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9.1.Diversité et transformations des conflits 



Q1. F. Lordon oppose deux formes de conflits : lesquels ?

Q2. Comment est analysée la loi El Khomry ?

Q3. Qui est rassemblé dans cette lutte ?

Q4. Les syndicats sont-ils conviés à la lutte ?

Q5. Quel est le projet de ce mouvement selon F. Lordon ?

A. La diversité des formes de conflit 

 

Le conflit désigne une situation d'affrontements ouverts et explicites. On parle de conflit social quand la cause du conflit est liée à une distribution inégale de ressources (salaire, conditions de travail, gestion des biens publics).

 

              La société est composée de groupes sociaux qui sont en lutte dans des rapports de force. Les acteurs de la vie sociale cherchent à influencer les pouvoirs politiques, maîtriser les modèles culturels et à produire des normes dans les domaines de la connaissance, de la production et de la morale  Les acteurs sociaux à travers les mouvements sociaux qu'ils portent et les conflits sociaux qu'ils engendrent créent des règles et produisent l'histoire. Le conflit peut être latent quand la mobilisation peine à se mettre en place alors que les conditions de la mobilisation et donc du conflit sont réunies. Dans le cas de la domination d’un groupe par un autre, les dominés peuvent très bien accepter leur sort pendant une période donnée, puis un jour à la suite d’un évènement, se mobiliser.

 

Dans les sociétés modernes, les conflits sociaux prennent souvent la forme de conflits localisés dans les unités de production, un conflit social peut cependant prendre de l'ampleur et se globaliser s'il est porté par un mouvement social quand un groupe social aux contours bien définis cherche à transformer radicalement le modèle social et culturel. Si le mouvement ouvrier a été le mouvement social central de la société industrielle, dans la société post-industrielle, ce sont de nouveaux mouvements sociaux qui émergent. Dans une société où les besoins fondamentaux sont assouvis, où le niveau d’éducation est élevé, les nouveaux mouvements sociaux vont davantage porter sur des revendications non matérielles.

 

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B Les mutations des conflits du travail

 


 intervention Jerome pelisse

 

 Le syndicalisme ouvrier a joué un rôle important dans l'histoire du mouvement ouvrier. Illégal et réprimé pendant la majeure partie du XIXème siècle, le syndicalisme ne prend réellement forme qu’au début du XXème siècle. Les luttes de classes dont les moments forts ont été la commune de 1870, le front populaire en 1936, les grèves d’après 1945, les évènements exceptionnels de mai 1968 ont permis d’augmenter les droits sociaux et de produire ce que Robert Castel a appelé une propriété sociale. Ce statut salarial s’est épaissi de nombreux droits comme le droit à la retraite, la diminution du temps de travail, les congés payés. Les différentes lois sur le temps de travail ont permis de diviser le temps de travail par 2 entre le début du XXème siècle et aujourd'hui. En 1982, les lois Auroux ont permis d'élargir l'espace de négociation dans l'entreprise.

 

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La crise économique des années 70 a  transformé le travail et a déstabilisé les organisations syndicales  comme l’ensemble des identités professionnelles, en France comme en Europe.  Le taux de syndicalisation a chuté entre 1948 et aujourd'hui. En 1948, 30% des salariés étaient syndiqués, ils ne sont plus que 8% aujourd'hui. Ce taux est particulièrement faible si on le compare aux taux de syndicalisation des pays nordiques. Par delà l'affaiblissement des syndicats, on note un affaiblissement et une transformation des modalités de conflits. Les grands mouvements collectifs appelant à la grève générale se font plus rares, à l'exception de 1968 et des mobilisations contre la réforme des retraites (1995, 2005, 2010). Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le nombre de journées non travaillées a fortement diminué, passant de plus de 20 millions de journées individuelles non travaillées (JINT) en 1949 à moins de 5 millions en moyenne pendant les années 2000.  

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De plus,  lors de ces occasions, ce sont les salariés du secteur public qui se mobilisent principalement.  La chute est particulièrement importante dans le secteur privé, et les grèves se font essentiellement dans le secteur public, où elles baissent également. 

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 La grève qui a une longue histoire de pratique illégale est devenue aujourd’hui un droit protégé par la constitution, ainsi une forme non-conventionnelle peut devenir conventionnelle. Cependant aujourd'hui,  les grèves longues laissent place à des débrayage courts ou encore à des modalités de lutte sans arrêt de travail comme les manifestations, le refus des heures supplémentaires, les pétitions, l'absentéisme, les grèves perlées (courts arrêt de travail concertés entre les salariés pour ralentir le rythme de travail) ou les grèves du zèle (application exagérément minutieuses des consignes de travail), voire parfois les happenings spectaculaires. Les coordinations-grève moins nombreuses sont cependant parfois plus dures ces dernières années, certains salariés désespérés des plans sociaux d'un capitalisme actionnarial insaisissable sont parfois réduit à des actions violentes ( Conti, goodyear, Air France etc.)

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L'affaiblissement des conflits du travail est lié à l'affaiblissement des salariés dans le rapport de force entre salariés et patrons. Les causes qui suivent permettent de penser à la fois la chute du syndicalisme et l'affaiblissement des conflits du travail. 

       Le chômage de masse a frappé les bastions traditionnels du syndicalisme et du parti communiste (mines, sidérurgie, métallurgie, textile, chantiers navals, automobile), le pouvoir de négociations des salariés s'en est trouvé affaibli. Les restructurations liées à l'évolution vers un capitalisme actionnarial ont conduit à l'éparpillement des entreprises et à de plus grandes difficultés de recrutements et d'action pour les syndicats. Ce phénomène a été amplifié par le relatif déclin du nombre d’ouvriers (40% de la pop active en 70 et 25% en 2016). Le transfert de l’emploi vers les services et les PME a eu pour conséquence de placer les salariés dans des structures plus faiblement syndiquées. En 1992, 83% des salariés occupés dans des entreprises de moins de 20 salariés n’avaient aucun représentant. De plus certaines entreprises notamment les multinationales (Kodak, IBM) pratiquent une politique très hostile aux syndicat : licenciement, blocage des promotions, harcèlement.)

