ce qu'il appelle le « sociologisme », autrement dit cette « pensée totalitaire molle » selon laquelle « l’individu n’est pas responsable mais c’est la société qui l’est ».
Une importation américaine
Ce n'est cependant pas Lionel Jospin qui a inventé cette curieuse expression. Elle nous vient - comme souvent - des Etats-Unis1. Elle semble y avoir été créé par Robert Biniditto, journaliste-romancier libertarien, à la fin
Une confusion des perspectives
Tous ces responsables seraient bien en peine, naturellement, de citer un seul sociologue qui aurait littéralement excusé un comportement répréhensible au nom des déterminismes que subirait son auteur. De même qu'on n'a jamais vu un chercheur déclarer devant une cour « ce n'est pas la faute du prévenu, Madame la juge, c'est la faute à la société ! ». Comme l'explique Bernard Lahire dans un livre à paraître en janvier prochain2, accuser la sociologie d'excuser les terroristes ou les malfrats relève d'une « confusion des perspectives » : « Comprendre est de l’ordre de la connaissance (laboratoire). Juger et sanctionner sont de l’ordre de l’action normative (tribunal). Affirmer que comprendre “déresponsabilise” les individus impliqués, c’est rabattre indûment la science sur le droit ». Car « le savant étudie “ce qui est” et n’a pas à apprécier si ce qui est, est “bien” ou “mal”».
Qu'est-ce qu'être pauvre ?
Bernard Lahire interroge par ailleurs la vision que ces gens « installés » ont de la pauvreté, qui n'est pas un simple attribut mais une situation qui façonne tout un rapport au monde : « Vivre par exemple dans les conditions économiques les plus misérables, ce n’est pas comme porter un chapeau qu’on pourrait enlever à sa guise, mais c’est faire l’expérience dans son corps d’une série d’expériences de manques, de traumatismes,de
La haine des causes
En montrant que les candidats au jihad sont souvent issus des groupes sociaux qui subissent le plus la pauvreté et les discriminations (Manuel Valls n'avait-il pas dénoncé en janvier dernier, « l'apartheid territorial, social, ethnique » qui régnerait en France ?), en expliquant comment cela peut faire naître des frustrations et du ressentiment qui les rendent sensibles aux discours de haine, les sciences sociales n'absolvent pas les terroristes : elles décrivent des causes. Elles fournissent en même temps des pistes d'action (qui ne contredisent pas nécessairement une action répressive) pour que cela ne se reproduise plus. Caricaturer cela en « excuses sociologiques » révèle l'inquiétante « haine des causes » dont fait de plus en plus souvent preuve un monde politique et intellectuel qui semble ne plus savoir quoi faire, ni même quoi penser, des inégalités.
A découvrir aussi
- Nous sommes Charlie
- Daech est le produit de notre modernité Le monde Cécile Chambraud
- Une pensée de gauche
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 348 autres membres