          La précarisation des emplois ont rendu les mobilisations plus difficiles. Le taux de syndiqués chez les précaires est proche de 3%.  Le développement de la sous-traitance liée à l'externalisation de certaines fonctions dans l'entreprise a développé les emplois précaires ( apprentis, CDD, stages), même si certaines entreprises (ménages, informatique, etc.) fonctionnent principalement avec des emplois précaires.

      Le chômage de masse, la précarisation mais aussi le contournement des syndicats par le néo-management  ont favorisé l'individualisme au travail. Mançur Olson a montré dans le paradoxe de l'action collective que des individus rationnels ont de fortes chances de se comporter en passager clandestin, ces individus ont intérêt à laisser les autres faire grève à leur place afin de bénéficier des avantages. Le néo-management a établi au niveau de l'entreprise une individualisation des salaires par la gestion des primes augmentent l’esprit de compétition tout en contournant les conventions collectives. Cet individualisme a des répercussions sur la façon dont les salariés  perçoivent les conflits comme des problèmes interpersonnels (blâmer son supérieur) plutôt que comme des enjeux collectifs.

          L'institutionnalisation des syndicats a paradoxalement affaibli l'action collective.  L'institutionnalisation désigne le passage de la contestation à la participation à la régulation sociale. Les différentes réformes (comme les lois Auroux) ont réussi à augmenter la négociation d’entreprise mais ont déplacé les arbitrages du niveau national où les syndicats étaient relativement forts au niveau local où ils étaient plus faibles, ce qui les a rendus peu à même de s’opposer aux volontés patronales.  En même temps ces lois en accroissant les heures de délégation ont professionnalisé les délégués qui en cumulant de nombreux postes (délégués syndicaux, délégués du personnel, comité d’entreprise etc…) ont perdu le contact avec leurs adhérents. Les syndicats, de plus en plus faibles ont été contraints de devenir des prestataires de services qui fournissent des services personnalisés à leurs adhérents : aide juridique, renseignements spécifiques etc.

 

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Les conflits du travail n'ont pas pour autant disparu. Ils portent toujours sur le partage de la valeur ajoutée et notamment sur la question des augmentations de salaires et sur les conditions de travail. On peut noter une évolution, si les conflits dans les années 60 se portaient davantage sur une contestation de l'aliénation, les conflits actuels sont des conflits portant sur les licenciements et les restructurations d'entreprise (Mittal, continental, fralib)  

 

C. La prolifération des conflits hors de la sphère productive

 

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Selon Ronald Inglehart, à partir des années 60, la société industrielle a laissé place à une société post-industrielle dominée par la production et la diffusion en masse de biens culturels  (éducation, santé, culture et information). .Les conflits débordent alors de la sphère du travail et se transforment pour devenir plus globaux. En effet,  à partir d'un certain niveau de vie, du fait de la satisfaction globale des besoins, les aspirations des individus se déportent sur des préoccupations de mode de vie portées par des valeurs post-matérialistes.

 

D'après A. Touraine, les nouveaux mouvements sociaux ont des caractéristiques communes, ils cherchent à agir sur les systèmes de valeurs et de représentations, ils revendiquent un changement social en s’adressant aux pouvoirs en place, et ont une dimension identitaire forte.

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               Les valeurs en question sont très diverses : écologiques, féministes, égalité, non discrimination. Agir sur les valeurs passe principalement  par des revendications égalitaires. : le mouvement des Civils Rights aux Etats Unis a revendiqué l'égalité entre les noirs et les blancs et le refus d'une Amérique raciste, la marche des Beurs en 1983 revendiquait une égalité républicaine, le mouvement gay une non discrimination entre hétérosexuel et homosexuels, le mouvement féministe une égalité hommes/femmes au travail, dans la sphère domestique et la politique, les mouvements de chômeurs le droit à la solidarité etc. Mais pour que ce changement de représentation ne reste pas seulement au niveau symbolique, ces différents mouvements revendiquent l'extension ou la mise en pratique des droits sociaux pour les catégories minoritaires et dominées: égalité des droits sociaux avec les mouvements des sans papier ; parité homme femme inscrite dans la constitution ; mise en place d'un contrat de mariage pour les homosexuels etc  

 

              

Il y a comme dans les mouvements sociaux des sociétés modernes industrielles des recherches de pression sur l'Etat, mais les nouveaux mouvements sociaux des sociétés post-industrielles (NMS) sont plus souvent à vocation internationale que les mouvements liés à la sphère du travail et surtout ils visent avant tout à changer de modèle culturel alors que les conflits du travail restent  plus souvent plus défensifs ou promeuvent des transformations plus progressives.

               Ces mouvements ne pas sont initiés par les mêmes acteurs, ce sont plus souvent des associations et des individus organisées en réseaux. Les acteurs de ces mouvements sont issus généralement de la classe moyenne dont la hausse générale du niveau d'éducation a accru le niveau de compétence politique.

               Le répertoire des actions collectives s'étoffe de nouvelles formes. Tandis que les conflits du travail traditionnellement passent par des formes  routinisées, comme la manifestation et la grève par exemple, les nouveaux mouvements sociaux recourent à des formes innovantes comme le happening médiatiques, le sitting, la pétition, les occupations de places publiques ( Podémos, Nuit Debout etc),  les destructions etc... 

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Les NMS  se caractérisent par de nouvelles modalités d'actions, celles ci se différencient des pratiques traditionnelles des mouvements ouvriers comme la grève. Celle-ci n'est pas à écarter systématiquement comme on a pu le voir en mai 68 quand les ouvriers ont rejoint le mouvement étudiant, mais on trouve dans le répertoire d'action collective des NMS, les pétitions, les concerts de soutien, les actions de commandos, des interventions personnalisées ( sans-papiers), des manifestations festives, des occupations de lieux, des sittings, des blocus etc...

 

 

L'opposition entre nouveaux mouvements sociaux et mouvements sociaux traditionnels est schématique et ne doit pas être surestimée : si, effectivement, certains nouveaux mouvements sociaux renvoient clairement à des questions de reconnaissance, il ne faut pas oublier que les questions « matérialistes » y demeurent importantes (la question des retraites en France, les mouvements d'opposition aux politiques d'austérité en Europe, ou encore le mouvement « Occupy Wall Street » aux États-Unis qui a fait des inégalités économiques son principal cheval de bataille). Réciproquement, les conflits du travail mêlent aussi bien les questions « matérialistes » que des questions de reconnaissance : quand les ouvriers revendiquent pour leurs salaires ou de  meilleures conditions de travail, ils cherchent aussi à être pris en considération.   Par ailleurs, les conflits du travail inventent aussi de nouvelles formes d’actions collectives.

 

Q1. Définir, conflit social, syndicats, valeurs matérialistes/post-matérialistes, mouvement social
Q2. En quoi peut-on dire que les conflits de classe théorisés par Marx sont des conflits latents ?
Q3. Quels sont les avancées sociales permises par les luttes syndicales ?
Q4. En quoi peut-on parler d’une crise du syndicalisme ?
Q5. Faîtes un schéma avec les mots suivants : affaiblissement des conflits, chômage de masse, précarité, baisse du nombre d’ouvriers, tertiarisation, affaiblissement des syndicats, institutionnalisation des syndicats, sous-traitance, paradoxe de l’action collective, restructurations.
Q6. Faîtes un tableau comparant les caractéristiques des nouveaux mouvements sociaux avec les conflits traditionnels de la société industrielle. Catégories : type de société, objets de l’action, acteurs, type d’action, exemples

 

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31/03/2016
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LES YOUTUBEURS SCIENTIFIQUES, NOUVELLES STARS DU WEB

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |   • Mis à jour le 

 

Mercredi 25 novembre 2015, devant la petite librairie de Gif-sur-Yvette (Essonne), plus de 200 personnes attendent. Pour quel auteur star ces fans bravent-ils la pluie tenace et le climat d’insécurité post-attentats  ? Ni Amélie Nothomb ni Marc Levy. C’est pour un auteur à peu près inconnu de toute personne de plus de 25 ans  : Bruce Benamran, auteur de la chaîne de vulgarisation scientifique ­e-penser. La soirée de dédicace de son livre, Prenez le temps d’e-penser (Marabout, 2015), agrémentée de nombreux selfies, et même de câlins et de bisous, a duré plus de quatre heures, jusqu’à épuisement des stocks.

Un tel engouement pour un auteur scientifique n’étonnera que ceux qui n’ont pas encore découvert le phénomène YouTube, devenu le média préféré de la plupart des adolescents. Des auteurs de films qui postent leur production sur la plate-forme américaine d’hébergement de vidéos sont suivis par des millions de fans – les plus connus en France, comme Squeezie ou Cyprien, comptent plus de 12 millions d’abonnés  !

Depuis environ deux ans, des vidéos au contenu scientifique ont fait leur apparition, avec un succès notable, bien que loin des vidéos des mastodontes plus généralistes. La chaîne de Bruce Benamran compte ainsi plus de 600 000 abonnés, et certaines vidéos ont été regardées plus d’un million de fois. A l’heure où la science à la télévision est moribonde, les vidéos sur Internet sont le nouvel eldorado des vulgarisateurs.

Jeunes et masculins

Le scientifique et vulgarisateur David Louapre a bien constaté l’effet YouTube lorsqu’il est passé du blog à la vidéo – qui tous deux portent le même nom  : « Science étonnante  ». « J’ai rédigé un blog pendant près de six ans, sa fréquentation augmentait régulièrement, pour culminer à 150 000 visites par mois [un très bon score pour un blog scientifique  : c’était alors l’un des plus fréquentés en France, bien que loin derrière le blog « Passeur de sciences  », de Pierre Barthélémy, sur le site du Monde]. Lorsque je me suis mis aux vidéos sur YouTube, j’ai rattrapé cette audience en moins de cinq mois – plus, je l’ai explosée  : j’atteins 400 000 à 900 000 “vues” par mois. Et je ne suis pas le plus regardé  ! »

Ces vidéos sont-elles consultées en entier, sachant qu’il suffit de les afficher pendant une seconde pour que YouTube les considère comme « vues  » ? « Les statistiques m’ont agréablement surpris  : 70  % des internautes restent jusqu’au bout du film  », souligne David Louapre. De quoi clore le bec de tous ceux qui croient que la science n’intéresse pas le grand public, à commencer par les directeurs de chaîne de télévision et de radio.

L’image de YouTube comme un repaire de vidéos rigolotes de quelques minutes pour adolescents boutonneux en a aussi pris un coup  : on peut intéresser des millions d’internautes avec des vidéos de vingt ou trente minutes sur des sujets pointus  ! On peut parler de physique ardue, par exemple du principe d’incertitude en physique quantique, en décrivant le physicien allemand Heisenberg comme « un gars totalement badass [classe] ».

Ces vidéastes qui bousculent ainsi les certitudes ressemblent à leur public  : jeune et masculin, pour l’essentiel. Bruce Benamran fait figure d’ancêtre, du haut de ses 39 ans. La plupart pratiquent le « face caméra  »  : se filmant eux-mêmes en plan fixe, ils regardent le spectateur dans les yeux, comme un présentateur de journal télévisé. Les raisons sont avant tout économiques  : c’est le plus simple et le moins cher à réaliser, et on peut se débrouiller seul et avec très peu de montage. Mais pour David Louapre, qui vient par ailleurs de publier Mais qui a attrapé le bison de Higgs  ? (Flammarion, 172 p., 17 €), ce style est aussi une des raisons du succès de ces vidéos  : «C’est proche de l’interaction naturelle avec quelqu’un, lorsqu’on papote. » 

Loin derrière les Anglo-Saxons

Certains, pourtant, par goût ou par réticence envers le côté star du face ­caméra, préfèrent présenter des expériences à l’écran. C’est le cas de Baptiste­ ­Mortier-Dumont, le bien nommé Experimentboy, qui adore provoquer des explosions de toutes les manières possibles mais montre aussi de jolies manipulations sur les fluides pâteux ou les écoulements laminaires. C’est le cas aussi de Viviane Lalande, l’une des rares femmes (avec Florence Porcel en astronomie) à partager sa science sur le Web. Cette doctorante est capable d’analyser sur sa chaîne Scilabus les ronronnements de son chat ou la force nécessaire pour faire des pompes, ou de prouver que l’on est bel et bien plus grand le matin que le soir. «C’est la démarche scientifique qui m’intéresse, et je suis fascinée par la physique du quotidien  », souligne cette Française expatriée au Québec, où elle prépare une thèse en biomécanique.

Pourtant, ces « youtubeurs  » francophones restent loin de leurs homologues anglo-saxons, dont ils se sont largement inspirés. Par exemple, la chaîne VSauce, de l’Américain Michael Stevens, atteint près de 10 millions d’abonnés, pour des revenus estimés à plusieurs millions de dollars par an. « Je regarde plus de vidéos anglophones que francophones, analyse Léo Grasset, qui commence à vivre modestement de sa chaîne, DirtyBiology. Au départ, elles étaient vraiment de meilleure qualité, mais c’est de moins en moins vrai. Je suis de plus en plus fier du YouTube francophone. Reste que les moyens mis en œuvre ne sont pas les mêmes  : c’est très professionnel sur les chaînes de langue anglaise, alors que, sauf exception, cela reste amateur chez nous.»

Viviane Lalande, de par sa localisation canadienne, est plus proche des vidéos anglophones. « Celles-ci vont droit au but, tandis que les francophones jouent davantage sur l’humour et les montages très rythmés  », analyse-t-elle.

Gare au « bad buzz » !

Un coup d’œil sur les chaînes scientifiques les plus connues permet d’imaginer les raisons du succès. Les youtubeurs parlent cash, ne lésinent pas sur les blagues potaches et les références culturelles propres à leur génération, comme lorsque Léo Grasset explique la théorie de l’évolution à l’aide des Pokémon, ces petits personnages de jeux vidéo connus de tous les adolescents.

Mais ce qui apparaît surtout sur ces vidéos, c’est la grande liberté que s’offrent leurs auteurs, contrairement à ce que propose une télévision vue comme sclérosée, où les sociétés de production et les directeurs de programmes ne prennent pas le moindre risque. « YouTube offre des opportunités qui n’existent nulle part ailleurs, s’enthousiasme Bruce Benamran. Les sciences dures (la physique notamment) ont disparu de la télé car cela fait peur aux producteurs et aux annonceurs, alors que ça ne fait pas peur au public. Ainsi, Fred Courant, de l’émission “C’est pas sorcier”, aurait bien aimé traiter de sujets plus complexes, mais il n’a jamais pu, c’était hors cahier des charges. De mon côté, j’ai une totale liberté sur mes vidéos. Ce qui ne veut pas dire une absence de contrainte  : si je ne poste pas assez, ou si ça n’intéresse personne, je ne gagne rien. »

L’argent, comme souvent, est au cœur des débats. Les vidéastes ont essentiellement deux sources de rémunération  : la publicité, et le financement participatif. Mais attention au miroir aux alouettes  : très peu de you­tubeurs vivent de leur production. Certains, avec des millions d’abonnés, ne gagnent pas assez pour payer leur loyer  ! Troisième source, bien plus polémique  : la publicité et le placement de produits. Les vidéastes les plus connus sont régulièrement sollicités pour faire la promotion d’un produit, d’une œuvre culturelle, voire d’une institution.

Ainsi, Bruce Benamran a été invité par Fox lors de la sortie du film Seul sur Mars, afin de faire une vidéo dans le désert de l’Utah. « J’accepte d’être sponsorisé à condition de garder une totale liberté et que ça s’intègre à ma chaîne, précise-t-il. Et, bien sûr, il faut informer les internautes qu’on est sponsorisé, c’est même une obligation légale. » Ceux qui ne respectent pas cette règle peuvent subir un bad buzz, une bronca sur les réseaux sociaux, au point de devoir s’excuser dans une vidéo ultérieure. Enfin, plusieurs youtubeurs ont écrit des livres, qui peuvent devenir des sources non négligeables de revenus. Celui de Bruce Benamran a ainsi dépassé les 90 000 exemplaires.

Les spectateurs de ces vidéos sont surtout des jeunes de moins de 25 ans, ce qui est la norme sur YouTube. En revanche, ces chaînes scientifiques sont beaucoup moins mixtes que les généralistes  : 87  % d’hommes pour Bruce Benamran et 85  % pour Viviane Lalande. Tous s’en désolent. Seul Léo Grasset est regardé par 40  % de femmes, probablement parce qu’il traite beaucoup de biologie.

Le manque de rigueur peu pénalisé

Les relations avec les internautes sont primordiales. « Il y a beaucoup de commentaires, blagues et réactions enthousiastes, souligne Léo Grasset. Dans certaines vidéos, je demande aux gens de proposer des solutions à une question. Tant que j’avais 60 000 fans, c’était gérable, mais avec 300 000, c’est plus compliqué, d’autant que les gens ne lisent pas les commentaires précédents et écrivent donc souvent la même chose. Il faudrait imaginer un système pour faire collaborer 5 000 personnes sur une question. »

Comme pour Wikipédia autrefois, beaucoup s’interrogent sur la qualité de ces vidéos. « Je ne vise pas l’exactitude scientifique, j’explique comme j’ai moi-même compris, affirme tout de go Bruce Benamran. Vulgariser, c’est “approximer”, par exemple en disant que respirer, c’est aspirer de l’oxygène et rejeter du CO2, en omettant volontairement l’azote. Je ne fais pas un cours  ! Bien sûr, il peut m’arriver de faire une erreur. Dans ce cas, comme on ne peut pas supprimer une vidéo sans tout perdre, j’ajoute une annotation dans la séquence erronée et je fais un commentaire dans la vidéo suivante. »

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De son côté, Pierre Kerner, créateur de VideoSciences, un site regroupant de nombreuses vidéos scientifiques, regrette que le public se formalise peu des erreurs  : « Le plagiat est fortement critiqué sur les réseaux sociaux, pas le manque de rigueur scientifique. » Pour lui, la solution réside dans la vérification « par les pairs  », comme cela se pratique en sciences. «Nous avons créé un groupe sur Facebook pour créer un dialogue entre vidéastes, blogueurs et scientifiques. Chaque vidéaste peut poster son scénario ou ses premiers rushes, avec pour objectif de recevoir un maximum d’avis avant la diffusion. C’est une possibilité offerte sur VideoSciences, mais ce n’est pas obligatoire.»

Étonnamment, aucune institution scientifique n’a pris conscience du potentiel de YouTube, alors que toutes affirment vouloir s’adresser aux jeunes. Récemment, le colloque «  Sciences et médias   : comment parler de sciences aux jeunes  », organisé par plusieurs sociétés savantes, n’avait invité aucun youtubeur. Le CNRS, pourtant fer de lance en matière de communication scientifique, n’a posté que huit vidéos sur sa chaîne Youtube et compte… 428 abonnés aux dernières nouvelles. Mais sur la plateforme concurrente Dailymotion, l’organisme public a posté 270 vidéos, compte plus de 1 000 abonnés et totalise 1,7 millions de vues à ce jour.

De la place pour tout le monde

De même, la dernière vidéo postée par l’Education nationale – sa campagne officielle de recrutement – date d’un an. « Pour les institutions, YouTube est juste un espace où déposer ses vidéos  », observe Bruce Benamran. Seul le Louvre a récemment invité des youtubeurs connus à réaliser des vidéos au cœur du musée. Trois d’entre eux, auteurs des chaînes culturelles Axolot, Le Fossoyeur de films et Nota Bene, ont accepté.

La qualité est intimement liée à la fréquence de production  : faire une bonne vidéo demande du temps. Or, la tendance générale sur YouTube est de multiplier les vidéos pour augmenter le nombre de « vues  », donc les revenus. Il existe même une règle non écrite  : au moins une vidéo tous les quinze jours. Pourtant, certains vidéastes connus reviennent sur ce dogme et choisissent de faire peu de vidéos, afin de miser sur la qualité.

C’est le cas d’Antoine Daniel, créateur de la série « What the Cut  ? ! », capable de ne rien publier pendant plusieurs mois. Et quand il sort une vidéo, qui ressemble de plus en plus à un court-métrage, les fans se précipitent  : ils sont aujourd’hui près de 2,4 millions. Mais seules les stars de YouTube parviennent à se faire ainsi désirer. Pour les autres, la course à l’audience reste de mise.

Lire aussi :   Mickaël Launay ou les maths sans douleur

Les youtubeurs scientifiques à succès considèrent qu’ils sont arrivés au bon moment. « Aujourd’hui, j’aurais plus de mal à émerger », estime David Louapre. De son côté, Léo Grasset, qui vit également de sa plume (Le Coup de la girafe. Des savants dans la savane, Seuil, 2015), juge qu’on arrive à une limite de saturation de chaînes scientifiques. D’autres voient les choses autrement. C’est le cas du mathématicien Mickaël Launay qui pense plutôt qu’il y a de la place pour tout le monde, mais pas forcément pour en vivre  : « L’algorithme de YouTube privilégie les vidéastes à succès, mais certaines chaînes existent juste parce qu’il existe une petite communauté de passionnés, et cela continuera. »

Du côté des maisons de production et des télévisions, on commence à regarder avec intérêt ces youtubeurs à succès. Au risque de les voir perdre leur âme ou de les affadir  ? «YouTube aujourd’hui me rappelle les radios libres, observe Bruce Benamran. Aujourd’hui, on ne peut plus lancer sa radio. Dans dix ans, un jeune pourra-t-il se lancer sur YouTube comme aujourd’hui  ? J’espère que oui.» 

Cécile Michaut


En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/03/14/youtube-le-nouvel-eldorado-des-vulgarisateurs-scientifiques_4882701_1650684.html#j2V1JeGKtAhm4q7C.99


28/03/2016
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Démocratie providentielle et citoyennneté

Sciences Humaines : Le concept d'Etat providence est bien connu, celui de démocratie providentielle beaucoup moins. Qu'est-ce qu'une démocratie providentielle ?

Dominique Schnapper : J'ai forgé ce concept pour désigner une certaine forme de la démocratie : celle qui se développe aujourd'hui en France, mais également dans des pays de culture libérale comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne. Ce qui caractérise ce type-idéal de la démocratie, c'est l'intervention croissante de l'Etat, au nom de la protection sociale, dans toutes les dimensions de la vie. L'Etat intervient de plus en plus, entraîné par la dynamique démocratique. Les individus demandent que soit assurée, outre l'égalité formelle de la citoyenneté, l'égalité réelle des conditions sociales. Or, la demande d'égalité est par définition insatiable. Les réponses que l'Etat apporte sont toujours en retard sur les revendications auxquelles il fait face. Il est donc entraîné dans une spirale d'interventions illimitée en réponse à des attentes et des exigences illimitées. Les ressources, en revanche, même dans les sociétés riches, ne sont pas illimitées. L'Etat, dans les démocraties providentielles, est donc conduit à gérer ce décalage perpétuel entre les attentes des individus et la possibilité d'y répondre.

La démocratie providentielle est-elle une nouvelle étape dans l'histoire de la démocratie moderne ?

Je crois que l'on assiste actuellement au déploiement d'un certain nombre de virtualités comprises dans l'idée même de citoyenneté telle qu'elle a été pensée depuis la fin du xviiie siècle. Certains, parmi les plus lucides des révolutionnaires, avaient immédiatement compris qu'à partir du moment où l'on proclamait l'égalité des conditions politiques, la revendication à l'égalité des fortunes se manifesterait. Dès 1791, bien avant le catholicisme social et la critique marxiste, Rabaut Saint-Etienne prévoit que l'égalité politique n'est qu'une étape. C'est ce qui me rend sensible à l'idée de continuité plutôt qu'à celle de rupture. L'aspiration à des conditions économiques qui ne soient pas dégradantes, la protection sociale, l'intervention en vue de soigner, d'éduquer, de faire accéder à des pratiques culturelles, sportives... Cette multiplication des champs d'intervention de l'Etat me paraît liée en profondeur à l'idée que les démocraties modernes se font de la citoyenneté. C'est la dynamique normale d'une société dans laquelle chacun de nous est souverain.

Sur un plan plus politique, vous suggérez qu'il y aurait une pratique de la citoyenneté propre aux démocraties providentielles...

La citoyenneté telle qu'elle est définie à la fin du xviiie siècle se fondait sur un projet de transcendance par le politique. On créait un espace abstrait - l'espace public - dans lequel tous les particularismes (ethniques, religieux, sociaux...) étaient transcendés par l'affirmation de l'égalité de tous les citoyens libres devant la loi. La démocratie providentielle, elle, pour assurer l'égalité réelle de chacun de ses membres, est amenée à intervenir d'une manière particulière, puisqu'elle consiste à donner des ressources ou des droits à certains groupes ou à certains individus. Elle tend donc par son action à recréer du particulier, là où les républicains d'antan voulaient créer de l'universel. Les deux pôles - celui du particulier et celui de l'universel - sont également légitimes. Je n'adhère pas à la critique libérale selon laquelle l'Etat providence ruinerait l'idée républicaine. Mais il est vrai que, si on lui donne un poids excessif, le pôle de la reconnaissance des particularismes peut constituer un danger pour la pratique de la citoyenneté.

Le seul partage des richesses tend à diviser les hommes, qui deviennent des concurrents, puisque les richesses ne sont pas illimitées. La participation à des valeurs communes qu'implique l'exercice de la citoyenneté, au contraire, tend à les réunir par-delà leurs différences. Il faut donc maintenir les deux pôles, même s'ils sont en tension. Mais il y a toujours le danger, dans les démocraties providentielles, que le souci de la réalité, qui est également un souci de l'immédiat, de la jouissance, du présent, l'emporte sur le projet commun, qui passe par le souci de l'avenir et le sens du collectif. En simplifiant à l'extrême, on peut dire que si les droits-libertés, sur lesquels reposait la citoyenneté républicaine, agrégeaient les hommes, les droits-créances, nés de l'Etat providence, s'ils prennent trop de place, risquent de les diviser. On ne peut constituer une société humaine si ses membres ne partagent pas des valeurs communes et n'acceptent pas, au nom de ces valeurs, les inévitables contraintes de la vie collective.

 

Dominique Schnapper

Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales et, depuis février 2001, membre du Conseil constitutionnel, Dominique Schnapper est l'auteur de nombreux ouvrages sur la citoyenneté et l'intégration. La Démocratie providentielle. Essai sur l'égalité contemporaine , Gallimard, 2002.

 

Q1. Quelle est la dynamique normale des démocraties modernes ?

Q2. Quel était le projet des lumière incluse dans l'idée de citoyenneté républicaine ?

Q3. Pourquoi la démocratie providentielle tend-t-elle à diviser au lieu de rassembler selon Dominique Schnapper ?


25/03/2016
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Serge Paugam: le lien social (extrait)

La première rupture du lien de participation organique tient au chômage, c’est-à-dire la cessation contrainte de l’activité professionnelle, laquelle, lorsqu’elle est durable, se traduit par un affaiblissement du niveau de vie. Les recherches sur les expériences vécues du chômage, de la pauvreté et du recours contraint à l’assistance ont permis de vérifier le risque pour les personnes concernées d’être et de se sentir socialement disqualifiées. En réalité, on peut trouver dans le monde du travail des situations de précarité comparables au chômage, au sens de la crise identitaire et de l’affaiblissement des liens sociaux. Pour les pauvres, le fait d’être contraint de solliciter les services d’action sociale pour obtenir de quoi vivre altère souvent leur identité préalable et marque l’ensemble de leurs rapports avec autrui. Ils éprouvent alors le sentiment d’être à la charge de la collectivité et d’avoir un statut social dévalorisé. Le salarié de la précarité est-il dans une situation comparable ? Certes, il ne fréquente pas forcément les services de l’assistance – encore que ces derniers accueillent de plus en plus des personnes ayant un emploi –, mais il appartient à une catégorie socialement dévalorisée. L’enquête sociologique montre que de nombreux salariés éprouvent souvent le sentiment d’être maintenus dans une condition avilissante sans avoir la moindre chance d’améliorer leur sort. Il leur manque la dignité au double sens de l’honneur et de la considération. Leur honneur est bafoué lorsqu’ils ne peuvent se reconnaître dans leur travail et agir conformément à la représentation morale qu’ils ont d’eux-mêmes. La considération qu’ils obtiennent dans leur travail peut être également si faible qu’elle leur donne le sentiment d’être socialement rabaissés, voire de ne pas ou de ne plus compter pour autrui. Pour les salariés proches de l’intégration incertaine, l’impossibilité de stabiliser leur situation professionnelle équivaut à la privation d’un avenir. Pour les salariés proches de l’intégration laborieuse, la souffrance au travail est souvent l’expression d’une faible considération pour ce qu’ils sont et ce qu’ils apportent à l’entreprise. Enfin, pour les salariés proches de l’intégration disqualifiante, le cumul d’un travail sans âme et d’un avenir incertain est source de désespoir et d’humiliation. La disqualification sociale des salariés commence donc à partir du moment où ils sont maintenus, contre leur gré, dans une situation qui les prive de tout ou partie de la dignité que l’on accorde généralement à ceux qui contribuent par leurs efforts à l’activité productive nécessaire au bien-être de la collectivité : un moyen d’expression de soi, un revenu décent, une activité reconnue, une sécurité. En ce sens, la rupture de lien de participation organique ne commence pas avec le refoulement hors du marché de l’emploi ; elle existe au sein même de la population des salariés en activité.

Le lien de citoyenneté n’est pas non plus à l’abri d’une rupture. C’est le cas notamment lorsque les individus sont trop éloignés – ou tenus à l’écart – des pour accéder à des papiers d’identité et pouvoir exercer leurs droits. Les étrangers éprouvent parfois des difficultés à régulariser leurs titres de séjour et sont, de ce fait, en situation illégale. Les sans-domicile sont également souvent coupés des circuits administratifs ou renvoyés d’un bureau à l’autre tant qu’ils ne parviennent pas à réunir les papiers nécessaires à une aide. Notons que, dans un système catégoriel d’aide sociale, il existe toujours des exclus du droit, c’est-à-dire des personnes qui ne correspondent à aucune des catégories prévues par le droit. On peut également admettre que le lien de citoyenneté est pour ainsi dire rompu lorsque les personnes en détresse sont maintenues de façon durable, souvent contre leur gré, dans des structures provisoires. Que signifie en effet ce droit s’il se résume à l’urgence et ne permet pas d’améliorer le sort des personnes ainsi prises en charge et leur sortie vers des formes d’insertion plus acceptables ? Si les solutions d’urgence sont pérennes pour les individus qui en bénéficient, elles correspondent à une exclusion des autres formes d’aide et à une relégation dans le statut de l’infra-assistance. On peut parler enfin de rupture du lien de citoyenneté chaque fois que l’on constate une entorse au principe d’égalité des citoyens au regard du droit. Il existe de nombreux cas de discrimination de fait dans l’accès aux droits. Dans toutes les sociétés modernes, mais de façon variable d’un pays à l’autre, il subsiste par ailleurs une proportion non négligeable d’individus apathiques qui éprouvent le sentiment d’être détachés de la société dans laquelle ils vivent, de ne plus avoir d’appartenance politique, d’être comme des étrangers face au jeu que mènent les responsables politiques.

La rupture d’un type de lien n’entraîne pas forcément la rupture d’un autre. De jeunes amoureux peuvent rompre volontairement le lien avec leurs parents (lien de filiation) lorsque ceux-ci opposent des réticences à leur relation et à leur décision de se marier (lien de participation élective). Une femme vivant dans une communauté ethnique fermée peut décider de rompre avec son milieu d’origine et avec la tradition pour mieux s’intégrer aux conditions de la vie moderne et participer plus activement au monde du travail (lien de participation organique). Le réfugié politique peut trouver dans l’exil forcé et dans la rupture du lien de citoyenneté le moyen de reconstituer dans un autre pays de nouveaux liens sociaux. Ces exemples pris parmi tant d’autres montrent qu’une rupture peut rester unique dans la vie d’un individu et n’a pas nécessairement un effet de contagion sur l’ensemble de ses attaches sociales.

Mais, puisque les liens peuvent se rompre et qu’ils s’entrecroisent de façon spécifique dans chaque personne, on peut analyser, à partir de trajectoires biographiques, le risque qu’une rupture en entraîne une autre, tel un effilochage qui conduit à une détérioration irrémédiable de l’étoffe. On peut distinguer deux types de ruptures cumulatives : l’apprentissage raté et la dégradation statutaire. Le premier renvoie aux cas d’individus ayant connu dès leur enfance de nombreuses difficultés liées à la pauvreté ou aux carences de leur milieu familial et social et pour lesquels la vie n’a été qu’une succession de ruptures. Le second correspond, au contraire, à des cas d’hommes et de femmes frappés à un moment de leur vie par une épreuve qui les a précipités dans une spirale d’échecs et de rupture des liens sociaux.

                                                                                                                                     Serge Paugam Le lien social Que sais-je ?

 

Q1. Pourquoi des personnes au chômage peuvent-elles se sentir disqualifiées ?

Q2. Qu’est-ce que le salarié de la précarité ?

Q3. Définir intégration incertaine, intégration laborieuse, intégration disqualifiante

Q4. Expliquez la phrase soulignée

Q5. Ecrire un texte de 10 lignes à la première personne  racontant l’histoire d’un individu dont la rupture d’un lien entraîne des ruptures cumulatives


21/03/2016
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LA BANLIEUE EST-ELLE UN LIEU DE DESINTEGRATION SOCIALE ?

 

1 – Au niveau des quartiers prévaudrait une solidarité mécanique, c’est-à-dire reposant sur la similitude sociale des habitants, leur proximité physique et la pression d’un conformisme local : "On habitait un quartier populaire parce qu’on était ouvrier. On y vivait entre ouvriers, avec des manières d’être similaires qui contribuaient à donner à chacun le sentiment d’une identité collective, d’une force propre dans la société, dans la ville". Au niveau inter-quartiers, c’est de solidarité organique dont il sera question.(Source : Jean-Samuel Bordreuil, "La Ville desserrée", Coll. L’état des savoirs, La Découverte, 2000)

 

Q1 – Quels sont les deux types de solidarité qu’engendre le fait d’habiter en ville  

 

2 – Sur le papier, l'idée paraissait comme frappée au coin du bon sens : rapprocher l'habitat des usines. C'est sur ces bases que le quartier de la Rose-des-Vents fut édifié, à partir de 1969, dans la partie nord du territoire d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Ce « grand ensemble » germa sur d'anciennes terres agricoles. Sa vocation : donner un toit aux ouvriers et aux cadres d'une nouvelle unité de production de Citroën, qui devait être implantée à quelques centaines de mètres de là. A l'époque, l'entreprise « importait » d'Afrique des ouvriers par convois entiers.

Les premiers arrivants. Belkacem Bellakhal, 47 ans, garde un souvenir précis de l'époque où sa famille emménagea. Son père avait quitté le Maroc en 1958 pour devenir mineur dans le Nord, avant d'être ouvrier chez Simca, en région parisienne. Au milieu des années 1960, les Bellakhal vivaient dans une cave louée par un compatriote indélicat : « C'était atroce. On a fait une demande de logement à la mairie. Quand la Rose-des-Vents s'est bâtie, on nous a donné un quatre- pièces. J'avais 11 ans. Pour moi, c'était le paradis. On se roulait dans la salle à manger de bonheur. On a dû appeler le gardien pour qu'il nous explique comment fonctionnaient les toilettes. C'était tout neuf, tout beau. Et dès qu'on sortait, on se retrouvait dans les champs de blé. » Le quartier comptait alors « plus de Français que d'immigrés », poursuit M. Bellakhal, qui travaille chez Citroën depuis vingt-neuf ans (pour 1 700 euros par mois) : « Il y avait aussi des Italiens et des Espagnols. Je ne ressentais aucun racisme. » Philippe Prévost, 47 ans, est né à Aulnay. En 1969, ses parents, boulangers dans le centre-ville, décident de s'installer sur ce qui n'était encore que la dalle du centre commercial Surcouf. « Les boutiques se sont peu à peu développées. Il y avait aussi des banques, des assureurs... Les gens étaient contents de quitter des logements insalubres pour des appartements fonctionnels. » Débarquaient des ménages de toutes origines. Des gendarmes du Bourget et de Roissy, des agents des PTT s'étaient vus réserver deux ou trois tours.

(Bertrand Bissuel, Sandrine Blanchard, Benoît Hopquin, Catherine Rollot et Xavier Ternisien, Le Monde du 18 novembre 2005)

 

3 – Jusque dans les années 60, il existait une continuité entre les composantes du tissu urbain. Non pas que les zones résidentielles des classes aisées se mêlaient allègrement aux cités d’habitat social, mais chaque niveau apparaissait accessible à ceux de l’étage inférieur. Le modèle ségrégatif était supportable parce qu’il reposait sur sa lisibilité et sa fluidité. Chacun pouvait à la fois se situer « socialement » et spatialement dans la ville puis, à partir de la seconde moitié du XXe siècle, prendre l’ascenseur, gravir les marches de l’échelon social. (Source : Yazid Sabeg et Laurence Mehaignerie, Les oubliés de légalité des chances, Institut Montaigne, Janvier 2004)

 

Q2 – En quoi les « grands ensembles » des banlieues étaient-ils des liens d’intégration sociale ?

Q3 – Pour quelles raisons la ségrégation spatiale ne remettait pas en cause la cohésion sociale

 

4 – Voici des "jeunes de banlieue" qui ne brûlent pas de voitures et dont on ne parle jamais. Des ambitions plein la tête, aux antipodes des caricatures à cagoule qui ont occupé l'espace médiatique ces dernières semaines, ils veulent devenir magistrats,  chefs  d'entreprise,  enseignants,  traders,  experts  comptables,  commissaires  de  police.  Cette  jeunesse nombreuse des quartiers populaires a eu son baccalauréat et peuple aujourd'hui les amphithéâtres de l'université Paris -13, à Villetaneuse, au cœur de la Seine-Saint-Denis.

Ces jeunes témoignent de la pression parentale sur les résultats scolaires. On leur a inculqué, dès le plus jeune âge, un profond respect de l'école. Et l'obligation d'obtenir des diplômes pour avoir une chance de s'insérer. Le salut a aussi pu ve nir des enseignants rencontrés dans les collèges ou les lycées. Conséquence logique de ce profond désir de réussite, ils rejettent  toute  idée  de  discrimination  positive.  Même  si  leur  parcours  doit  être  difficile,  même  si  tous  craignent des

discriminations au moment de l'entrée sur le marché du travail, ils revendiquent une insertion pleine et entière, mais liée à leurs seules capacités. Car, fondamentalement, ils estiment ne pas avoir à s'intégrer dans la société. Mokrane Hamadouche

: « Mes parents venaient de l'étranger et ont eu à s'intégrer. Mais moi, je suis autant français que Sarkozy. Je suis né ici, je parle français, je consomme français. Qu'est-ce que je dois faire de plus ? » Le jeune homme, qui se voit travailler dans

l'assurance ou devenir professeur en ZEP, met en avant la réussite familiale : une grande soeur qui effectue un mastère à l'université de Barcelone, une autre devenue agent d'escale, un frère qui prépare le bac S et deux autres, au collège, « qui ont régulièrement des félicitations ».

Dans un environnement difficile, le spirituel apporte un cadre. Notamment aux garçons, moins tenus par les parents.

Mokrane Hamadouche parle de l' « hygiène de vie » qui découle de la pratique religieuse. Mustapha Boutoula insiste sur sa fonction sociale dans des quartiers de la « banlieue rouge » qui ont longtemps été structurés par le Parti communiste : "Elle remplace un peu les institutions qui sont défaillantes."(Source : Luc Bronner, Le Monde du 25 décembre 2005)

 

5 –  Dans les quartiers populaires plus qu’ailleurs les jeunes ont besoin de se retrouver entre eux par affinités musicales, sportives ou vestimentaires, ils constituent des groupes qui se font ou se défont au gré des "embrouilles". Ils développent assez souvent un tribalisme de quartier ou un nationalisme de cage d’escalier, mais ils ne forment pas pour autant des bandes structurées menaçant en permanence l’ordre public. Ces bandes, quand elles existent, sont pluriethniques à l’image de nos banlieues populaires ; elles sont à analyser comme mode de structuration primaire d’une jeunesse à la recherche de repères stables. Elles peuvent dévier, elles peuvent même donner lieux à des conduites délictuelles et criminelles, mais elles ne sont pas exclusivement portées vers cette orientation. Elles sont le plus souvent des lieux de retrouvailles, de fêtes, d’amitié, de chaleur humaine dans un univers froid, bétonné, exclu, à la marge. (Source : A.Jazouli, Les Années banlieues, Seuil, 1992)

 

6 – Dans l'univers populaire traditionnel, les conduites marginales des jeunes bénéficient de certains espaces de déviance tolérée. Certains débordements juvéniles sont acceptés car "il faut bien que jeunesse se passe" et, avant d'entrer dans la vie adulte, les jeunes ont le droit de "s'amuser". En fait, les conduites déviantes des jeunes  - bagarre, petite délinquance - ne menacent pas l'intégration de la collectivité qui manifeste certaines capacités de régulation autonomes. Les bandes de "Blousons noirs" elles-mêmes participaient largement de ces déviances tolérées, elles étaient les ultimes manifestations d'une autonomie avant de se "perdre" dans le travail et dans le mariage. (Source François Dubet, La Galère, jeunes en survie, Regards sur l'actualité, n° 172, Juillet 1991)

 

Q4 – Quelles sont les institutions qui participaient à la socialisation et à l’intégration dans les banlieues?

Q5 – Expliquez la phrase soulignée du dernier document.

 

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Insee


16/03/2016
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